Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable communication vélo sport et responsable des partenariats techniques chez b’Twin. Il nous livre son analyse à travers cette chronique. Suivez également Cyril Saugrain via Twitter : @cyril_saugrain.
Cyril, l’UCI a détecté fin janvier la présence d’un moteur dans le cadre de Femke Van Den Driessche. Si le système a été utilisé par une Espoir aux Championnats du Monde de cyclo-cross, faut-il craindre qu’il soit plus ou moins généralisé sur la route et ailleurs ?
Je n’utiliserai certainement pas le terme « généralisé » car je ne pense pas que ce soit le cas. En revanche on a eu des doutes par le passé, et il est probable qu’à ce moment des personnes aient essayé de tricher. On n’a pas su attraper ces personnes là au moment opportun, même si ça ne restait que de la suspicion. Concernant Femke Van Den Driessche, même si les doutes sont très forts, il est compliqué de dire s’il y a véritablement eu tricherie de sa part dans la mesure où le vélo en question a été saisi dans le box et qu’elle ne roulait pas avec. Toujours est-il que si nous en sommes là aujourd’hui, c’est que les instances n’ont pas été suffisamment répressives en amont et qu’une porte est restée ouverte aux personnes tentées de tricher.
On sait que le monde du cyclisme est un petit monde. Et les mécaniciens, qui se côtoient toute l’année, ont toujours un œil sur le matériel du voisin. Vous paraît-il possible d’utiliser un système frauduleux sans attirer l’attention ?
D’abord, la tricherie mécanique, si elle existe, ne peut pas être le fait d’une personne isolée, contrairement à ce qu’on a pu connaître dans le dopage où un coureur pouvait potentiellement faire ça dans son coin sans que personne du staff n’en soit informé. Là, on peut difficilement agir sur son vélo sans complicités. En règle générale un coureur dispose de plusieurs vélos : un à la maison pour l’entraînement, d’autres en course réglés de la même manière. J’ai quand même du mal à croire qu’un coureur puisse faire son bricolage dans son coin sans que personne dans son équipe ne s’en aperçoive. Ce type de manœuvre, si elle devait arriver, nécessiterait forcément un accompagnement de l’équipe, dans tous les cas la complicité d’un entourage minimum.
Depuis la découverte de ce moteur, on a entendu parler de diverses méthodes de triche technologique, notamment un système électromagnétique caché dans les roues. Peut-on vraiment imaginer un coureur faire usage d’un système lourd, 2 kg environ, pour un gain de puissance évalué entre 20 et 50 watts ?
Il y a forcément un avantage à bénéficier d’un apport de puissance. Entre 20 et 50 watts, ce n’est pas négligeable, mais j’ai vraiment du mal à imaginer que de telles technologies puissent être utilisées. Un spécialiste pourrait plus aisément nous dire combien de watts supplémentaires doivent être dégagés pour emmener 2 kg en plus, mais la contrepartie en poids de ce système annihile probablement le gain de puissance qu’il peut occasionner. Surtout, pour un résultat qui n’est pas assuré, le risque pris est énorme.
Les mesures annoncées par l’Union Cycliste Internationale et les efforts portés par la fédération sont-ils à la hauteur de la situation ?
Je pense qu’il y a déjà plusieurs années qu’on aurait dû réagir et trouver des moyens plus dissuasifs pour qu’on n’en soit pas là. Ce qui m’inquiète, c’est que ça me rappelle une certaine époque où, alors qu’on ne savait pas détecter l’EPO, l’UCI tolérait un taux d’hématocrite de 50 %, ce qui a peut-être freiné le fléau mais ne l’a pas éradiqué. Concernant ce dopage technologique, les instances ont-elles réellement fait le nécessaire pour dissuader toute tricherie ? Il y a eu beaucoup de médiatisation autour des soupçons portés sur le doublé Flandres-Roubaix de Fabian Cancellara en 2010. L’été suivant l’UCI a mis en place un scanner pour vérifier qu’aucun vélo n’avait fait l’objet de manipulations technologiques, et puis on a en a beaucoup moins entendu parler. Peut-être a-t-on pensé que le sujet était réglé or probablement pas.
Le contrôle systématique des vélos est-il une solution suffisante ?
Le peu de photos ou vidéos que j’ai pu voir des contrôles réalisés m’a semblé assez peu professionnel, même si je n’ai pas le détail de la procédure du contrôle. Peut-être faudrait-il établir des règles plus strictes en analysant systématiquement les cinq premiers vélos dès qu’ils franchissent la ligne. Il faut trouver un système qui soit à la fois simple et suffisamment dissuasif.
Et à propos de dissuasion, l’opinion publique se veut encore plus sévère avec la fraude technologique qu’avec le dopage. Des voix se sont élevées en faveur d’une suspension à vie. Est-ce la solution ?
Comme bon nombre de personnes, je ne cautionne pas du tout le dopage, mais j’ai encore plus de mal à imaginer la tricherie mécanique. Là, on sort carrément du process du sport : on vient se faire aider par un moteur. Tricher par du dopage, c’est améliorer ses capacités physiques. Certes, c’est interdit, mais introduire un moteur dans son cadre, c’est comme si on prenait le départ avec une moto ! Il n’y a même plus les valeurs du sport. Maintenant, les deux sont répréhensibles et je pense qu’on doit être beaucoup plus tranchant sur les sanctions prises. Elles doivent être beaucoup plus dissuasives. Suspendre à vie, ça me paraît trop fort, mais entre cinq et huit ans ça aurait déjà de quoi décourager. Les sanctions doivent dire aux tricheurs qu’ils n’ont plus lieu d’être dans ce milieu. Il faut faire comprendre à ceux qui seraient tentés de tricher que la seule chose qu’ils ont à gagner… c’est de tout perdre !