Lapierre, « Plus qu’une marque, un nom » dit le slogan. Pourtant, après trois générations à la tête de cette modeste société bourguignonne, la lignée éponyme passe aujourd’hui le témoin à des personnes extérieures. Le départ de la direction de Gilles Lapierre, petit-fils du fondateur, sonne l’entrée de l’entreprise dans une nouvelle ère, plus symbolique qu’effective. En effet, dans une enseigne autant marquée par la patte de sa famille génitrice, nul doute que le savoir-faire attaché à ce patronyme saura perdurer, tout en avançant avec son temps, dans un cyclisme méconnaissable par rapport à celui du temps de Jean Robic, de Gino Bartali ou de Fausto Coppi. L’évocation de ces noms fait référence à une période de sortie de guerre, marquée par la nécessité de reconstruction du nouveau monde sur les ruines de l’ancien, dans un contexte de renaissance de l’industrie. A l’aube des Trente Glorieuse, un petit fabricant de cycles, Gaston Lapierre, se lance dans la conception de vélomoteurs et de motos dans son usine de Dijon. La passation de pouvoir du paternel à son fils, dans les années 60, entame alors une lente transition de la société, des moteurs vers les pédales, des boites de vitesses vers les dérailleurs, pour confectionner de plus en plus de bicyclettes. Ainsi, en 1972, un bâtiment entier est dédié à la création de vélos et de pièces détachées, qu’il expose au public. Peu à peu, les cycles Lapierre deviennent une référence pour le public français, un gage de qualité. L’explosion du VTT au cœur des années 80 en fait la marque phare de la discipline, grâce à une parfaite anticipation du phénomène et à l’excellence des pilotes tricolores dans le domaine. Les ventes dans le secteur n’en sont que boostées. A la fin des années 90, la cession de l’ensemble des parts de la société à Accell lui permet de mieux grandir dans un groupe de plus grande envergure, dans un marché devenu hostile aux petites marques isolées. Ce passage marque d’ailleurs l’accession du troisième et dernier Lapierre aux manettes, en la personne de Gilles. Depuis, l’enseigne ne cesse de croître et de multiplier les partenariats, du VTT à la route, et engrange les succès sur le Tour en équipant les talentueux coureurs de la Française des Jeux. Figurant parmi les principaux protagonistes du marché de cycles français, nom privilégié par les débutants nationaux, Lapierre fait indubitablement le cyclisme tricolore. Après la lignée éponyme, elle a actuellement trouvé son nouveau visage en la personne d’Alexandre Carrié, directeur commercial devenu directeur général par intérim. Voici donc son portrait.Alexandre Carrié | © Compte Linkedln d’Alexandre Carrié
Son parcours :
Dès l’adolescence, Alexandre Carrié comprend qu’il préfère la Petite Reine à l’Ecole. Féru de BMX après quelques essais peu concluants sur le vélo de route de son père, le jeune garçon se livre corps et âme aux acrobaties coutumières de la discipline. Associant force et sensations, ce sport en plein essor lui offre une formidable voie de divertissement, l’emmenant même sur les compétitions de la région parisienne, où il s’amuse allègrement sans pour autant se distinguer remarquablement. Puis l’explosion du VTT et l’apparition des premières épreuves internationales l’attire irrésistiblement vers les chemins au franchissement de la décennie 1990. Très vite, le natif de Corbeille sur Essonne devient un ultra, un fada, un fondu. Passant l’essentiel de son temps libre sur sa machine, il parcourt les compétitions françaises, porté par un vent de folie soufflant sur la discipline. Des 3 jours et 270 kilomètres de la Piste Aveyronnaise aux manches de la Coupe de France, Alexandre Carrié devient alors un amateur confirmé et un passionné assouvi, sans pour autant se rêver piloter chez les élites. Bouclant ses années records avec 17 000 kilomètres au compteur en complétant sa formation de vététiste par des excursions sur la route ou dans la boue des cyclo-cross, il n’envisage plus avenir sans bicyclette.Alexandre Carrié en action sur la cyclosportive du Tour des Flandres 2018 | © sportograf.com
Ce lien naissant avec le vélo s’apprête alors à guider la vie et le parcours du francilien, désormais inséparable de sa passion. Déçu d’un système scolaire sans appétence pour lui, il s’engage très tôt dans une voie professionnalisante, au gré d’études sous contrat de qualification chez Décathlon, enseigne où sa connaissance du sport peut être exploitée. Dans ce contexte nouveau, l’essonnien peut enfin s’épanouir, et comprendre que si l’Ecole ne l’avait pas séduit, le travail peut au contraire lui plaire. Remotivé par cette expérience bénéfique, Alexandre Carrié se lance alors sur le tard dans un cursus universitaire, en suivant un BTS en Action Commerciale puis intégrant une école de commerce (DESMA) pour parfaire sa formation. Si le francilien connaissait déjà son désir de travailler dans la vente et le sport, le voilà désormais mieux armé pour faire grandir ses rêves.
Un coup de pouce du destin l’aide alors au décollage, pour ce glorieux retour dans la vie active. Un ami rencontré chez Décathlon ne pouvant faire honneur à son recrutement chez Véloland, ayant finalement décidé de rejoindre Oxbow, glisse alors à l’enseigne de distribution de cycles le nom d’Alexandre Carrié. Le contact est pris et s’effectue en bon termes, le francilien retrouve ainsi le monde de la Petite Reine, dans lequel il est désormais en mesure d’apporter une véritable expertise commerciale. Heureux de participer à cette aventure conduite par Pierre Naugré, précurseur dans le domaine du retail en magasin, l’essonnien quitte toutefois le navire après la fusion avec la Compagnie du Vélo. De retour chez Décathlon pour un court intermède, Alexandre Carrié est une nouvelle fois aidé par un réseau particulièrement développé, véritable toile de cyclistes tissée au fur et à mesure de ses multiples expériences dans la discipline. En effet, grâce à l’appel d’un ami, Pascal Navarro, passé de Cannondale à Look, le francilien est recruté pour s’occuper des affaires commerciales de la marque nivernaise dans la région Nord-Ouest. Il y reste sept ans, jusqu’en 2009, pour sa première collaboration de longue durée avec une société. Mais ses activités n’en sont pas pour le moins diverses. Responsable commercial régional au départ, il enchaîne les postes et les titres en devenant successivement chef de produits pédales et textiles, avant d’être chargé des premiers vélos complets commercialisés par l’entreprise, puis de mettre à profit ses relations avec Décathlon pour instaurer un lien privilégié entre Look et le revendeur. Parti en tant que responsable du business sur l’ensemble du territoire français, il aide alors Fulcrum, constructeur italien de roues, à se lancer dans l’Hexagone, en qualité de directeur commercial national. Satisfaisant dans sa fonction, il tape ainsi dans l’œil de Gilles Lapierre à l’automne 2011, à la recherche d’un nouveau responsable des ventes. Le transfert a lieu en janvier 2012, Alexandre Carrié rejoignant la Bourgogne pour ne plus jamais la quitter. Si l’essentiel de son activité est d’ailleurs resté similaire, son secteur d’exercice s’est quant à lui retrouvé modifié en septembre 2018, lorsque le groupe Accell se réorganise par régions. De directeur commercial de Lapierre sur le territoire français, le francilien d’origine se voit également confier la responsabilité des marques Haibike, Winora et Ghost sur l’ensemble de l’Europe du Sud, comprenant également l’Espagne, le Portugal et l’Italie. A la suite du départ de Benjamin Huguet, directeur général chez Cannondale, Alexandre Carrié se voit même promu à sa fonction par intérim, dans l’attente de la tenue d’élections.L’Experience Center de Lapierre à Dijon | © Cycles Lapierre
En outre, si le natif de Corbeille-sur-Essonne est parvenu à faire carrière dans le commerce de la Petite Reine, il n’a pas abandonné sa pratique pour autant. Si les 17 000 kilomètres annuels se sont drastiquement réduits faute de temps, le plaisir a naturellement perduré, et l’envoie désormais sur des cyclosportives du monde entier, sur les pas des professionnels, grâce à l’apparition de cyclosportives associées à de mythiques épreuves, à l’image des Strade Bianche. De quoi se rendre compte de la difficulté de telles courses, mais aussi de leur grandeur !
Lapierre aujourd’hui :
Plus de 70 ans après sa fondation, la société bourguignonne n’a jamais été aussi rayonnante. Multipliant les partenariats, poursuivant l’augmentation de ses ventes, Lapierre s’est installé d’une part comme une figure majeure des cycles français, mais aussi comme une référence internationale en route et VTT.
Tout d’abord, l’enseigne jouit d’un exceptionnel phare brandissant et exhibant son nom sur l’ensemble des courses du World Tour, l’emmenant jusqu’aux podiums du Tour de France. En effet, équipementier officiel de la Française des Jeux (désormais nommée Groupama-FDJ) depuis 2002, Lapierre a triomphé sur Milan – San-Remo et le Tour de Lombardie par l’intermédiaire d’Arnaud Démarre et Thibaut Pinot, glanant également 12 bouquets sur le Tour, 6 sur le Giro et 9 sur la Vuelta, remportant au passage 3 classements annexes sur les Grands Tours. Mais au-delà de l’aspect purement commercial, ce partenariat offre aussi à l’enseigne l’occasion d’un développement technique de leurs produits destinés au haut-niveau, en collaboration avec des professionnels. La mise au point du fameux Aerostorm, ayant permis à Thibaut Pinot de remporter le contre-la-montre du Tour de Romandie et les championnats de France de l’exercice en 2016, en est l’exemple le plus marquant.
Mais au-delà de l’étendard de la formation de Marc Madiot, Lapierre équipe également ses déclinaisons féminines et Continentales, brillant ainsi en Women World Tour comme chez les Espoirs, et s’insère également dans le monde amateur via son sponsoring avec l’Union Cycliste Nantaise Atlantique en DN1. Mais ces partenariats dépassent amplement la route, pour s’étendre jusqu’en triathlon, auprès d’athlètes du célèbre club de Poissy, leader national dans la discipline. Fervent supporter de l’équipe de France olympique, Lapierre y soutient donc Cassandre Beaugrand ou Dorien Coninx, véritables chances de médaille dans la discipline.
Si Lapierre est également présent en VTT ou en cyclo-cross, la marque doit en revanche rattraper son retard au niveau du gravel, bicyclettes mi-route mi-cyclocross destiné à l’aventure. Surtout, alors que les vélos à Assistance Electrique font une apparition tonitruante sur le marché, offrant aux plus âgés une seconde jeunesse, la marque bourguignonne s’apprête également à se lancer dans un marché extrêmement prometteur pour l’avenir, dans un pays à la population vieillissante et à l’espérance de vie élevée.
Alors si l’entreprise avait encore de beaux jours devant elle avant la plongée de la planète dans la pandémie de Covid-19, elle doit désormais compter sur les Etats pour soutenir financièrement leurs populations, et ne pas faire s’écrouler le château de carte du marché. Car aussi puissante qu’elle puisse l’être, chaque entreprise a besoin de ses clients pour vivre. Et pour un fabricant de cycles, la première nécessité est qu’ils puissent de nouveau rouler.
Par Jean-Guillaume Langrognet