Il était un incroyable junior, un merveilleux espoir et un fantastique néo-pro. Il incarnait le renouveau du sprint français, son retour au sommet de la hiérarchie mondiale, la renaissance de chances de succès sur un tiers des étapes du Tour de France. L’hexagone pensait avoir trouvé son premier homme canon depuis la mue de Laurent Jalabert en un puncheur-grimpeur dans les années 1990, imbriqué dans une génération dorée de jeunes coureurs aux promesses enivrantes. Parmi eux, certains ont conquis les plus hautes cimes du cyclismes mondiales : Romain Bardet, auteur de deux podiums sur la Grande Boucle ; Thibaut Pinot, fréquemment au niveau des meilleurs sur les Grands Tours. D’autres ont terriblement déçu : Nacer Bouhanni avec un seul bouquet sur un Grand Tour depuis 2014 ; Warren Barguil, trop irrégulier selon les saisons malgré une excellente Vuelta 2013 et un fantastique Tour 2017. Lui a toujours été placé, mais n’a jamais percé. En dépit de ses 61 victoires professionnelles, il n’est jamais parvenu à dominer à la régulière les cadors des emballages finaux pour régner en maître sur le dangereux monde du sprint. Allant de déceptions en déceptions sur les classiques pavées, il n’entrevoit la victoire sur les courses majeures que lorsque la concurrence est faible ou diminuée. Pire : au fil des années, il semble régresser dans la hiérarchie. Double champion de France dans ses premières années puis vainqueur du monument qu’est Milan – San Remo en 2016, il s’éloigne désormais de la lumière offerte aux vainqueurs pour rester dans l’ombre de ses dauphins, ou s’enfermer sur des épreuves de moindre mesure. Voici donc le portrait de cet homme souvent vainqueur mais tout aussi régulièrement frustrant, celui d’Arnaud Démare.Arnaud Démare tete | © Equipe cycliste Groupama-FDJ
Son parcours :
Arnaud Démare est un homme de l’Oise, un authentique picard. Pas étonnant donc que le beauvaisien ait davantage travaillé sa pointe de vitesse plutôt que sa faculté d’escalader les montées. Fils de deux parents unis par l’amour de la Petite Reine, il tombe rapidement dans la marmite du vélo, et s’abreuve du délicieux breuvage jusqu’à l’abus. Saoulé d’histoires, de mythes et de légendes, irrésistiblement attiré par sa petite bicyclette avant même qu’il ne soit lâché sur deux roues, il pénètre pour la première fois dans le local d’un club à seulement cinq ans. Le vélo étant décidément une affaire de famille chez les Démare, il y retrouve son oncle qui le prend sous son aile pour lui faire découvrir les joies de l’école de cyclisme. D’abord sur un VTT, puis sur un vélo de route, il grandit dans cet environnement chaleureux et agréable, liant dès le plus jeune âge le vélo à sa vie, jusqu’à l’en rendre inconditionnel. Se découvrant un intéressant potentiel en cadet, en terminant notamment 3e du championnat de France de la catégorie en 2007, il rejoint l’année suivante pour Nord-Pas-de-Calais pour revêtir le maillot du Team Wasquehal Junior, placé sous le giron de l’ancien coureur professionnel, Hervé Boussard.
Dès lors, tout s’accélère pour le beauvaisien. Constamment étonnant, détonnant par sa pointe de vitesse inouïe et ses facultés de résistance dans les bosses, il devient un coureur de championnats, faisant de la longueur et de la sélectivité des parcours un atout pour briller lors des sprints en comité réduit dans les derniers mètres. 3e des championnats européens en juillet puis dauphin de Jasper Stuyven sur les championnats du monde juniors en août, il se révèle progressivement comme l’une des précieuses pépites du cyclisme tricolore.
C’est en 2010 qu’il retrouve son rival de toujours, Nacer Bouhanni, qu’il s’apprête à suivre durant une longue partie de sa carrière. Coéquipiers au sein du CC Nogent sur Oise, les deux hommes s’avèrent rapidement être de véritables concurrents, luttant pour la le leadership absolu de la formation, jusqu’au point que celle-ci devienne néfaste. Empêtrés dans une guerre des égos aux championnats d’Europe espoirs, les deux coureurs ratent de peu la victoire. Par la suite 5e des championnats du monde et sacré Vélo d’Or France Espoir par le mensuel Vélo Magazine, Arnaud Démare surpasse continuellement les attentes placées en lui, suscitant dès lors un optimisme accru quant à sa future carrière professionnelle.
Celle-ci se concrétise d’ailleurs en 2011. Après une victoire sur la Ronde Picarde et une quatrième place au terme de Paris-Roubaix espoirs, l’oisien est recruté comme stagiaire par la formation FDJ à partir du 1er août, sas d’apprentissage avant la véritable entrée dans le monde élite. D’ailleurs, celle-ci est catalysée et assurée par sa performance époustouflante lors des championnats du monde U23, où il s’adjuge la médaille d’or lors d’un sprint massif, devant son compatriote Adrien Petit. Dès lors, il incarne l’avenir florissant du cyclisme français.
Définitivement recruté au sein de l’équipe dirigée par Marc Madiot pour la saison 2012, le picard ne tarde pas à décrocher son premier succès professionnel. Vainqueur de la dernière étape du Tour de Qatar, il enchaîne immédiatement avec trois autres succès en début de saison, avant d’être propulsé sur les routes du Tour d’Italie. Accumulant les accessits prometteurs, il débarque sur les championnats de France en tant que coleader de la FDJ, aux côtés de son ennemi intime, Nacer Bouhanni. Coiffé au sprint par le lorrain, Arnaud Démarre se rattrape en fin de saison en remportant sa première classique de renom à Hambourg, devant le monstrueux André Greipel.
2013 est l’occasion d’une découverte approfondie du World Tour, des classiques printanières d’Italie aux courses flandriennes, en passant par les épreuves par étapes du début de calendrier. Si elles ne sont pas immédiatement fructueuses pour le picard, elles constituent en revanche de riches sources d’expérience pour les années futures. En glanant pas moins de huit succès pour cette deuxième saison dans les rangs professionnels, Arnaud Démare confirme les espoirs placés en lui.
Continuant sur cette formidable lancée, le picard réalise une saison 2014 à l’image de son potentiel : écrasant les épreuves de second rang, récoltant ainsi 15 bouquets en 81 jours de courses, le beauvaisien s’affirme au sommet de la hiérarchie du sprint français lors des championnats de France du Futuroscope, prenant là une belle revanche sur son coéquipier Nacer Bouhanni. Toutefois, aligné pour la première fois sur le Tour de France par sa formation, le picard ne parvient pas à s’y exprimer pleinement, accumulant davantage de frustration que de top 10 (seulement deux au total).
Vêtu de son beau maillot aux lisérés tricolores, le français connaît en 2015 sa première année compliquée, constatant d’une manière inédite que le travail ne paie pas systématiquement. Après de premiers mois ratés, il ne parvient pas à peser sur le déroulement des classiques flandriennes, tombant dans l’anonymat des classements. De nouveau aligné sur la Grande Boucle, il y peine encore à se frayer un chemin dans les lignes droites finales, gêné par le flux constant et infernal des multiples trains de sprint présents.
Pour l’oisien, l’éclat revient en 2016. Et comment ! Distancé par une chute à 30 kilomètres de l’arrivée sur Milan – San Remo, il lutte avec ses équipiers pour revenir sur un peloton lancé à pleine vitesse dans la bataille du placement. Revenu de justesse au pied du Poggio, le picard s’emploie pour rester dans les roues après son violent effort de poursuite, et réussit même à se faufiler jusque dans les premières positions d’un peloton réduit à une trentaine d’unités. Débarrassé des sprinteurs les plus puissants et même sans le soutien de la majorité de ses équipiers, lâchés au préalable, Arnaud Démarre surclasse les cadors restant pour s’imposer avec panache sur la Primavera, devenant là le premier français à remporter un monument au XXIe siècle, 19 ans après le sacre de Laurent Jalabert sur le Tour de Lombardie.
En dépit d’une fin de saison rare en succès, la victoire du français déclenche au sein de sa formation une vague d’arrivée afin de lui constituer un train digne de ce nom. Avec les recrutements de Davide Cimolai, de Giacopo Guarnieri ou encore d’Ignatas Konovalovas, la FDJ offre de beaux propulseurs à la fusée Démare. Le résultat ne tarde pas à venir. Seul coureur à suivre Julian Alpahilippe dans la première étape de Paris-Nice, il est le premier leader de la course au soleil. 6e de Milan – San Remo, 6e de Paris-Roubaix, vainqueur de la deuxième étape du Critérium du Dauphiné puis de nouveau champion de France, il réalise un début de saison de haute-volée. Pourtant, l’apogée de sa saison n’intervient qu’au mois de juillet. De retour sur le Grande Boucle grâce à la priorité donnée par Thibaut Pinot au Tour d’Italie, il profite d’une arrivée chaotique à Vittel pour s’y imposer, maillot bleu-blanc-rouge sur le dos. Une consécration pour le français, mais aussi une belle revanche par rapport à la frustration accumulée lors des années précédentes, entre non-sélections et résultats décevants.
Thibaut Pinot retentant sa chance sur le Giro en 2018, Arnaud Démare en profite pour doubler la mise sur la Ronde de Juillet. Surclassé par les cadors du sprint mondial lors des deux premières semaines, accumulant les places d’honneur, le coureur de la Groupama-FDJ profite d’une vague ahurissante d’abandons de sprinteurs lors de cette 105e édition pour se débarrasser de tous ses tombeurs, et régler Christophe Laporte à Pau. Un succès rafraichissant, mais ne masquant toutefois pas sa relative faiblesse face à une concurrence plus relevée.
D’ailleurs, ce schéma se répète lors du Tour d’Italie 2019. Une nouvelle fois privé de Tour par Thibaut Pinot, Arnaud Démare fait de la course italienne son principal objectif de l’année. Systématiquement battu par la puissance de Fernando Gaviria, la fougue de Caleb Ewan en première semaine, ou encore la force de Pascal Ackerman, le beauvaisien profite de l’abandon précoce du colombien et de la chute de l’allemand au cours de la 10e étape pour lever enfin les bras, et goûter pour la première fois à la saveur d’un bouquet sur le Giro. Endossant le maillot cyclamen du classement par points quelques jours plus tard, le français s’en fait détrousser par le coureur de la Bora-Hansgrohe lors de la dernière arrivée au sprint, piégé par sa gourmandise, alors qu’il aurait simplement pu laisser la victoire aux échappés. Un évènement assez révélateur de la carrière de l’oisien : parfois vainqueur mais souvent frustré. Arnaud Démare, porteur du maillot cyclamen sur le Giro 2019 | © Equipe cycliste Groupama-FDJ
Son statut aujourd’hui :
Premier sprinteur dans la hiérarchie de la Groupama-FDJ depuis le départ de Nacer Bouhanni chez Cofidis en 2015, Arnaud Démare ne semble pas non plus voir son leadership mis en cause par l’avènement du jeune Marc Sarreau, encore trop juste dans les grandes courses. Alors que de nouvelles générations de sprinteurs emplis de talents et gonflés d’explosivité ne cessent d’émerger, à l’image de Dylan Groenewegen ou de Jasper Philipsen, le picard est contraint de se rabattre sur des épreuves à la concurrence moindre pour espérer lever les bras. A nouveau privé de Tour par Thibaut Pinot, il s’apprête à se lancer une deuxième année consécutive à l’abordage du Giro, en espérant améliorer sa marque de l’édition passée. Mais si les arrivées dans l’effectif de Simon Gugliemi et de Fabian Lienhard consistent à renforcer son train de sprint, elles ne sont toutefois pas à la hauteur de la constitution des armadas de Deceuninck Quick-Step, de la Bora-Hansgrohe ou encore du Team UAE- Emirates. Or, cette faiblesse de train additionnée à un déficit de puissance intrinsèque pourrait bien cantonner définitivement Arnaud Démare aux places d’honneur…
Par Jean-Guillaume Langrognet