Le 101 du jour est avant tout un entrepreneur, un homme qui n’a pas peur de prendre des risques, de faire des paris, une personne qui se relève constamment lorsqu’il chute. Modeste coureur professionnel du milieu des années 90, c’est en passant de l’autre côté de la frontière, celle qui sépare les employés des employeurs, qu’il est progressivement entré dans une autre dimension. S’il a dû affronter quelques cessions d’activité, il a également connu de grands moments de sport, au sommet d’une équipe familiale qu’il a bâtie de ses propres mains. Aujourd’hui à l’aube du bouleversement de ses objectifs après le recrutement de plusieurs coureurs de renom, Emmanuel Hubert, manager général du Team Arkea-Samsic, fait définitivement partie des principaux acteurs du cyclisme français. Portrait.
Son Parcours :
Avant Emmanuel Hubert le manager, il y eut Emmanuel Hubert le coureur. Une période sans grand succès retentissant, mais illustratrice de sa passion pour le vélo. Progressant dans la hiérarchie des clubs de sa Bretagne natale, il s’illustre sur les courses locales en faisant notamment de son jardin la Manche-Atlantique, où il termine quatre fois sur le podium entre 1990 et 1994, dont deux sur la première marche. Ces résultats sur une course remportée auparavant par l’illustre Jacky Durand lui permettent de rejoindre l’Ile-de-France en étant engagé par l’ASPTT Paris, où à évolué quelques années plus tôt Richard Virenque. Sous le maillot du comité d’Ile de France, il décroche alors en 1994 son premier bouquet notable, aux championnats de France de contre-la-montre par équipes. Une performance qui attire les convoitises de la formation Gan, l’équipe de Chris Boardman, au sein de laquelle il signe comme stagiaire durant la fin de saison. En 1995, il participe à l’aventure Le Groupement, écurie cycliste naissante qui s’avérait prometteuse avec les recrutements de Luc Leblanc, Pascal Lino, Jean-Paul Van Poppel ou encore Robert Millar. Mais après le déferlement d’une vaste polémique autour de l’éthique des méthodes de motivation de son sponsor, le Groupement Européen des Professionnels du Marketing, la formation française annonce brutalement son retrait fin juin. Emmanuel Hubert est quant à lui rescapé de justesse par un parrainage de la FFC pour finir l’année. C’est d’ailleurs au sein de cette équipe de la fédération qu’il glane ses deux plus grands succès, en s’accaparant le classement général du Tour de l’Ain et la 10e étape du Tour de l’Avenir. Retrouvant Gan pour les saisons 1996 et 1997, il décide de mettre fin à sa carrière de coureur cycliste au terme de ce contrat, dans un relatif anonymat.Emmanuel Hubert sous les couleurs de l’équipe Le Groupement | © Courtesy Willem Dingemanse
La deuxième vie du natif de Saint-Malo commence alors : celle de l’entrepreneur. D’abord directeur commercial chez Fenioux entre 2001 et 2004, il cède à la tentation de se replonger au sein du fabuleux monde du cyclisme en rejoignant l’équipe française Agritubel en tant que directeur sportif. Il y remporte notamment deux victoires d’étapes sur le Tour de France avec Juan Miguel Mercado et Brice Feillu en 2006 et 2009. Malgré deux fantastiques dernières saisons, ponctuées de nombreux succès et d’une première place au classement UCI Europe Tour, la formation française est contrainte mettre fin à son existence après le retrait du sponsor principal, Agritubel.
Emmanuel Hubert rebondit alors chez Bretagne-Schuller où il retrouve des coureurs majoritairement issus de sa région d’origine. Après quelques victoires sur des épreuves de renommée nationale, il prend les rênes de la formation basée à Bruz, à la suite de la démission du manager général, Joël Blévin. Sous son impulsion, le Team Bretagne-Séché Environnement grandit alors peu à peu, en atteignant en 2014 le Graal de toute équipe française : le Tour de France. Si la formation bretonne peine à y jouer un rôle actif, se contentant des deux seizièmes places au classement général de Brice Feuillu en 2014 et 2017, elle s’affirme en revanche sur les manches du calendrier Continental, où son nombre de succès triple entre ces deux années, grâce à un collectif homogène et talentueux. Un point d’orgue qu’Emmanuel Hubert cherche aujourd’hui à dépasser.
Son statut aujourd’hui :
En effet, Bretagne-Séché-Environnement, devenue aujourd’hui Arkea-Samsic en passant par l’épisode Fortuneo entre 2016 et 2018, peine aujourd’hui à retrouver le goût de la victoire. En dépit du recrutement retentissant de Warren Barguil à l’hiver 2017, l’équipe surnommée Pro Cycling Breizh possède un bilan famélique sur les deux dernières saisons, avec un compteur figé à 7 petits bouquets. L’arrivée du meilleur grimpeur de la Grande Boucle 2017 n’a pas engendré plus des réconforts, ni de réelles satisfactions si ce n’est le titre de champion de France et la 10e place au classement général du Tour 2019. Celle de sprinteur André Greipel connut quant à elle la trajectoire du flop total. Même le jeune espoir Elie Gesbert n’est pas parvenu à confirmer ses débuts prometteurs.
Pour 2020, Emmanuel Hubert a ainsi tenté d’employer les grands moyens pour inverser cette triste tendance. D’abord via la voie féminine, en lançant une équipe de filles. Après avoir parrainé cette année l’US Vern en DN1 française, Emmanuel Hubert a vu les choses plus grandes. Toutefois, le développement de cette section devrait s’effectuer de manière progressive, d’abord au sein de l’hexagone avant de rejoindre éventuellement le World Tour. Gabrielle Rimasson serait ainsi pressentie comme leader pour 2020.
De plus, décidé à enfin peser sur les plus grandes courses mondiales, il s’est offert le luxe de recruter Nairo Quintana accompagné de son frère Dayer et de son fidèle lieutenant Winer Annacona, mais a également réussi à s’attacher les services du grimpeur italien Diego Rosa et du sprinteur acquitain Thomas Boudat. Enfin, le manager breton a souhaité donner une nouvelle opportunité à Nacer Bouhanni de retrouver son niveau d’antan pour faire briller le maillot blanc et noir du Team Arkea-Samsic sur les podiums. Un recrutement particulièrement ambitieux qui place ainsi de facto la formation bretonne dans une nouvelle ère, celle de l’internationalisation, en réponse à la mondialisation de son sport. En traçant une ligne de fracture très nette entre l’avant et l’après 2020 avec le passage d’un effectif très majoritairement franco-français à une forme de panachage entre les différentes nations fortes du cyclisme, Emmanuel Hubert perd quelque peu l’identité de son équipe pour tenter de la remplacer par la gloire. Cette décision a de quoi faire tiquer parmi les suiveurs, regrettant l’époque où les équipes françaises n’alignaient quasiment que des coureurs issus de l’hexagone, mais pour passer un cap, cet acte se présentait comme nécessaire. Il appartient désormais au champion de France en titre et surtout à l’ancien vainqueur de la Vuelta et du Giro de porter haut et fièrement les couleurs du Team Arkea-Samsic la saison prochaine, pour amener leur formation à un niveau inédit dans son histoire. D’autant plus qu’un nouvel échec fracassant fragiliserait Emmanuel Hubert, aujourd’hui à l’aube d’une saison absolument décisive.
Par Jean-Guillaume Langrognet