Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique. Suivez également Cyril Saugrain via Twitter : @cyril_saugrain.
Cyril, s’il vous fallait retenir une image du Grand Départ du Tour de France 2014 en Grande-Bretagne, quelle serait-elle ?
J’en retiens deux. D’abord le monde au bord des routes, qui je crois a marqué tous les suiveurs du Tour tant la foule était impressionnante. Et j’ai également été grandement surpris par le tracé et une deuxième étape dans le Yorkshire qui a bousculé les scénarios attendus. On a l’habitude d’avoir des sprints tout au long de la première semaine de course, je trouve que c’est bien finalement d’avoir d’emblée une étape qui positionne un peu les choses et apporte du spectacle.
Etes-vous davantage favorable à ce type de Grand Départ avec une première étape en ligne plutôt qu’un prologue ?
L’avantage d’une première étape plutôt promise aux sprinteurs, même s’ils ne sont qu’une petite dizaine à pouvoir l’emporter, apporte beaucoup plus de peps et de suspense au Grand Départ d’un Tour de France alors qu’un prologue limite les candidats au maillot jaune. On reviendra l’an prochain à Utrecht à une première étape chronométrée de 13,7 kilomètres, il faut savoir varier les plaisirs. Mais j’aime bien l’idée qu’en première semaine il y ait des étapes propices aux surprises. Ça donne du panache et du punch à ces premières étapes.
L’un des enseignements de cette première semaine, c’est l’invincibilité de Marcel Kittel lorsqu’il mène un sprint. Comment le battre ?
Il est clair que lorsqu’on sprinte d’égal à égal avec Marcel Kittel, les choses sont compliquées pour les autres sprinteurs. Mais il est intéressant de noter que, dans les premières étapes, l’équipe Lotto-Belisol a pris les choses en main en faisant rouler ses coureurs, en mettant en route le plus tôt possible. Ce n’est qu’à 2 ou 3 kilomètres de l’arrivée que l’équipe Giant-Shimano venait se replacer en position de force pour lancer Marcel Kittel avec ses trois ou quatre sprinteurs. C’était une stratégie idéale pour Giant, et on a vu hier à Reims que lorsqu’elle a dû supporter le poids de la course pour contenir les échappés, les forces en présence se sont inversées. Marcel Kittel s’est retrouvé un peu esseulé dans le final et a dû s’écarter au bénéfice d’André Greipel, qui a su faire preuve de stratégie. On verra bien quelle tactique sera mise en place à présent dans les autres étapes favorables aux sprinteurs. Et d’autres sprinteurs sont en quête d’une victoire comme Arnaud Démare et Bryan Coquard côté français.
Du côté des favoris, Vincenzo Nibali s’est installé dès le deuxième jour en tête du classement général avant de conforter son avantage sur les pavés. N’est-ce pas trop tôt ?
Je ne crois pas. Vincenzo Nibali s’est emparé « aisément » du maillot jaune à Sheffield, je veux dire sans batailler. Il a profité d’une situation de course avec une étape relativement difficile dans le Yorkshire qui a réduit à une vingtaine le nombre de coureurs aux avant-postes. Il est sorti à 2 kilomètres de l’arrivée, ce qui ne lui a pas demandé beaucoup d’efforts. Mercredi vers Arenberg, il a conforté son maillot jaune mais tout le monde a fait des efforts. Nibali n’a pas dépensé plus d’énergie qu’un Contador, qu’un Valverde ou qu’un Van Den Broeck. Tout le monde a puisé dans ses réserves et sollicité son équipe. Vincenzo Nibali est en jaune. C’est tôt, peut-être décidera-t-il à un moment de le lâcher un peu, mais avec 2’37 » d’avance sur Contador, il est dans la position la plus confortable.
Les pavés ont créé davantage de différences qu’escompté, ont-ils pleinement leur place sur le Tour de France ?
Personnellement je pense que cette étape a sa place sur le Tour de France. Elle a apporté un super spectacle pour les téléspectateurs, et finalement on a retrouvé les grands protagonistes aux avant-postes sur les pavés. Vincenzo Nibali a surpris tout son monde, Alberto Contador s’en sort pas mal, les grands spécialistes des pavés arrivent plutôt derrière, hormis Lars Boom qui s’impose. C’est une étape qui a réservé beaucoup de surprises. Même Thibaut Pinot, que l’on croyait en difficulté sur ce genre d’étape, a agréablement surpris. La météo a joué un rôle important sans pour autant provoquer plus de chutes sur les pavés qu’au cours des premières étapes. Des pavés sur le Tour, peut-être pas tous les ans, mais ils y ont toute leur place.
Vincenzo Nibali, qu’on annonçait plus comme l’arbitre du duel Froome-Contador, a endossé le costume de favori n°1 et semble encore en progression quand Alberto Contador est peut-être arrivé en forme trop vite au Dauphiné. Comment l’analysez-vous ?
On ne peut pas dire que cette première semaine de Tour de France nous ait donné des indications sur le niveau de forme, en montagne, des prétendants à la victoire finale. Il est clair que Vincenzo Nibali faisait partie de ce petit groupe de favoris. Il a déjà gagné une Vuelta et un Giro, il a les qualités pour gagner le Tour. On sait que Nibali est plus à l’aise que Contador sur des terrains un peu plus accidentés, dangereux, glissants, ce qu’il a encore démontré mercredi sur les pavés. On savait aussi qu’il s’agirait d’une étape-piège pour Contador. Maintenant, il faut attendre que chacun se retrouve sur son terrain, celui de la montagne. Et attention tout de même à Alberto Contador, qui est toujous quelqu’un de très fort en dernière semaine.
L’équipe Sky a perdu coup sur coup son leader Chris Froome et Xabier Zandio, faut-il déjà l’enterrer ?
Surtout pas, je reste très vigilant. On a toujours vu Richie Porte faire des efforts phénoménaux pour placer Chris Froome dans les meilleures conditions. Depuis sa position désormais plus attentiste, Richie Porte va pouvoir contrôler et essayer d’attaquer ses adversaires. Attention à lui. Il a un léger débours aujourd’hui sur Nibali, 1’54 », mais il est déjà devant Contador au classement général.