Elle fait le cyclisme français parce qu’elle entretient l’espoir de jours meilleurs pour le vélo tricolore féminin. Alors que la discipline est outrageusement dominée par une poignée de nationalités, les hollandaises en tête, alors que Pauline Ferrand-Prévot, championne du monde sur route en 2014, a décidé de se consacrer uniquement au cyclo-cross et au VTT, alors qu’Audrey Cordon-Ragot n’a jamais été en mesure de percer au sommet des classements, le portrait du jour est consacré à la leader d’une génération de jeunes filles prometteuses. Exilée dans une formation étrangère, promue la majorité à peine passée dans les pelotons professionnels, meilleure jeune du dernier Giro, elle pourrait bien être la relève des cracks néerlandaises que sont Annemiek Van Leuten ou Marianne Vos qui, en dépit de leurs talents exceptionnels, ne sont pas pour autant éternelles. Ainsi, on attend d’elle qu’elle mène une vague de dégagisme, pour renverser une génération trustant le pouvoir depuis trop longtemps dans la discipline, sans la moindre notion de partage. Voici donc le portrait de Juliette Labous, cycliste professionnelle chez Sunweb.Juliette Labous | © Team Sunweb
Son parcours :
Le parcours gustatif de Juliette Labous dans le panel des multiples saveurs offertes par la Petite Reine est quelque peu atypique. En effet, c’est par le BMX que la franc-comtoise est venue au cyclisme. Mais si les circuits bosselés entament son attachement au vélo, c’est bien son passage sur la route et dans la boue des terrains de cyclo-cross que commence son histoire d’amour fusionnelle avec la discipline. En effet, cette transition entame une explosion de son palmarès, la doubienne s’avérant rapidement figurer parmi les meilleures nationales de sa génération. Ainsi, elle n’a même pas besoin d’attendre l’âge de la maturité pour se révéler. Dès le championnat de France cadettes de cyclo-cross 2013, elle se hisse sur le podium alors qu’elle concourt avec des adversaires âgées de deux ans de plus qu’elle. L’année suivante, elle frôle le coup double sur ses deux disciplines fétiches, en s’adjugeant le titre national sur route de la catégorie, et grimpant à la seconde place en cyclo-cross.
Dès lors, Juliette Labous ne s’arrête plus d’engranger les bouquets. Alors que le franchissement des différentes catégories d’âge nécessite généralement une année d’adaptation parmi ses aînés, la native de Roche-lez-Beaupré complète chaque saison sa collection de maillots tricolores. Championne de France dès sa première année chez les juniors en 2015 en cyclo-cross, elle réussit la même prouesse lors de l’épreuve contre-la-montre, se hissant même au 5e rang mondial dans l’exercice au mois d’octobre. Plus les mois passent, moins il y a de doutes. Juliette est bien une cracke, destinée à être devenir rapidement la figure de proue du contingent français dans les pelotons professionnels. D’autant qu’elle ne marque décidément jamais le pas. En parallèle de son cursus universitaire en Génie Mécanique et productique à l’IUT de Besançon-Vesoul, la franc-comtoise renoue constamment son bail avec la tunique bleu-blanc-rouge, lui faisant presque oublier la couleur du maillot de son club de Morteau-Montbenoît. Double médaillée d’or sur route et en contre-la-montre chez les juniors en 2016, tout en s’adjugeant le classement général de la Coupe de France, Juliette Labous démontre qu’elle n’a plus rien à prouver dans la catégorie. Mais l’envergure de ces prestations au cours de cette saison clé ne s’arrête pas là. Sa récolte de breloques s’étend aussi aux championnats continentaux et mondiaux de chrono, où elle s’empare systématiquement de la troisième place. Approchée en début de saison par la prestigieuse formation néerlandaise Liv-Plantur (futur Team Sunweb), elle en séduit le staff au fil des stages, jusqu’à conclure un contrat et pénétrer chez les professionnels dès 2017, alors qu’elle fête à peine sa majorité.Juliette Labous titrée sur les championnats de France juniors en ligne en 2016 devant Pauline Clouard et Noémie Abgrall | © FFC
Son passage chez les espoirs en 2017 s’accompagne ainsi sans surprise d’un succès semblable. Véritable spécialiste de l’effort individuel, en complément de qualités de grimpeuse intrinsèques, la doubienne monte immédiatement sur le podium des championnats nationaux de l’exercice, le rendez-vous annuel qu’elle ne rate jamais. Chez les professionnels, elle ne tarde pas non plus à déclencher son compteur. Après des premiers mois satisfaisants au service de ses leaders sur les épreuves du Women World Tour, la française s’échappe sur la dernière étape du Tour de République Tchèque et règle au sprint l’américaine Tayler Wiles. Impressionnante par la suite sur le Ladies Tour of Norway, elle se voit même sélectionner sur les épreuves en ligne et contre-la-montre des mondiaux de Bergen, preuve de sa suprématie précoce parmi ses compatriotes. « J’ai regardé la liste des concurrentes par curiosité pour voir s’il y avait d’autres Espoirs première année comme moi et il n’y en a pas beaucoup » s’étonne-t-elle alors au micro de Direct Vélo. Effectivement, la chose est suffisamment rare pour être soulignée. Surtout, Juliette Labous ne se contente pas de participer. Elle brille. 15e du chrono, elle ne concède qu’une dizaine de secondes à sa compatriote Audrey Cordon-Ragot, championne de France en titre de l’exercice.
Bel et bien lancée dans une carrière professionnelle fort prometteuse, la franc-comtoise réalise une saison 2018 chez les élites sur le même registre que la première. Equipière de luxe au service de ses leaders Lucinda Brand ou Leah Kirchmann, elle multiplie les tops 10 lorsqu’une carte blanche lui est donnée. Deuxième des championnats de France de contre-la-montre, elle s’empare cette fois du titre chez les espoirs, complétant ainsi la trilogie des catégories d’âge. Vainqueur du contre-la-montre par équipes inaugural du Giro avec ses coéquipières de la Sunweb, elle termine l’épreuve à la 3e place du classement des moins de 25 ans.
Une troisième saison dans les rangs professionnels va alors lui permettre de s’emparer de la tunique récompensant la meilleure jeune sur peloton, sur l’unique Grand Tour féminin du calendrier, face à une concurrence réunissant l’ensemble du gratin international. Pourtant, elle débute ce Tour d’Italie par une déception. Complétement désorganisées par la chaleur, les coureurs de la Sunweb peinent alors à finir à 4 le chrono par équipes, concédant de précieuses secondes sur leurs concurrentes. Mais la doubienne se pare de blanc dès le lendemain en achevant une étape de moyenne montagne dans le groupe de tête. Elle ne quittera plus jamais la tunique. Impressionnante sur le contre-la-montre individuel, elle s’y classe à une valeureuse 5e place. Ménagée au début des étapes, elle agit en lieutenante de luxe pour Lucinda Brand, tout en veillant à lutter jusqu’à la ligne d’arrivée pour concéder le moins de secondes possible sur ses adversaires. Continuellement placée dans le groupe maillot rose dans les ascensions finales, elle conclut chacune en second rideau, anonyme mais confortée au classement des meilleures jeunes. Si bien qu’à l’arrivée à Udine, sa marge frôle les huit minutes d’avance sur sa dauphine, assurant ainsi sa montée sur le podium protocolaire. Telles Katarzyna Niewiadoma ou Elisa Longo Borghini quelques années avant elle, Juliette Labous se voit dès lors inscrite au palmarès des futures grandes. Et l’éclosion ne saurait tarder.
Son statut aujourd’hui :
Ainsi, tous les indicateurs pronostiquent un avenir flamboyant à la doubienne, laissant envisager une accession aux podiums des plus grandes épreuves du monde dans les futures années, d’autant plus qu’elle n’a encore que 21 ans. Alors qu’à cet âge là la plupart de ses concurrentes pénètrent à peine dans le monde professionnel, la franc-comtoise y a déjà fait ses preuves, et suit ainsi un parcours ahurissant de précocité qui n’est pas sans rappeler celui d’Egan Bernal. A ce titre, sa progression sera particulièrement intéressante à suivre lorsque le cyclisme se déploiera à nouveau dans le monde, afin d’assister à la naissance d’une grande championne, dans une élite féminine peinant à se renouveler.
De plus, son expatriation dans une équipe néerlandaise, au pays du cyclisme féminin, est un immense atout pour elle. Profitant d’une structure collective et de méthodes d’entraînement à la pointe, elle a également la possibilité de côtoyer ses acolytes masculins à l’occasion de stages, comme cet hiver à Barcelone, où elle a peaufiné sa technique en descente. La crise sanitaire actuelle coupe d’ailleurs son élan au plus mauvais moment, puisque le départ de Lucinda Brand chez Trek-Segafredo à l’intersaison lui ouvrait les portes sur leadership sur les principales courses par étapes de la saison, comme les Tours du Luxembourg, du Yorkshire, et surtout du Giro. Effectivement, à la vue de ses résultats en tant qu’équipière, on peut se prendre à rêver en imaginant les effets du leadership sur ses performances. L’avenir nous le dira vite.
Par Jean-Guillaume Langrognet