Warren, nous vous avions laissé blessé à la sortie du Dauphiné, comment vous sentez-vous juste après la Vuelta ?
La grosse différence avec le Dauphiné c’est que je n’ai pas les séquelles de ma chute, évidemment. Aujourd’hui, je me sens bien. J’ai bien récupéré, je me sens pleinement opérationnel. J’ai aussi pu profiter de ma famille et de mes proches. Je suis dans un très bon état d’esprit et j’aborde la suite avec optimisme.

En parlant de chutes, vous étiez au bord de l’abandon sur la 10ème étape de la Vuelta, quel rôle a joué l’encadrement pour que vous repartiez avec le succès que l’on sait ?
Je reconnais qu’après la chute, j’avais vraiment très mal. J’étais comme collé au bitume. Je n’aime pas abandonner. Je me suis dit que je n’allais pas lâcher. Kenny Elissonde avait lui aussi chuté. Je l’ai encouragé toute la journée à ne pas lâcher et à se remobiliser. Cela m’a remotivé moi aussi. On s’est renforcé mutuellement et on a pu panser les plaies le lendemain avec la journée de repos. Je dois encore remercier Thierry Hupond et Marc Reef, mon directeur sportif qui m’ont soutenu mentalement et qui m’ont constamment répété que j’allais y arriver.

Ce n’était pas tout de rallier l’arrivée, il fallait repartir le surlendemain…
Je tiens à préciser que j’ai vu mon ostéopathe le soir de l’étape de Peyragudes le dimanche qui suivait. Il avait prévu de venir sur le Tour d’Espagne, et il est venu ce soir-là. Il est intervenu, mais les séquelles de la chute avaient pratiquement disparu. Le jour où j’ai chuté, je dois dire que j’ai eu de très bons kinés qui m’ont traité aux petits oignons. Ils se sont occupés de moi de manière ultra pointue avec notamment des drainages lymphatiques sur les plaies. J’étais particulièrement touché au niveau du genou et tous les soirs je mettais de la glace. J’ai très bien récupéré, et ils y sont pour une très grande partie. J’ai aussi un bio-mécanicien qui me suit régulièrement. C’est lui qui m’a suivi pour mon problème de dos en début de saison. Il m’a remis d’aplomb. C’est un ami qui me l’a recommandé. Il allait peut-être finir paralysé et il l’a sauvé. C’est dire si j’ai confiance en lui et s’il est compétent.

Parliez-vous de vos douleurs avec les membres de l’équipe ?
J’avais très mal, mais je ne voulais pas trop m’épancher là-dessus. C’était ma première Vuelta, mon premier Grand Tour. Je ne voulais pas « faire peur » à mes coéquipiers en évoquant l’idée d’abandonner.

Revenons sur les plus beaux moments de votre Vuelta, laquelle de vos deux victoires est la plus belle à vos yeux ?
Incontestablement, la plus belle, c’est la première ! C’était ma première victoire chez les pros, ma première victoire dans un Grand Tour. Forcément, c’est ce qui marque le plus. Certes, je bats le vice-champion olympique sur la deuxième, mais je mettrai en avant la première victoire où en plus je gagne seul.

Vous a-t-on conseillé sur ce final, ou avez-vous couru à l’instinct ?
C’est relativement simple. Mon directeur sportif sait que dans le final d’une étape, j’ai juste besoin d’un gel et d’un bidon. Au mieux qu’il me donne les écarts. Pour le reste, je n’ai absolument besoin de rien d’autre. J’avais déjà fait le coup du kilomètre, c’est une situation que j’avais déjà connue et que je sais gérer. Tout s’est fait à l’instinct. Je savais qu’il y avait un paquet de costauds et surtout des coureurs qui avaient beaucoup plus d’expérience que moi comme Egoi Martinez ou Michele Scarponi. Je l’ai joué à l’instinct et ça a marché. Ça restera marquant dans ma carrière. C’est la même chose pour ma deuxième victoire.

Ce jour-là, votre sérénité a impressionné…
J’ai vu qu’Uran rentrait et je me suis dit qu’il fallait récupérer le plus vite possible. J’ai ralenti volontairement, d’autant plus que le vent soufflait fort sur le haut. Je devais bien récupérer, rester serein. J’ai anticipé ce que je devais faire et j’ai donc contré Uran quand il m’a attaqué. Je suis tout de suite revenu à son niveau pour lui montrer que j’étais encore là et que je ne lâcherai pas la victoire d’étape.

Vous faites le sprint avec votre chaussure gauche desserrée. Expliquez-nous.
En fait, je l’ai desserrée quelques kilomètres auparavant. J’ai le pied gauche qui est un peu plus grand et un peu plus creusé que le pied droit. Mes parents m’ont mal fait (il rit). J’ai donc préféré desserrer ma chaussure avec les boucles micrométriques, car j’avais un peu mal au pied gauche. Il faut d’ailleurs que je demande à Shimano de faire quelque chose. Peut-être avoir une chaussure gauche un peu plus grande, car je suis un peu déformé et je n’ai pas des pieds parfaits. À un moment avant le sprint, je veux resserrer ma chaussure, mais Uran lance plus tôt que ce que j’avais anticipé. Je n’ai donc pas eu le temps de resserrer ma chaussure et je fais le sprint comme cela, ce qui ne m’a pas empêché de gagner.

La dernière image marquante de votre Vuelta intervient dans la 19ème étape : vous attendez Thibaut Pinot dans l’Alto del Naranco. Pourquoi ?
J’ai vu que j’avais sauté en même temps que lui. Très honnêtement, je pouvais m’accrocher encore un peu au groupe devant. Mais j’ai préféré me laisser décrocher. J’ai vu qu’il n’avait plus d’équipier. Quelque part c’est un service rendu à l’ensemble de la famille Pinot et pas seulement à Thibaut. Son frère, Julien est mon entraîneur. Au travers de ce geste-là, je voulais le remercier. Je n’avais plus d’ambition au général, je voyais que Thibaut était dans le dur et sans équipier. L’objectif était de lui permettre de garder sa place au général.

Après la Vuelta, espérez-vous poursuivre votre progression en passant par le Giro ou faire vos débuts sur le Tour ?
Clairement le Tour ! Je n’ai pas envie d’aller au Giro. L’année prochaine, seuls le Tour et la Vuelta m’intéresseront. Je ne suis pas du tout candidat au Giro. Mes deux victoires à la Vuelta viennent compléter les performances d’Argos-Shimano sur les Grands Tours et notamment les quatre victoires de Marcel Kittel sur le Tour. Aujourd’hui, il est peut-être un peu moins fringant sur les arrivées au sprint, mais il a énormément donné depuis le début de la saison.

Vous avez appris mardi que vous étiez sélectionné pour les Mondiaux, quel sera votre programme d’ici le 29 septembre ?
J’ai recommencé à rouler mercredi en récupération avec une sortie de 2 heures. Je vais avoir mes fichiers d’entraînement. On part à Florence dimanche. Je ne vais pas trop en faire. Le but est de profiter de la forme de la Vuelta sans retravailler énormément le foncier. De toute façon, mes trois semaines de la Vuelta m’ont donné de la caisse.

Il y aura 280 kilomètres, cela vous fait-il peur ?
C’est sûr que la dernière fois que l’on a couru plus de 250 kilomètres, c’était au printemps. Mais d’un autre côté, si on prend l’étape de Peyragudes sur la Vuelta, elle faisait 225 kilomètres avec un gros dénivelé. On peut l’assimiler à une course de 280 kilomètres sur un parcours qui sera moins escarpé. On était resté plus de 6h20 sur la selle. On ne sera pas très loin pour Florence donc cela ne m’inquiète pas.

On imagine que Thomas Voeckler sera le leader de cette équipe de France.
Oui, il est le leader naturel de cette équipe qui va être composée de beaucoup de jeunes qui vont découvrir la sélection. Thomas est quelqu’un qui sent très bien la course, qui se rate de très peu. Il va nous apporter son expérience, sa façon d’aborder la course. Pour nous les jeunes, comme Romain Bardet, Thibaut Pinot ou Arthur Vichot, cela va forcément beaucoup nous apporter. Ce sera une expérience profitable.

Sylvain Chavanel, lui, ne fera que le contre-la-montre, est-ce quelque chose que vous regrettez ?
Évidemment, ça enlève un candidat à la victoire. Mais Sylvain a dit lui même qu’il ne se sentait pas assez en forme pour aller au bout des 280 kilomètres. On ne peut pas préparer à la fois, les contre-la-montre et la course en ligne. Il a été très raisonnable, grand seigneur. J’apprécie sa démarche de ne pas avoir voulu prendre la place d’un jeune.

Qui voyez-vous comme favori ?
À mon avis, Fabian Cancellara sera encore plus candidat au titre de champion du monde sur la course en ligne que sur le contre-la-montre. Il m’a impressionné sur la Vuelta. Il faisait tous les pieds de col pour Chris Horner. Et les difficultés à Florence ne seront pas celles que l’on a connues à la Vuelta.

Quel est votre sentiment par rapport à Chris Horner de vingt ans votre aîné ?
C’est d’abord très beau de toujours faire du vélo à cet âge-là. Si on regarde dans d’autres sports, son cas n’est pas une exception. Cela prouve bien que le vélo conserve. En ce qui me concerne, je ne suis pas plus surpris que cela de sa victoire.

Propos recueillis le 18 septembre 2013.