Ils ne sont que huit, en France, à avoir franchi victorieusement la ligne blanche d’un Championnat du Monde de cyclisme sur route : Georges Speicher (1933), Antonin Magne (1936), Louison Bobet (1954), André Darrigade (1959), Jean Stablinski (1962), Bernard Hinault (1980), Luc Leblanc (1994) et donc Laurent Brochard (1997). Depuis seize ans, le Sarthois reste sans successeur français au palmarès du Mondial. Professionnel entre 1992 et 2007, celui qui fut l’un des grands noms du cyclisme tricolore au cours de sa génération cherche aujourd’hui à rebondir dans le milieu qu’il a côtoyé avec la réussite qu’on lui prête durant de longues années. S’il a pris le temps de la réflexion à l’issue de sa carrière, Laurent Brochard semble désormais sur la voie d’une reconversion. Son retour près des pelotons pourrait être imminent.
Laurent, quelle est votre activité aujourd’hui ?
Actuellement, je n’ai pas vraiment d’activité officielle. Je suis toujours à la recherche d’un emploi. Je fais de temps en temps des prestations à droite à gauche liées au droit d’image, mais ce ne sont pas des choses fixes. J’ai passé mes diplômes l’année dernière, un brevet d’Etat pour être entraîneur ou diriger une équipe. J’ai justement travaillé avec ASO cette année pour remettre les pieds dans le milieu dont je m’étais écarté pour souffler et voir autre chose.
Vous étiez sur le 100ème Tour de France. Depuis quand n’y étiez-vous pas revenu ?
Ça datait de 2007, ma dernière participation avant la fin de ma carrière. Depuis, je n’étais pas revenu dans le milieu, mais le milieu n’a pas forcément été demandeur non plus. À la suite de cela, un éditeur m’a appelé pour faire un livre, car je n’ai pas bien vécu la fin de ma carrière. C’est aussi ce qui explique que je me sois retiré. Aujourd’hui, les choses sont digérées et je vois les choses différemment.
Que reprochez-vous au monde du vélo ?
J’aurais souhaité continuer un an ou deux de plus. Choisir ma fin de carrière. Je pensais avoir eu une carrière suffisamment correcte pour me le permettre. Ça s’est déroulé autrement et c’est cette partie que je n’ai pas très bien digérée. Ça a été un traumatisme. Il a fallu du temps pour pouvoir repartir. C’est la phase dans laquelle je suis actuellement.
Votre carrière s’est arrêtée faute de proposition de contrat. Vous n’aviez pas pensé à votre reconversion à ce moment ?
Si, plus ou moins. J’avais deux magasins et une fabrique de cadres, mais je viens juste de tout cesser. J’avais investi dans ce sens-là, mais je n’ai pas su m’intégrer dans ce milieu-là, car je n’étais pas prêt, même si je savais à la fin de ma carrière que je faisais du rab depuis longtemps. Terminer sa carrière longue de seize ans à 40 ans, ce n’est pas mal. Le regret a été de ne pas pouvoir finir comme je l’avais souhaité. C’est ce que je n’ai pas accepté.
Vous semblez toujours amer par rapport à votre fin de carrière…
Je demandais peut-être un peu plus de respect. J’ai donné beaucoup au monde du vélo. J’ai aussi été surpris de ne jamais avoir eu de nouvelles de la part de la fédération. J’ai tout de même porté et honoré le maillot de l’équipe de France à de nombreuses reprises avec douze Championnats du Monde et trois Jeux Olympiques. J’ai fait une carrière très longue, avec de belles victoires, et notamment un titre mondial ! Donc, oui, j’ai été assez déçu et surpris. Je pensais qu’il y aurait plus de reconnaissance. Je ne suis pas à la recherche de cela et je ne demande rien, mais j’ai donné vingt ans de ma vie au monde du sport et notamment du vélo. Je pensais avoir été utile. Ce qui me motive, c’est que je pense pouvoir encore l’être. Les premières années qui ont suivi la fin de ma carrière n’ont pas été faciles. Je me suis mis en retrait volontairement, car je n’étais pas forcément d’accord avec ce genre de procédures.
L’autobiographie que vous avez sortie l’an dernier, « S’ils savaient », était-elle nécessaire pour tourner la page ?
C’était une opportunité. Ce n’est pas du tout dans mon tempérament d’exprimer mes sentiments. Aujourd’hui je vois les choses différemment et le livre m’a beaucoup aidé. Il m’a permis de mettre les choses sur la table. Mais j’ai vraiment hésité, il faut le savoir. Finalement, j’en suis très content, car c’est en partie grâce à cela que j’ai pu tourner la page. J’ai envie de repartir dans le monde du travail, dans le monde du sport. Un monde que j’adore puisque je pratique toujours et qui me motive au maximum. J’espère pouvoir apporter mon expérience à des jeunes et à d’autres.
Que ressentez-vous quand vous repensez à votre titre de champion du monde en 1997 ?
Toujours la même chose : de la fierté. Fierté d’avoir réussi cet exploit. Seize ans après, il n’y a toujours pas de champion du monde français. Il y avait déjà eu un gros trou entre Bernard Hinault en 1980 et Luc Leblanc en 1994. Il faut souligner que seuls huit Français ont porté ce maillot. Dans l’ensemble, je n’ai aucune frustration quant à ma carrière. Je n’ai eu que du bonheur. Les gens me parlent d’ailleurs souvent de ce titre de champion du monde, mais j’ai d’autres victoires qui ont compté. Au niveau de la notoriété et du palmarès, ce titre mondial est quelque chose d’inoubliable.
Qu’est-ce qui prime aujourd’hui dans la mémoire des gens : le titre mondial à San Sebastian ou l’affaire Festina ?
Le titre, tout de même. Justement, le public est très reconnaissant. Il me réconforte. Peut-être que le monde du vélo m’a mis de côté après cela, mais les supporters et les gens qui pratiquent le vélo me parlent toujours de mes victoires. Le dopage, pour eux, c’est autre chose. Bien sûr ils ont été déçus par rapport à cela. L’affaire Festina a été un épisode dans ma carrière, c’est clair, mais il n’y pas eu que cela ! La preuve, j’ai terminé ma carrière plus que sainement avec autant de résultats, c’est quelque chose de plus important encore.
Estimez-vous, comme Jacky Durand l’avait dit en juin dernier, que le dopage était nécessaire à l’époque pour faire votre métier ?
Oui, je l’ai toujours dit. Je ne l’ai pas fait volontairement. C’est venu petit à petit. Les méthodes ont évolué, les règlements n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Tout le peloton mondial était dans le même bain. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Heureusement les choses changent. Pas assez vite à mon goût, mais elles changent tout de même, et dans le bon sens. Aujourd’hui, dans tous les cas, je ferai les choses différemment et je ne tomberai peut-être pas dans le panneau.
Où trône aujourd’hui le maillot de champion du monde que vous avez reçu à San Sebastian ?
J’ai une pièce chez moi où j’ai tous mes trophées, tous mes maillots, le vélo avec lequel j’ai gagné une étape du Tour en 1997 à Loudenvielle et le Championnat du Monde. C’est mon petit musée. Il est installé là, fièrement.
Vous avez gardé un excellent physique en participant à des marathons…
La course à pied a été mon premier sport quand j’étais môme. À l’âge de 5 ans, j’ai participé à mes premières compétitions en course à pied et cross. Tout naturellement, j’ai voulu garder une condition physique. Quand j’étais en fin de carrière, c’était avant tout pour m’entretenir et espérer peut-être de retrouver une équipe un an après. Je voulais faire autre chose, découvrir un autre univers, un autre milieu, un autre sport. Je suis revenu à la course à pied car c’était quelque chose que je connaissais un peu. Cela dure moins longtemps au niveau de l’effort, même si aujourd’hui je me dirige vers l’ultra-trail, c’est un peu paradoxal. Je m’y retrouve pleinement, je me fais énormément plaisir. Le monde de la course à pied et celui du vélo ne sont pas tout à fait séparés. On retrouve pas mal de personnes qui pratiquent le vélo. D’ailleurs aujourd’hui, on commence à me connaître plus dans le monde de la course à pied que dans celui du vélo ! Cela veut dire que j’apporte une certaine notoriété. Les gens sont assez fiers de pouvoir courir à côté d’un champion.
Pourquoi vous êtes-vous dirigé vers le trail ?
Ça me correspond beaucoup plus avec la nature, la montagne, des choses que j’aime énormément. Je participe toujours à des courses sur route, mais c’est plus traumatisant physiquement. Avec l’âge, il faut aussi se modérer. Je m’y retrouve pleinement, car c’est un milieu plus naturel, plus convivial. Il y a plein de choses qui font que je m’épanouis énormément. J’ai changé au niveau de ma philosophie du sport et d’autres choses. C’est pour cela que j’ai envie de découvrir plein de choses et de revenir dans le monde du sport. Je ne le fais pas vraiment pour la compétition, même si les résultats sont là. C’est avant tout pour me faire plaisir et pour la sensation.
Pratiquez-vous encore le vélo ?
Oui, je fais du vélo en complément, car je ne peux pas courir tous les jours. J’ai un ligament croisé sectionné depuis l’âge de 19 ans. J’ai réussi à faire ma carrière comme cela, mais cela ne me permet pas de courir régulièrement. Je compense avec du vélo et d’autres choses. Je ne l’ai pas mis de côté complètement, bien au contraire. J’ai même participé aux 24 Heures Vélo du Mans avec des anciens coursiers. Je prends toujours plaisir à rouler. Je ne fais pas énormément de bornes par an. Juste 2000 ou 3000 kilomètres, histoire d’entretenir et de compenser.
Le trail, c’est aussi l’occasion de ressortir vos fameux bandanas ?
Oui, justement, c’est l’occasion de les ressortir. Je cours toujours avec un bandana. Je ne le portais pas forcément pour l’esthétique, c’était surtout pour le côté pratique. Je transpire énormément et j’ai horreur que ça me tombe dans les yeux. Les gens me reconnaissent souvent grâce à cela. Moi aussi je retrouve ma personnalité. Je l’avais un peu perdue sur ma fin de carrière, car avec le port du casque obligatoire, je ne le portais pratiquement plus. Du moins on ne le voyait plus. J’ai beaucoup de plaisir à revenir avec l’ancien look !
Dans notre prochain épisode, découvrez comment l’un des coureurs les plus populaires du peloton, apprécié pour ses clowneries autant que pour ses barouds, s’est reconverti comme commercial d’une grande marque de vélos. Rendez-vous le mercredi 1er janvier.