Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique.
Cyril, le Critérium du Dauphiné nous a laissés sur une nouvelle démonstration des Sky. Préfigure-t-elle une domination identique sur le Tour de France ?
Sur ce qu’on a vu depuis le début de l’année, la réponse serait oui. Maintenant le propre du sport c’est que rien n’est jamais écrit d’avance et que l’espoir prédomine. Le parcours du Tour 2013 va se prêter à une course d’offensive très difficile à contrôler. Même si l’équipe Sky est très forte et qu’elle part avec l’étiquette de super favorite, il y aura de quoi la déstabiliser.
Chris Froome a semblé vouloir régner sans partage sur le Dauphiné, jusqu’à tâcher d’entraîner Richie Porte vers la victoire à Risoul. N’a-t-il pas commis une erreur en risquant de créer des inimitiés à son égard ?
Je ne dirais pas ça. Nous sommes quand même dans un sport de haut niveau. Chris Froome n’est pas là pour laisser gagner les autres. Il me paraît logique qu’il ait attaqué, qu’il essaie de mettre les autres concurrents en difficulté. Je ne sais pas s’il s’est créé des inimitiés mais il n’est pas là pour faire des cadeaux aux autres. Et les autres équipes ne lui en font pas d’ailleurs. Elles viennent pour gagner et donc le battre sachant qu’il est l’homme à abattre. Il sait déjà que tout le monde, sur le Tour, va chercher à le mettre en difficulté. Je ne pense pas qu’il se soit mis plus de personnes à dos en essayant de dominer le Dauphiné comme il l’a fait. Il a attaqué en respectant les lois du sport, sans être hautain.
Mais n’avait-il pas tout de même intérêt à se faire des alliés dans la perspective du Tour de France ?
Des alliés, il en trouvera toujours indirectement pendant la course. Il va certainement se retrouver par moments dans des situations qui s’y prêteront. Ces dernières années, on a souvent vu des attaques susceptibles de mettre en difficulté le leader du Tour, et ce sont finalement des coureurs qui défendent une place d’honneur qui viennent faire l’effort pour sauver un Top 5 ou autre chose. S’il est devant, je pense que Chris Froome trouvera toujours des alliés de circonstance, même s’il a pu s’attirer les foudres de certaines équipes.
A propos d’alliances, ses adversaires, Alberto Contador et Alejandro Valverde par exemple, ne doivent-ils pas envisager de collaborer pour faire choir les Sky ?
Ce qui est sûr c’est qu’ils devront attaquer. Seuls, ensemble ou à tour de rôle. Il arrivera des moments où ils auront des intérêts communs mais je n’imagine pas Contador attaquer avec Valverde dans le but de faire perdre Froome. Je n’imagine pas des coureurs s’allier pour faire perdre le Tour à Froome. Qu’ils roulent ensemble pour le distancer s’ils y parviennent, oui, mais je n’en vois pas l’un rouler pour l’autre. Ce n’est pas dans la mentalité du vélo.
Au regard de ce qu’ils ont démontré récemment, quel Français voyez-vous dans le Top 5 : Thibaut Pinot, Pierre Rolland, Jean-Christophe Péraud…
Je pense que la fin du Tour relativement difficile devrait convenir aux trois. En règle générale, Pierre Rolland supporte bien les trois semaines et est plutôt frais dans le final. Thibaut Pinot possède aussi cette qualité de bien récupérer. J’émettrai tout de même un petit point d’interrogation pour Thibaut en raison du chrono Embrun-Chorges. Les deux descentes techniques du contre-la-montre pourraient le desservir en dernière semaine.
Quid de Thomas Voeckler après son très joli mois de juin ?
Pour moi il arrive super frais. Le printemps ne lui a pas souri. Il était vraiment en forme au moment où il s’est fracturé la clavicule à l’Amstel Gold Race. Il est sorti déçu de son printemps alors qu’il atteignait un pic de forme. Depuis il est revenu en forme rapidement, a gagné une étape sur le Dauphiné, la Route du Sud… On connaît très bien Thomas et une fois de plus il pourrait réveiller la Voecklermania. Il en a déjà été capable par le passé et sur un parcours qui se prête vraiment aux offensives il a peut-être tout pour enflammer ce mois de juillet.
Le sentez-vous capable de rééditer ce qu’il avait réalisé en 2011 ?
Depuis trois ans, je sens Thomas Voeckler capable de tout ! Il nous surprend chaque fois de plus en plus. Il sait répondre présent aux rendez-vous qu’il se fixe. Il est là dans les classiques, il était là aux Championnats du Monde, il endosse à merveille le rôle de capitaine de route sur le Tour… Il sait donner ce supplément d’âme à l’équipe quand c’est compliqué, et puis il a la science de la course et un caractère d’enfer. On sait que c’est quelqu’un qui a la caisse, je ne suis pas inquiet sur sa capacité à être présent en dernière semaine. Ce n’est peut-être pas son objectif mais je pense qu’il a vraiment les qualités pour nous surprendre.
100ème édition oblige, cette édition 2013 sera évidemment très particulière. Des spécificités propres à la 100ème, quelle est celle qui vous inspire le plus ?
Sans aucun doute la double montée de l’Alpe d’Huez. C’est inédit. On a toujours monté l’Alpe d’Huez jusqu’au sommet. Désormais on va pouvoir y monter une fois, redescendre par le col de Sarenne pour y remonter à nouveau. Le départ en Corse va être extraordinaire tant pour l’île que pour le Tour, mais pour moi la nouveauté c’est vraiment la double montée de l’Alpe. Grimper deux fois un col qui a toujours eu la réputation d’être une ascension finale, ça va nous livrer un spectacle phénoménal. Les gens vont être amassés dans l’Alpe d’Huez. Pour l’avoir montée en tant que coureur dans le Tour, c’est déjà quelque chose de phénoménal. Deux fois, ce sera inoubliable.
Pensez-vous que cette double escalade mythique aura une incidence sportive ?
Il est évident que la première ascension ne va pas se faire comme si on avait l’arrivée au sommet. Au premier passage, je ne pense pas qu’on observera une accélération des équipes de leaders pour faire exploser le peloton. Même si ça reste l’Alpe d’Huez, la première montée ne sera qu’une ascension supplémentaire comme s’il s’agissait d’un col différent. La première ascension va se faire au rythme, la grosse bagarre ne sera déclenchée qu’au pied de la seconde.
Toutes ces festivités liées à la 100ème édition du Tour sauront-elles faire oublier les aveux hivernaux de Lance Armstrong auprès du public ?
Les gens regarderont toujours le Tour, donc je pense que l’audience sera au rendez-vous. Malheureusement dans le vélo comme partout il y aura toujours des tricheurs. C’est dans la nature humaine. Vous comme moi savons qu’il ne faut pas rouler sans permis, ça n’empêche pas des gens de transgresser les règles. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’aujourd’hui tous ceux qui trichent ou presque finissent par se faire rattraper. Les choses vont mieux, je suis plutôt rassuré sur ce que je vois. Je n’ai pas de crainte quant au public. Le public aime le Tour et les coureurs lui offrent chaque jour un superbe spectacle, gratuit et accessible à des millions de personnes. Le Tour apporte des images inoubliables à tous ceux qui sont sur le bord des routes. A cet égard je suis confiant. Et je crois même qu’on va avoir un Tour très spectaculaire.