Depuis la nuit des temps et l’apparition des premières compétitions cyclistes à la fin du XIXe siècle, les coureurs sont pris en mains par des doigts de fée à leur arrivée, afin de leur permettre de se remettre de leurs efforts et de s’élancer de nouveau le lendemain sans trop de courbatures. Aussi simple que cela puisse paraître, ces séances sont bel et bien fondamentales dans la récupération des athlètes, après des étapes traumatisantes pour les muscles des cuisses et des mollets. Alors que 117 ans après le départ du premier Tour de France, le cyclisme a bien changé, entre progrès techniques, métamorphoses économiques ou encore scientifisation de la discipline, cette relation entre coureurs et masseurs est donc restée vraisemblablement identique, les uns nécessitant les autres pour récupérer, les autres ayant besoin des uns pour exercer leur métier. Si ces fonctions sont exercées par des kinésithérapeutes, elles le sont aussi par des assistants sportifs multicompétents, disposant d’une formation spéciale en la matière. Ainsi, ce mardi, il s’agit de dresser le dernier portrait de notre mini-rubrique des professions de l’ombre qui font le cyclisme français, à travers le parcours de Delphine Deschamps, assistante sportive des temps modernes au sein du Team Arkea-Samsic.Delphine Deschamps, assistante sportive du Team Arkea-Samsic | © Team Arkea-Samsic
Son parcours :
Née en Seine-Maritime à Yvetot, commune réputée localement pour son église Saint-Pierre, fleuron de l’architecture d’après-guerre, Delphine Deschamps trouve rapidement la voie du cyclisme. Fille d’entrepreneurs locaux, passionnés de vélo, elle est immergée dès le plus jeune âge dans cet univers de ferveur et de bravoure par le biais d’un club amateur, le VS Vatteville-la-Rue, sponsorisé par la firme familiale et de week-ends entiers passés sur les compétitions régionales. Ainsi, la normande grandit aux côtés des bicyclettes, comme une filleule de la Petite Reine, avant d’avoir envie à l’adolescence de la chevaucher à son tour. Si son père donne priorité aux études dans un premier temps, c’est grâce à un vélo offert par son grand-père à l’occasion de ses 15 ans qu’elle participe à ses premières courses, se mêlant aux garçons dans une discipline encore trop peu féminisée pour effectuer une séparation entre les sexes. Dès lors, la folle aventure de Delphine Deschamps à deux roues est lancée.
Après l’obtention d’un bac F8 médico-social, elle profite ensuite d’un poste de secrétaire dans l’entreprise familiale pour conjuguer son métier avec une pratique assidue du cyclisme, pour se hisser progressivement parmi les meilleures amateures du pays. Si elle conserve longtemps ce statut, elle jouit cependant en 1999 d’une promotion chez les professionnels, dans la formation Jean Floc’h, comptant pour leaders Elisabeth Cheval-Brunel ou encore Marion Clignet. Elle connaît alors immédiatement le grand moment de sa carrière, avec une sélection sur la Grande Boucle féminine, disparue depuis. Mais ce passage chez les élites s’effectue en éclair pour la normande, qui raccroche la bicyclette au terme de la saison 2000, en quête de reconversion, prête à entamer une seconde carrière.
En effet, Delphine Deschamps se rend alors en Suisse pour y suivre une formation de masseuse spécialisée dans le domaine sportif, que ses connaissances de lycéenne au sujet de la morphologie des coureurs complètent bien. De retour dans l’hexagone, elle s’engage auprès des amateurs du VC Rouen pour y devenir assistante. Par la suite envoyée en Picardie du côté du CC Nogent-sur-Oise, elle y découvre selon ses dires un niveau d’exigence professionnel chez des amateurs confirmés et grands espoirs nationaux, à l’instar d’Arnaud Démare ou d’Adrien Petit, qu’elle a la chance de côtoyer au cours de ses 6 années passées dans l’Oise.
Progressivement, la qualité de ses soins et son goût croissant pour la fonction la rapproche de l’élite, à l’image de vacations estivales au sein de la formation Continentale d’Emmanuel Hubert, dénommée Bretagne-Séché-Environnement à l’époque. Finissant par convaincre son employeur de l’engager définitivement, elle signe un contrat à temps plein en 2014 au sein de l’équipe bretonne. En dépit de tous les changements d’appellations et des mutations de l’effectif, elle fait aujourd’hui partie des fidèles à son manager, désormais prête à voir les résultats du « Pro Cycling Breizh » décoller avec la forme éblouissante de Nairo Quintana et la fougue retrouvée de Nacer Bouhanni.
Son statut aujourd’hui :Delphine Deschamps dans le pullman du Team Arkea-Samsic | © Compte Twitter du Team Arkea-Samsic
D’une entreprise familiale, Delphine Deschamps est ainsi passée à une autre. Dans une formation aux ambitions croissantes mais au fonctionnement resté amical, elle noue de forts liens avec les coureurs. En effet, pour de nombreux cyclistes, la table de massage est parfois le lieu du débriefing de la course du jour, le moment de faire profiter de son bonheur ou de partager sa détresse. Vis-à-vis de sa fonction, la normande peut devenir à ce titre une interlocutrice privilégiée des athlètes, restant constamment à leur écoute pour entamer avec eux une discussion légère ou devoir à l’inverse trouver les mots justes pour les consoler de leurs déceptions.
Si ce moment est primordial dans son rapport aux « acteurs des projecteurs », il ne constitue qu’une partie d’une journée bien remplie, dans l’ombre du tumulte de la course. En effet, elle raconte se lever de bonne heure lors d’une journée d’épreuve pour préparer le petit-déjeuner des coureurs, voir leur confectionner quelques mets lorsqu’il n’y a pas de cuisinier, et en tout cas répondre à leurs besoins. Puis la matinée se poursuit avec la distribution des paniers de linge propre que le chauffeur de bus a lavé puis compose les musettes des coureurs et les lunchboxs du staff, avant de prendre la route. Sur le chemin de l’espace d’arrivée, elle fait étape sur la zone de ravitaillement pour distribuer aux coureurs leurs musettes. Le soir venu et la ligne franchie, elle rejoint alors la table de massage pour s’afférer sur les jambes des athlètes afin qu’ils puissent repartir le lendemain sans trop de courbatures.
Cette routine, la seinomarine la répète 200 jours par an. En effet, des classiques du Nord à la Grande Boucle, elle multiplie les kilomètres de route pour venir en assistance à ses coureurs sur les épreuves du calendrier UCI. Passionnée par la ferveur des courses belges, elle accompagne ainsi l’effectif du Team Arkea-Samsic sur les flandriennes puis les ardennaises en début de saison, avant d’avoir l’honneur d’officier sur le Tour de France au mois de juillet. Si sa fonction y reste globalement inchangée, malgré l’ampleur de l’évènement, elle y reçoit cependant davantage d’aide de la part d’un staff accru, notamment du côté de la cuisine où un chef professionnel s’occupe de la nutrition des cyclistes.
Toutefois, depuis l’entame de cette seconde carrière, Delphine Deschamps a assisté à l’apparition d’appareils de pressothérapie, sortes de bottes de récupération qui viennent compléter son travail. Très utiles pour les coureurs à domicile, elles les aident à repartir sur le chemin de l’entraînement au lendemain d’une sortie intense sans être gênés par des courbatures accablantes. Mais pas d’inquiétude pour les masseurs, leurs soins ancestraux appartiennent toujours à l’avenir de la discipline.
Par Jean-Guillaume Langrognet