Laurent, vous êtes aujourd’hui salarié de Lille Métropole. Quelles sont vos fonctions ?
J’ai intégré la Communauté Urbaine de Lille en 2002 après dix années professionnelles. Je suis chargé de mission sur le sport de haut niveau, les clubs, les événements sportifs. Je gère aussi l’aspect communication dans le secteur sportif avec les associations et les clubs. D’un point de vue logistique, je m’occupe de tout ce qui entoure la signalétique sur un événement. Ce sont des missions qui restent autour du sport.
Est-ce un projet que vous aviez déjà en tête durant votre carrière ?
En 2001, j’ai fait ma dernière année chez Kelme. J’avais décidé de continuer l’aventure un an en Espagne tout en ayant déjà en tête l’idée d’arrêter à la fin de l’année. Je voulais arrêter en étant encore connu, sans faire l’année de trop. Cela m’a aidé. Je n’ai pas attendu de tomber dans l’oubli pour chercher du boulot. J’ai passé un mois et demi sans rien faire pour récupérer. J’ai commencé mes recherches juste après tout en faisant une remise à niveau dans toutes les matières pour être plus sûr de moi. J’ai suivi une formation pour cela, pour faire des lettres de motivation, me créer un book, etc. Je n’ai pas commencé du jour au lendemain. J’ai surtout eu la chance de connaître Jean-Charles Canonne, l’actuel président du Vélo Club de Roubaix. Il m’a vraiment aidé à trouver le bon métier. Ensuite, j’ai frappé à toutes les portes et celle de la Communauté Urbaine s’est ouverte.
Arrêter votre carrière à 32 ans était donc un choix mûrement réfléchi…
Oui, ça a été réfléchi. J’en avais marre des voyages. De devoir tout le temps partir. Ce n’était pas un problème physique, c’était surtout dans la tête. Ça devenait de plus en plus dur pour moi. Et quand tu n’es plus motivé, c’est très difficile d’y associer l’effort physique. Je m’étais préparé à cela.
Dans ce cas, pourquoi avoir fait une dernière pige en Espagne ?
J’ai choisi de faire une année chez Kelme car j’ai eu l’opportunité d’intégrer l’équipe. J’avais envie de voir comment cela se passait dans les équipes étrangères et notamment en Espagne. J’étais le seul Français à intégrer l’équipe, et je suis resté le seul puisqu’il n’y avait pas d’autre Français à part le mécano. Ça a été une bonne expérience, c’était super enrichissant. Je suis arrivé pour la première fois à l’aéroport au mois de mars avec mon petit dictionnaire sans connaître un seul mot d’espagnol. J’ai commencé la saison au mois de mars, donc un peu en retard. Et j’ai arrêté sur chute au Tour de France sur l’étape d’Anvers.
De retour d’Espagne, vous avez alors entamé les démarches pour trouver de l’emploi. Souhaitiez-vous à tout prix rester dans le Nord-Pas-de-Calais ?
Dans un premier temps je devais chercher un boulot qui puisse convenir à un ancien sportif de haut niveau. Rester dans le Nord était important, oui. J’ai tout dans cette région. Encore aujourd’hui, ça ne me dit rien de déménager. C’était important pour essayer de transmettre ce côté sportif dans ma région. Je n’ai jamais été attiré par les études pour avoir bac+10. J’avais plus de compétences dans le domaine du sport et dans l’aspect relationnel, très important dans mon domaine d’activité aujourd’hui. Encore aujourd’hui, au téléphone, j’entends souvent : « Laurent Desbiens, oui, ça me dit quelque chose. Vous êtes un ancien cycliste. » Tout de suite ça peut apaiser le contexte en fonction du but de l’appel. La conversation n’est plus du tout la même.
Lorsque vous vous retrouvez dans cette situation, quel est le fait marquant de votre carrière qui est évoqué ?
Le maillot jaune sur le Tour 1998. Pas plus tard qu’avant-hier, j’ai eu un directeur de communication au téléphone. Je ne le connais pas. Il m’a dit : « j’ai regardé votre fiche sur Wikipédia. J’étais fan de vous. Je suivais le Tour à la télé. C’était super, un Nordiste Maillot Jaune sur le Tour. » C’est ce qui a le plus marqué, avec les 4 Jours de Dunkerque que je remporte en 1993.
Vous évoque-t-on cette étape du Tour de France 1997 que vous aviez remporté sur tapis vert après le déclassement de Sergueï Outschakov pour sprint irrégulier ?
Oui, on m’en parle, mais il faut déjà être dans le milieu pour en parler. Généralement on me parle de cette étape que je gagne à Perpignan. Pour déconner, des copains me parlent de cette anecdote. Bien entendu j’aurais préféré l’emporter en levant les bras. Il y a de la frustration, même si c’est loin. J’aurais préféré que ça se passe normalement. Mais je ne peux pas refaire l’histoire. L’autre frustration, c’est d’avoir fait ma carrière professionnelle sans savoir ce que je sais aujourd’hui au niveau du relationnel. Savoir comment se comporter vis-à-vis des médias ou du public. Ça m’aurait bien aidé.
Que voulez-vous dire ?
Je suis sportif depuis l’âge de 16 ans. Je n’ai fait que du vélo. Je regrette de ne pas avoir su trop m’ouvrir. De ne pas avoir eu ce côté « acteur ». J’aurais voulu associer le sport au relationnel auprès des journalistes, auprès des gens. J’aurais voulu être un peu moins introverti. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus ouvert, car j’ai réussi à travailler cela depuis plus de dix ans.
On parle de frustration. Est-ce un sentiment que vous avez ressenti en juillet dernier quand votre nom est apparu dans la liste des coureurs contrôlés positifs à l’EPO sur le Tour 1998 ?
C’est ce que j’ai dit. Jacky Durand est celui qui a le mieux exprimé ce que je ressens. Il a bien résumé les choses. Bien entendu, je trouve ça nul qu’on en parle quinze ans après…
Reparlons donc de l’actualité. Le 101ème Tour de France mettra le Nord à l’honneur. Que ressentez-vous ?
En 1994, nous avions eu le Grand Départ à Lille. J’y ai participé avec Castorama. C’était un de mes premiers Tours. Un contre-la-montre individuel dans les rues de Lille, c’était un truc de malade ! C’était vraiment magique pour moi. Cette année, dix-huit communes de la Métropole seront traversées. C’est super plaisant. Je suis très content. En plus je vais travailler dessus.
Quel y sera votre rôle ?
D’habitude, je suis aussi motard sur le Tour de France. Je pars avec ASO pour trois semaines et demie. Cette année ce sera plus difficile. Je vais essayer de travailler dans un premier temps avec Lille Métropole sur le Tour de France, puis je serai avec ASO sur le reste du Tour. Les missions sur le Tour de France sont commencées. On s’occupera de tout ce qui est communication sur le Tour de France par le biais d’affiches qui rappelleront que Lille Métropole accueillera le Tour. Ensuite, on travaillera sur tout ce qui est logistique sur le site. On est plusieurs à travailler sur cela. On va se partager les missions, mais la réunion ne s’est pas encore tenue. Je ne sais pas encore exactement quelle sera ma mission. Mais on commence à y penser car c’est déjà demain.
D’autant que ce ne sera pas votre seule mission au cours des prochains mois…
On parle du Tour de France, mais nous avons d’autres échéances. Paris-Roubaix au mois d’avril où nous sommes partenaires. Nous aurons une caravane publicitaire et un stand au départ à Compiègne. On parlera déjà du Tour à ce moment-là. On aura aussi d’autres événements : les demi-finales du Top 14 de rugby en mai, et France-Jamaïque également en football juste avant la Coupe du Monde. Ce sera une belle année !
N’est-il pas compliqué de s’occuper d’autres sports lorsque l’on est issu du milieu du vélo ?
Non, on apprend à découvrir les autres sports. On s’y intéresserait un peu avant de toute façon. On parle le même langage. On se comprend rapidement. On sait quelles sont les attentes des uns et des autres. Tout se passe super bien. J’ai appris beaucoup de choses en dix ans et on continue d’en apprendre tous les jours. Le fait d’être un ancien sportif de haut niveau est super important quand on arrive dans ce milieu du sport. C’est beaucoup plus facile. Mon ancienne responsable m’a dit quand je suis arrivé : « le carnet de contacts que tu as aujourd’hui au moment où tu arrives, il m’a fallu vingt ans pour l’avoir ». Tout cela me permet de travailler mieux. Et je n’aurais pas pu en bénéficier si j’étais parti dans le sud de la France. Là-bas, Laurent Desbiens, on ne connaît pas.
Avec votre activité professionnelle intense, avez-vous encore le temps de rouler ?
Après 2001, pendant un an, je n’ai rien fait comme à peu près tout le monde. Ensuite, pendant quatre ou cinq ans, j’ai fait pas mal de vélo le dimanche matin. Avec des copains nous avons monté un petit groupe. Il y avait du beau monde ! Il ne fallait pas qu’on nous rentre dedans parce que pas mal de monde serait tombé ! À l’époque, c’étaient des gars qui avaient de supers situations. On partait, on faisait notre tour et on revenait. On discutait. C’était ce côté vélo-plaisir même si on roulait bien. J’ai arrêté tout cela du jour au lendemain. Et je n’en fais plus du tout aujourd’hui. J’ai prêté mon vélo à un copain depuis deux ou trois ans. C’est lui qui roule avec. De mon côté je fais beaucoup de sport en salle. J’y passe sept heures par semaine. Je n’ai plus envie d’aller dehors. Sauf l’été pour faire de la course à pied, notamment quand je suis sur le Tour. Mais je ne suis vraiment pas en manque du vélo. Je n’en referai pas. Sauf pour aller me balader.
Même le Ch’ti Bike Tour ne vous donne pas envie d’enfourcher le vélo ?
Oui, j’ai ma cyclo à la fin du mois d’août. Cette année, ce seront les 10 ans. On essaye de réunir un maximum d’anciens cyclistes. Mais de mon côté, non, je ne la fais pas. La cyclosportive est trop dure. C’est 140 kilomètres et les gaillards roulent à 40 km/h de moyenne ! Moi, je l’encadre, je suis en voiture.