Dans le petit monde du cyclisme tricolore, le directeur du Tour de France est un peu ce qu’est le Président de la République à l’Etat français. Brillant, intelligent, cultivé, charismatique, éloquent, populaire, telles sont les qualités requises pour une telle fonction. Il faut dire que, non pas depuis le perron du palais de l’Elysée, mais du toit de sa Skoda rouge décapotable, il règne d’une main de fer sur le peloton. Respecté par l’ensemble des coureurs et des équipes, il sait plaire à tout le monde, tout en tranchant, choisissant et décidant constamment. S’il n’a pas cette concentration des pouvoirs monarchiques dont jouit son homologue républicain, il réside tout de même au sommet de la pyramide hiérarchique, ayant son mot à dire partout et tout le temps dans le processus de construction et d’édification de la Grande Boucle. Avec Thierry Gouvenou, son fidèle bras droit, pour ne pas dire Premier Ministre, il trace chaque année un parcours encore plus innovant, encore plus passionnant, encore plus spectaculaire que le précédent. Entouré d’assistants et de multiples responsables de branches, tels ses vaillants ministres, il s’attache à préparer minutieusement chaque aspect de la mythique épreuve qu’il dirige, pour que la fête soit assurée. Et avec un tel gouvernement, la Grande Boucle grandit et se modernise chaque année, restant édition après édition à la pointe du cyclisme mondial, grâce à son budget considérable, mais aussi aux idées lumineuses de ses régisseurs. Si l’Histoire de la Ronde de Juillet est celle d’une évolution constante, son bilan marque cependant des avancées prodigieuses dans le format de course, entre étapes courtes et nerveuses et introduction massive de la moyenne montagne, réduisant drastiquement les mornes traversées de plaine. Ainsi, s’il n’a pas été élu par le jury populaire, il a été amplement adopté par les amoureux de la Petite Reine, heureux de trouver un roi à leur convenance. Son portrait, concluant la rubrique des 101 personnes qui font le cyclisme français, n’est d’ailleurs pas publié aujourd’hui par hasard. D’une part, il symbolise les 20 ans jours pour jours de Vélo 101, mais il met également en application le dicton « le meilleur pour la fin ». Car si ces 9 mois d’articles ont vu se succéder sur les pages de notre site des coureurs, managers, directeurs sportifs, mais aussi des organisateurs et des gouverneurs, ou encore des sponsors et des marques, il en est le dénominateur commun, en les réunissant tous chaque été, sur cette grande et majestueuse parade cycliste qu’est le Tour de France. Ce mardi 30 juin 2020, voici donc le portrait de Christian Prudhomme.
Son parcours :
Il dit n’avoir jamais rêvé de devenir directeur du Tour de France. Pourtant, tout l’y prédestine dès sa jeune enfance. A travers chacun de ses mots actuels, chacun de ses discours ou interviews, derrière son incroyable éloquence et sa maitrise absolument exceptionnelle de la parole, figure une passion enivrante pour la Petite Reine. Derrière ce conteur vivant qu’est Christian Prudhomme, capable d’attendrir n’importe quel cycliste en racontant ses multiples histoires, pensées et anecdotes, se cache un cœur d’enfant fiévreux. Nourri précocement aux longs directs de France Inter en juillet, aux articles dithyrambiques de L’Equipe ou du Parisien, à l’amour que son propre patriarche portait à la Ronde de juillet, cette vive chaleur qu’il ressent à l’égard du sport cycliste et de son épreuve phare n’est jamais retombée. Parisien de pure souche, Christian Prudhomme parcourt les milles et uns paysages français chaque été, confiné dans l’appartement parental, dans la fournaise de cette jungle urbaine. Et s’il passe ses après-midis assis sur le canapé, nul ne peut estimer ô combien il s’agite, remue, trépigne au fil des dires des commentateurs. Tantôt heureux, tantôt triste, au gré des aventures de ces héros, c’est une véritable série que ce supporter du RC Strabourg vit chaque année, redoutant systématiquement l’épisode final et la parade dans les rues de Paris, sachant qu’il faudra à nouveau attendre 49 semaines avant que le formidable cirque ne redémarre.
Bref, c’est l’oreille collée au poste de radio qu’il voit naître en lui, à 10 ans, une terrible envie de devenir journaliste sportif, afin de raconter la course à ceux qui ne peuvent pas la voir, de transmettre au grand public cet extraordinaire spectacle qu’animent les coureurs chaque jour durant un mois. Mais cette enfance heureuse marque aussi le moment de son intérêt croissant pour la culture et la littérature, dont la bibliothèque parentale est le témoin. En parallèle de l’institution scolaire, Christian Prudhomme s’instruit ainsi de toutes choses diverses et variées attisant sa curiosité, complétée par une lecture scrupuleuse et régulière des quotidiens et magazines sportifs. De cette expérience, le francilien en retire une avidité constante de nouvelles connaissances, cumulés à des talents naturels d’écrivain et d’orateur, soigneusement transmis par ses parents et leurs coutumes et fréquentations bourgeoises, selon la sociologie Bourdieusienne.Dans son ouvrage « Le Tour de France, coulisses et secrets », Christian Prudhomme évoque longuement sa passion d’enfance pour la Grande Boucle | © Editions Plons
Effectivement, si le jeune homme ne suit pas la voie paternelle en médecine, il se lance à son tour dans de prestigieuses études de journalisme, à l’école de Lille, étoile montante de la matière, et future concurrente des grands instituts parisiens. Élevé de niveau moyen au lycée, titulaire d’une mention assez bien au Bac D, Christian Prudhomme s’y révèle, aussi bien personnellement que scolairement. Promu major, il apprend aussi beaucoup de la vie en autonomie, hors du cocon familial. Il gagne ainsi en assurance, élément essentiel d’un métier dans lequel il ne tarde pas à prouver ses qualités. Bercé à la radio, il fait logiquement ses classes dans le « média de la parole », chez RTL, avant de participer à l’excitante aventure du lancement de La Cinq en 1986. Chaîne éphémère, malheureusement disparue six ans plus tard, elle occupe cependant une place particulière dans son cœur, pour tous les bons moments qu’il y passe, et l’enthousiasme que ce challenge lui transmet.Christian Prudhomme sur La Cinq | © Toute la Télé
Mais cette vive blessure sentimentale rapproche aussi Christian Prudhomme de sa première passion : le Tour de France. Transfuge chez Europe 1, il se retrouve immergé au cœur de la course en 1995 et 1996, en qualité de reporter-moto. Plongé dans l’effervescence du peloton, côtoyant de près les coureurs, spectateur privilégié d’un cirque féérique, il en garde un formidable souvenir, et même une certaine nostalgie. Et s’il prend personnellement du plaisir, son travail extasie aussi nombre d’auditeurs et confrères. Tout à fait excellent dans ses commentaires et sa manière exhaustive de décrire avec soin son champ de vision, il tape dans l’œil, ou plutôt dans l’oreille, de Charles Biétry, patron des sports de France Télévision, qui l’envoie en cabine commenter la Grande Boucle pour le service public, prenant ainsi la succession de Patrick Chêne. Si ce dernier était incontestablement bon dans l’exercice et agréable à l’écoute, vibrant systématiquement lorsque la course s’animait, Christian Prudhomme s’avère alors être un virtuose dans l’exercice. Alors que le grand public découvre ce quasi-inconnu, il ne tarde pas à l’adorer, avec son ton calme et son flux de parole doux et éloquent. Le Francilien respire le Tour, et sa voix est embaumée de passion. Et il en parle si bien qu’il la transmet à l’ensemble des foyers français aux téléviseurs allumés, qu’il parfume les intérieurs de l’allégresse du Tour, à des heures pourtant bien sombres de la Petite Reine.
Et le voilà qui passe trois ans plus tard de son rêve d’enfance à un sommet qui lui a toujours paru inimaginable d’atteindre. Certes, il lui arrivait autrefois de dessiner dans son imaginaire des parcours idéaux, mais jamais il n’aurait pensé revêtir réellement de telles responsabilités. C’est pourtant une telle fonction que lui confie Jean-Marie Leblanc en 2004, qui fait de lui son digne successeur. Si les deux hommes évoluent d’abord en tandem pendant trois ans, Christian Prudhomme prend seul les rennes à partir de 2007, et ne les a plus jamais lâchés. Pour le plus grand bonheur des fans de la Petite Reine.
Son statut aujourd’hui :
En effet, le parisien constitue aujourd’hui un formidable directeur du Tour de France, et ce sur de nombreux points. Tout d’abord, son charisme et à la hauteur de l’évènement. Jouissant d’une autorité naturelle, capable de régler les problèmes sans hausser le ton, le francilien impressionne aussi par sa culture et la beauté de ses mots, qui font de lui une personnalité admirée et reconnue dans le milieu. Sa passion d’enfance pour la Petite Reine, ainsi que tous les souvenirs qui en découlent, mais aussi la richesse de ses connaissances vis-à-vis d’époques antérieures, le portent à la hauteur de ses prédécesseurs, s’encrant eux-aussi dans la légende de l’épreuve.
De plus, bon vivant et gros gourmand, Christian Prudhomme est partisan d’une « diplomatie à la Chirac ». Un peu franchouillard sur les bords, le parisien est un amoureux de la gastronomie française et en connaît les nombreux bienfaits psychologiques, si bien que c’est souvent autour d’une table qu’il règle les conflits ou conclue des accords. Particulièrement attaché au terroir français, il a même pour principe de ne jamais refuser un verre offert par un élu local ou des associatifs, prêtant ainsi attention à faire honneur aux collectivités territoriales, et à leurs spécialités régionales. Autrement dit, loin de se résumer aux quelques heures de courses de l’après-midi, les journées de Christian Prudhomme sont toujours bien remplies, et ne s’arrêtent que tard dans la nuit pour reprendre au chant du coq le lendemain matin. Une vie épuisante, mais captivante.
Enfin, si l’homme est une perle, le directeur du Tour de France possède également de fantastiques facultés d’organisateur. Avec son équipe bien rodée et son brillant bras droit Thierry Gouvenou, il a révolutionné en l’espace d’une décennie la Ronde de Juillet, pour la rende plus vibrante, plus vivante, plus prenante qu’autrefois. Alors que l’épreuve était en proie à l’hégémonie de l’US Postal, empêchant toute attaque adverse, et subit aujourd’hui l’impitoyable joug du Team INEOS, le parisien se démène continuellement pour désamorcer de telles stratégies de contrôle de la course. Ainsi, si la Grande Boucle a longtemps compté de très longues étapes, décourageant les coureurs d’attaquer de manière précoce, il a introduit des formats très courts, passant sous les 100 kilomètres, pour que l’ensemble du parcours devienne le terrain d’une bataille acharnée. Et ça marche ! L’exaltante course poursuite entre Saint-Girons et Foix en 2017 ou l’explosive étape entre Bagnères-de-Luchon et Saint-Lary-Soulan en 2018 illustrent d’ailleurs cette réussite majeure de l’ère Prudhomme. De même, le directeur du Tour de France a aussi fait de sa course le théâtre d’une bataille continue de trois semaines, réduisant les étapes dites « de transition » au strict minimum pour privilégier à l’inverse des parcours piégeux et nerveux, propices aux attaques et aux numéros de baroudeurs et puncheurs, dont Julian Alaphilippe s’est d’ailleurs servi de tremplin pour partir à la conquête du maillot jaune l’année précédente. Sur ce point, l’émergence d’une nouvelle génération d’attaquants-nés, emmenés par les pépites françaises, mais aussi le colombien Egan Bernal ou encore le slovène Tadej Pogacar, cumulée à la généralisation de tels tracés sur la Grande Boucle, ont fait à nouveau de l’épreuve le lieu d’un spectacle enivrant, rappelant par son niveau d’animation l’irrespirable édition 1989, lorsque Laurent Fignon s’était finalement incliné pour huit petites secondes sur les Champs-Elysées face à Greg Lemond. Et avec son parcours brillamment audacieux, le Tour de France 2020 devrait répondre à de telles promesses.
Par Jean-Guillaume Langrognet