Le cyclisme est souvent une affaire de famille, un lien se tissant entre frères et sœurs ou fils et pères, cette rubrique l’a bien montré. Du frère aîné de Thibaut Pinot aux cousins de Marion Rousse en passant par le père de Loïc Bruni, le vélo apparaît souvent comme un gène se transmettant de génération en génération, appartenant à l’ADN d’une même lignée. Une fois contaminé, il est difficile de s’en débarrasser, la passion submergeant vite les esprits. Les malades sont alors hautement contagieux, et ne manquent pas de le transmettre à leurs proches ou leurs enfants, propageant ainsi l’épidémie autour d’eux. Le cas des Alaphilippe ne manque pas à cette logique, aussi implacable que naturelle. Si la France est désormais accoutumée à l’évocation de ce nom, elle l’associe toujours au prénom de Julian. Pourtant, le maillot jaune du dernier Tour de France possède également un frère dans les pelotons professionnels, et n’aurait jamais exalté l’Hexagone sans son cousin, d’abord modèle, puis entraîneur. Portrait de l’homme sans qui Julian Alaphilippe serait sûrement passé à côté de sa carrière de champion cycliste, portrait de Franck Alaphilippe.
 

Son parcours :

Franck Alaphilippe n’est pas né dans une famille dévouée au vélo, mais à la musique. Fils et neveu de musiciens, le jeune garçon grandit dans un milieu modeste, vivant des recettes des concerts organisés dans des fêtes locales, au cœur du Berry, aux alentours de Montluçon. Mais faute de parents initiés, c’est en suivant un ami qu’il découvre les joies de la bicyclette, en prenant sa première licence à 13 ans. Si elle lui offre une formidable voie pour canaliser son énergie débordante, elle est aussi un excellent moyen d’évasion et d’aventure dans les campagnes de la région, quittant le strict voisinage du domicile familial. Autrement dit, grâce à son vélo, l’auvergnat peut voyager à proximité. Mais aux plaisirs de la ballade, prime rapidement le goût de l’effort, et l’excitation de la compétition. En effet, se découvrant peu à peu d’inattendus talents de pédaleur, Franck Alaphilippe accroît progressivement son assiduité sur les routes, au point d’y lier son cursus scolaire, décidant de passer un BEP d’horticulture pour pouvoir continuer de rouler en parallèle. Bien lui en prend. Le berrichon ne foulera pas longtemps les jardins, mais voit plutôt son accession à la DN1 dès l’âge de 19 ans lui ouvrir les portes de sa passion. Endurant, résistant et travailleur, il engrange rapidement accessits et victoires, au point de se rêver professionnel.

Ces succès en rafale lui permettent, à l’heure du service militaire, de jouir d’une conscription quelque peu spéciale, officiant au sein de la section cycliste de l’Association Sportive et Culturelle de l’Air (Ascair) sur le site de Balard à Paris. De quoi parfaire son entraînement et sa montée en puissance physique. C’est d’ailleurs sous la tunique kaki que Franck Alaphilippe participe à ses premières courses d’envergure internationale, sur les routes du Tour de Normandie ou du Tour du Poitou-Charentes. Confirmé en tant que bon amateur, il se pare alors d’une disponibilité de six ans pleinement dédiés au cyclisme dès son retour dans la société civile, avec la volonté tenace de passer professionnel dans un avenir proche. Si ses qualités physiques intrinsèques lui en ouvrent effectivement la voie, celle-ci est malheureusement vite obstruée par des maladies à répétition, qui l’empêchent de progresser convenablement et de performer sur l’ensemble d’une saison. Bien vite, l’auvergnat est contraint de renoncer à ses rêves, et de se chercher une reconversion, en quête du fameux plan B. Décidé à rester au contact de la Petite Reine, il s’engage alors dans une formation d’entraîneur, pour se lancer dans la seconde partie de son existence.

En effet, au même moment, un évènement anodin s’apprête à bouleverser sa carrière en devenir, et changer brusquement le cours de sa vie. Lorsque son oncle cherche de quoi défouler ses deux fils Julian et Bryan, véritables boules d’énergie de 10 et 8 ans, Franck Alaphilippe recommande alors naturellement le vélo, sans deviner encore l’impact de cette admonition. Or, alors que le montluçonnais devient responsable du Pôle Espoir de la Roue d’Or Saint-Amandoise (ROSA), formidable pépinière du Berry, son jeune cousin Julian explose rapidement les compteurs. Enchaînant les succès, multipliant les bouquets, il surclasse magistralement les concurrents de sa génération, au point de se mêler déjà aux juniors alors qu’il n’a que 15 ans. Des simples conseils, Franck passe alors aux plans d’entraînements, qu’il développe quotidiennement dans la cadre de sa nouvelle profession. Julian ne pouvant rejoindre le Pôle Espoirs en raison de son cursus en lycée professionnel, son cousin le prend sous son aile, réglant ses sorties en parallèle de sa formation de mécanicien de cycles. La collaboration entre les deux hommes ne s’interrompra jamais. Alors que Franck Alaphilippe se retire lorsque Julian intègre la formation réserve de la prestigieuse Quick-Step, possédant ses propres entraîneurs, ce dernier revient vers lui au bout de deux semaines, désorienté par des méthodes inadaptées à sa personnalité. Une première fois, Franck s’insère dans la structure de Patrick Lefévère, en profitant d’une dérogation pour poursuivre l’entraînement de son poulain, court-circuitant les modèles traditionnels. Grand bien lui fasse.

En suivant les plans de son cousin aîné, Julian Alaphilippe ne tarde pas à exploser, et intégrer l’équipe mère, dans laquelle il se révèle tout aussi rapidement aux yeux du grand public. Si Bryan Alaphilippe ne connaît pas la même renommée, le benjamin de la famille suit aussi les pas de son grand frère en intégrant l’équipe de l’Armée de Terre, où il signe son premier contrat professionnel, grâce à une ascension jusqu’au niveau élite rondement menée par les programmes de son cousin. Rétrogradé au niveau amateur, le sprinteur a retrouvé dernièrement la division Continentale en rejoignant l’équipe de Stéphane Javalet, Saint-Michel Auber 93, en début d’année. Parfaitement lancés par leur cousin, les frères Alaphilippe ont ainsi tous deux réussi à briller, et faire de leur passion un métier.
 

Sa vie aujourd’hui : 

Si Franck Alaphilippe a sans nul doute grandement contribué à la réussite de son cousin, le quadruple vainqueur d’étape sur le Tour de France lui renvoie désormais l’ascenseur. En effet, à l’heure de renouveler son contrat, ce dernier a demandé à ce que son cousin puisse intégrer l’encadrement de la Deceunink – Quick-Step en tant qu’entraîneur à plein temps, ce que Patrick Lefévère a accepté. En charge de son cousin mais aussi du français Rémi Cavagna, le natif de Montluçon est passé cet hiver de la catégorie Espoirs dans un club au World Tour dans une cylindrée mondiale, et ce sans même parler anglais !

Il faut dire que les relations entre les deux cousins est telle qu’elle ne peut pas être brisée. L’exhaustivité de leur connaissance mutuelle, et la force des liens noués au fil de toutes ces années à parcourir les routes du Boischaut, l’un sur son scooter, l’autre sur son vélo, ont produit les prouesses que l’on sait. Leur rapport de confiance est également inégalable, rendant désormais inenvisageable pour Julian Alaphilippe de changer d’entraîneur. Alors Franck s’adapte à ses objectifs, mais reste maître de sa préparation. S’il laisse la main à son équipe sur les courses, il ne reste toutefois pas loin de son poulain. En effet, le Montluçonnais travaille également depuis six ans au sein du service de relations publiques d’Amaury Sport Organisations, lui permettant d’être présent sur toutes les courses phares de la société, comme Paris-Nice, le Critérium du Dauphiné, et bien évidemment la Grande Boucle. Bref, en une génération, le cyclisme est devenu omniprésent dans la famille Alaphilippe, si bien que ce nom y est définitivement associé.

Par Jean-Guillaume Langrognet