C’est l’histoire d’un éternel étourdi, d’un savant ingénieur ou encore d’un fabuleux cycliste. C’est l’histoire d’un teigneux n’ayant jamais voulu choisir entre vélo et études, considérant les deux éléments comme complémentaires et non contradictoires. C’est l’histoire d’un coureur prodige ne sachant pas évoluer en peloton. Entre carrière multipliant les hauts et les chutes à gogo, il a toujours évolué sur cette ligne de crêtes entre prouesses incessantes et accidents ravageurs, peinant à effectuer une saison dans son entièreté sans changement de programme majeur. Mais surtout, le parcours sportif de cet homme est celui d’un vigoureux combattant de la triche dans un milieu où elle était encore massive il n’y a pas si longtemps, trouvant systématiquement une source de motivation supplémentaire dans la compétition contre les « chaudières ». S’il a désormais mis pied à terre, ses velléités de lutte contre la fraude ne l’ont jamais quitté, si bien que de leader chez AG2R la Mondiale, il est devenu lieutenant de luxe de l’UCI dans la détection du dopage mécanique. Portrait d’un drôle de personnage au CV peu conformiste, portrait de Jean-Christophe Péraud.
Son parcours :
Né à Toulouse le 22 mai 1977, le français n’adopte pas durant sa jeunesse la trajectoire commune à la majorité des champions cyclistes. Brillant rapidement sur les compétitions de VTT, faisant de sa force naturelle et de son travail minutieux un atout maître dans la discipline, il se refuse toutefois à s’engager corps et âme dans cette voie. Impressionnant de maturité, l’occitan refuse de se laisser griser par ces succès précoces, pensant à la précarité sévissant particulièrement dans le monde sportif de l’ombre, chez tous ces professionnels échappant aux radars médiatiques et luttant chaque saison pour gagner de quoi vivre. Doté d’une rare vision de long terme, il se projette également sur l’inéluctable moment de la reconversion post-retraite, où beaucoup perdent pied chaque année. Alors que l’on connaît surtout ces champions devenant consultants, lui se rappelle les exemples de rétrogradations sociales et de plongées dépressives. Si bien que s’il enfourche quotidiennement sa bicyclette pour rester au sommet de ses catégories de jeunes successives, il effectue ses journées sur les bancs de l’IUT Paul Sabatier. Tantôt apprenti ingénieur, tantôt coureur, il se démène courageusement pour repousser son corps et son esprit au-delà de leurs limites, pour conserver le luxe du choix.
Ainsi, les diplômes et les titres se succèdent et s’entremêlent. Licence puis maîtrise en génie des procédés à l’université de Tarbes, vainqueur de la Transmaurienne, champion d’Europe de Cross-Country par équipes, champion de France de VTT marathon, diplômé de l’INSA Lyon en génie énergétique et environnement, employé comme ingénieur chez Areva… Le haut-garonnais mène une vie d’excellence, faisant d’un cumul d’ordinaire intenable une chance que rares possèdent. Dans cette existence partagée entre ces deux pôles sans véritables liens, Jean-Christophe Péraud sacrifie beaucoup, mais gagne énormément. Enrichi intellectuellement, professionnellement et sportivement, son CV en dit long sur la détermination du personnage. Surdiplômé, le voilà bientôt surmédaillé. Vainqueur du Roc d’Azur en 2007, il atteint son apogée de vététiste en 2008, participant au règne international de la France dans la discipline. Vice-champion olympique de cross-country à Pékin derrière le légendaire Julien Absalon à Pékin, il s’adjuge la même année les titres européens et mondiaux dans l’épreuve par équipes. En outre, il se découvre cette même année un incroyable potentiel sur route. Déjà doté d’un intéressant palmarès glané depuis 1998, remportant les Boucles du Sud Ardèche en 2006, il se hisse sur le toit du monde amateur français en remportant la tunique tricolore à la fin du mois de juin, devançant Guillaume Bonnafond et Blel Kadri ses futurs coéquipiers chez AG2R La Mondiale.
2009 est alors de l’année qui le convainc de franchir le pont séparant les sous-bois du bitume. Tombeur surprise de Sylvain Chavanel en contre-la-montre lors des championnats de France, il effectue une fin de saison tonitruante, petit amateur tenant la tête haute aux professionnels de la discipline. Sélectionné par Laurent Jalabert pour disputer l’épreuve contre-la-montre des championnats du monde, il réalise l’incroyable exploit de conclure les 50 kilomètres du parcours à la douzième place, plus d’une minute devant le triple champion du monde de poursuite individuelle, Bradley Wiggings. Additionnant cette prouesse à une seconde place lors du chrono des Herbiers, seulement battu par le kazakh Alexandre Vinokourov, il signe logiquement un contrat avec la formation Pro Tour Omega Pharma-Lotto pour la saison 2010, grâce à la disponibilité accordée par son employeur.
Ses débuts au sein des rangs professionnels s’inscrivent alors dans la lignée de ces performances de haute-voltige. A l’aise dans les montées longues et roulantes grâce au support d’une forte intensité sur une longue durée, acquise grâce au VTT, il s’affiche au niveau des meilleurs dès le Tour d’Algarve. Discret 8e de Paris-Nice puis brillant 4e du Tour du Pays-Basque, le trentenaire néo professionnel joue d’entrée dans la cour des grands. Transfuge chez AG2R la Mondiale l’année suivante, il s’y affirme à nouveau comme un coureur de Grand Tour, améliorant encore sa marque par rapport à l’année précédente. 2e du Tour Méditerranéen en début de saison, 6e de Paris-Nice puis 7e du Critérium du Dauphiné, il réussit une sensationnelle première participation au Tour de France dans l’anonymat de l’épopée dorée de Thomas Voeckler. 9e au classement général final après le déclassement d’Alberto Contador, Jean-Christophe Péraud y apparaît extrêmement prometteur, à 34 ans passés.
Pourtant les deux saisons suivantes sont plus tumultueuses pour l’ingénieur de formation. Loin de ses objectifs en 2012, celui-ci retrouve les sommets en début de saison 2013, en embrassant sa première victoire professionnelle lors du Tour Méditerranéen. 3e de Paris-Nice un mois plus tard, il s’y montre à son aise sur les pentes du col d’Eze, simplement devancé par Richie Porte et Andrew Talansky au classement général. Relativement en jambes sur Grande Boucle, il voit son étourderie lui barrer la route d’un top 10 au classement général. Chutant lors de la reconnaissance du contre-la-montre entre Embrun et Chorges, il voit à nouveau son guidon lui échapper durant l’après-midi, quittant alors la route du Tour les larmes aux yeux. Accablé par un malheur catalysé par sa maladresse, il connaît là son premier échec retentissant, coup d’arrêt dans une carrière de virtuose.
L’édition 2014 est alors l’heure de la revanche. Saisissante, retentissante et fracassante, elle éclabousse le cyclisme français par la grandeur de l’exploit réalisé. Profitant de l’abandon du tenant du titre Christopher Froome en première semaine et de la méforme du mythique Alberto Contador, Jean-Christophe Péraud s’affirme durant le mois de juillet comme le seul coureur à être capable d’accompagner Vincenzo Nibali dans ses envolées ascensionnelles. Rarement au sommet des feuilles de résultats mais toujours aux côtés des leaders, il effectue les trois semaines de courses avec une régularité sidérante, cumulée à un niveau de performance physique inédite en France depuis l’entame du XXIe siècle. Deuxième au classement général final devant son compatriote Thibaut Pinot, il referme une triste période de 17 années sans français sur le podium de la Ronde de Juillet. Incarnation du renouveau du cyclisme tricolore à 36 ans, l’occitan étonne toujours autant.
Si le haut-garonnais a défié le corps humain pour repousser jusqu’à cet âge canonique en cyclisme le moment du paroxysme, son ascension des marches des Champs-Elysées marque également le début de la chute. Gêné par deux interventions chirurgicales suite à une blessure à la selle au printemps 2015, il effectue le Tour de France dans l’anonymat des classements, tristement rattrapé par la fatale usure de son corps. Remobilisé mentalement pour 2016, il ne parvient cependant pas à remonter une pente qu’il a pourtant gravit avec une facilité déconcertante durant tant d’années. Violement jeté à terre et gravement blessé à la face dès la troisième étape du Tour d’Italie, forfait pour le Tour de France, le toulousain effectue sa tournée d’adieu sur la Vuelta, au contact des cadors durant la majorité des montées mais dépourvu de sa force d’antan pour les accompagner lors de leurs offensives. 13e au classement général final à Madrid, il quitte les pelotons professionnels dans une discrétion médiatique sidérante, reflétant par ce silence certains traits de caractère composant sa personne. Orné de multiples distinctions, titres et médailles, Jean-Christophe Péraud retrouve dans l’anonymat de sa retraite un reflet de l’ensemble de sa carrière : celle d’un homme aussi phénoménal que méconnu.
Son statut aujourd’hui :
Un temps candidat au poste de sélectionneur national, l’occitan s’en est nettement écarté après la nomination de Cyrille Guimard, personnage au caractère diamétralement opposé. Si le français disposait toujours de la possibilité de retourner à sa fonction d’ingénieur chez Areva, qu’il avait quitté lors de son passage dans les rangs professionnels, c’est finalement l’élection de David Lappartient à la présidence de l’UCI qui a été l’élément déclencheur de sa première reconversion. Nommé « manager de l’équipement et de la lutte contre la fraude technologique » en remplacement du britannique Mark Barfield, accusé d’excès de sympathie envers les équipementiers, il est désormais chargé de combattre au sein de l’institution internationale ce contre quoi il a toujours lutté : le dopage. Ayant grandi dans un milieu où celui-ci se faisait légion, le toulousain a toujours fulminé contre les tricheurs, l’ayant a posteriori privés de nombreux succès. Coureur amplement respecté par ses pairs pour sa transparence et sa propreté irréprochable, il s’attaque ainsi à un phénomène bien moins connu que l’usage de substances chimiques : le détournement des merveilles technologiques de notre ère à des fins malveillantes. Alors que les suspicions pleuvent, aussi bien au sujet du passé avec Lance Armstrong que sur les coureurs faisant l’actualité, avec la fameuse « moulinette » de Christopher Froome, des premiers cas ont été avérés. D’abord en Dordogne avec un amateur puis aux championnats du monde de cyclo-cross féminin en 2016. Avec son équipe, Jean-Christophe Péraud se trouve donc une nouvelle fois dans une posture de leader discret, non plus en quêteur de bouquets mais en chasseur de moteurs. Voilà un poste parfait pour un ingénieur.
Par Jean-Guillaume Langrognet