Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique.
Cyril, on dit que le Tour d’Italie est souvent plus passionnant que le Tour de France, partagez-vous ce constat ?
Pas forcément. Le Giro est une course particulière. Ce qui peut faire la différence sur le Tour d’Italie, c’est qu’on a toujours une dernière semaine toujours très compliquée. En règle générale, on arrive aussi avec une petite bosse dans les derniers kilomètres. Mis à part quelques étapes qui sont dessinées pour arriver au sprint, il y a toujours de quoi dynamiter la course dans les 20 ou 30 derniers kilomètres. Mais je pense que certaines éditions du Tour ont été très passionnantes. On peut s’attendre cette année à avoir une édition qui sera très passionnante elle aussi.
Diriez-vous que les organisateurs du Giro osent plus que ceux du Tour ?
En règle générale, il y a toujours un talus qui peut provoquer des attaques. Cela permet aux sprinteurs de passer, mais les puncheurs peuvent aussi sortir. C’est peut-être ce qui rend certaines arrivées plus attractives. Parfois, lorsqu’on regarde le Tour de France, on sait, à 70 kilomètres de l’arrivée, que l’échappée sera revue. Si cela dure pendant une semaine, certaines personnes peuvent se lasser. Mais ce sont aussi les coureurs qui font la course. Le tracé du Tour tel qu’il est cette année apportera beaucoup plus de dynamisme.
Le Tour de France doit-il alors s’inspirer du Tour d’Italie ?
La complexité c’est d’aller partout. C’est très compliqué pour le Tour d’aller dans toutes les régions tous les ans. Il faut composer, et tracer le parcours du Tour est loin d’être simple. Il faut aussi intégrer correctement les Alpes et les Pyrénées pour que les deux soient suffisamment séparés sans avoir une trop grosse semaine de plat en amont. Il faudrait arriver à aller chercher dès les premières étapes des petites difficultés pour dynamiser la course, sans que cela devienne un chantier phénoménal sur la fin du Tour. L’avantage cette année c’est que la dernière étape sera tracée dans les Alpes.
Peut-on dire aussi que sur le Giro, les collectifs des équipes sont un peu moins forts et que les formations ont plus de difficulté à contrôler la course ?
On a les mêmes profils d’équipes de manière générale puisque toutes les équipes du WorldTour sont là. La liste des engagés du Tour d’Italie reste impressionnante. Mais la course phare pour toutes les équipes du monde reste le Tour de France. C’est l’objectif de toutes les équipes que d’être présentes et de briller sur le Tour de France. La composition d’équipe la plus forte est alignée sur le Tour et pas forcément sur le Tour d’Italie. C’est la course numéro 1 au monde et tout le monde veut y briller. Elles mettent ce qu’il y a de mieux sur le Tour ce qui relève effectivement le niveau.
L’impact médiatique est-il si important ?
Comme on a énormément de retombées, les équipes ont des stratégies bien établies avec des leaders pour lesquels on fait tout le travail. Cela fige un peu les courses car cela donne moins de libertés aux équipiers. Sur les autres Grands Tours, il y a quelques équipes ayant un leader bien établi, et d’autres dans un rôle de freelance.
D’une certaine façon, les enjeux du Tour sont-ils néfastes pour le spectacle ?
On pourrait se dire que c’est la problématique. C’est la plus grande course donc tout le monde veut la gagner. On sait que pour gagner le Tour, il faut être présent sur trois semaines, ne pas avoir de trou, ne pas avoir de moment de défaillance. Un leader doit être capable de ne pas perdre de temps dans la montagne et en gagner dans les chronos. Le jour où on aura des grimpeurs qui prendront suffisamment de temps aux rouleurs dans la montagne, on aura des courses plus débridées. Mais ces dernières années, les vainqueurs des chronos arrivaient à tenir les grimpeurs dans la montagne. Cela dure depuis Anquetil ou Merckx. Ils arrivaient à plus que limiter les dégâts dans la montagne. Aujourd’hui, les grimpeurs ne font pas vaciller les rouleurs.
On peut donc résumer en disant que le Giro favorise davantage les grimpeurs, donc le panache.
J’ai l’impression que certaines étapes du Giro de cette année sont à la limite d’être trop dures. Il y en a une qui enchaîne le Gavia et le Stelvio, une autre qui arrive à Tre Cime di Lavaredo où on monte pendant 3 kilomètres à 12% avec des passages à 20%. On est sur des cols qui sont dessinés pour de purs grimpeurs. Le rouleur a beaucoup plus de difficultés. C’est là que le Tour d’Italie permet à de vrais grimpeurs de refaire leur retard sur les rouleurs.
Ne regrettez-vous pas cette course au spectacle ?
Je me place en tant qu’ancien coureur, il faut rester raisonnable. On peut avoir de très belles courses sur des parcours vallonnés ou semi-vallonnés. Il suffit qu’il y ait des attaques, qu’il y ait des coureurs qui décident d’attaquer et de rendre la course difficile. Une étape de moyenne montagne peut faire très mal si ça roule vite, ou si des seconds couteaux prennent l’échappée, forcent les équipes de leader à rouler pour ne pas laisser trop de temps à des coureurs capables de terminer dans les dix premiers de la course. Cela va inciter une course de mouvement. Il faut un certain nombre de difficultés, mais il ne faut pas aller trop loin et tomber dans des choses qui sont presque insurmontables. Quand on regarde le profil des cinq dernières étapes du Giro, c’est costaud tous les jours. Il ne faut pas aller à la recherche du toujours plus spectaculaire.
Un parcours mesuré, c’est l’exemple du Tour de France cette année…
Je pense que l’on aura un très beau Tour de France car on aura des difficultés très tôt. En Corse, dès la deuxième étape, on pourrait avoir des mouvements de course. Si les leaders se regardent et attendent les deux derniers jours dans les Alpes, c’est sûr qu’il ne se passera rien. Mais si certains leaders se décident à dynamiter la course, on aura du spectacle. Plus que le parcours, c’est l’attitude des équipes qui fera que l’on aura du spectacle ou non.
Les équipes invitées ont-elles aussi moins de pression sur le Giro que sur le Tour.
Sur le Tour de France, le Team Europcar sait dynamiter la course depuis deux ans, Sojasun également. Les autres équipes doivent faire de même si elles n’ont pas de gros leaders capables de gagner le Tour. C’est toujours comme cela que j’ai abordé le Tour de France. Je savais que je n’avais pas les capacités de le gagner, alors j’ai toujours voulu l’animer, être présent. Cela peut sourire. J’ai eu de la chance, cela m’a souri une fois. D’autres coureurs devraient en faire de même. Si on prend l’exemple d’un coureur qui vise le top 10, ne devrait-il pas se dire, « j’attaque sur des étapes de moyenne montagne pour dynamiter la course. Si je prends le maillot, je me bats et si j’explose, ce n’est pas la fin du monde » ? Aujourd’hui, beaucoup entendent et espèrent perdre le moins de temps possible. C’est une conviction. Que vaut-il mieux faire : 10ème à 5 minutes ou 25ème à 12 minutes en ayant dynamité la course ?
N’est-ce pas parce qu’il y a plus d’enjeux pour les équipes françaises sur le Tour que pour les équipes italiennes sur le Giro ?
Peut-être que les équipes italiennes sont plus rassurées car elles sont certaines de faire le Tour d’Italie. C’est super pour les équipes françaises de pouvoir faire le Tour car elles vont être présentes. Je me réjouis de voir l’attitude de Thomas Voeckler qui attaque. S’il est devant et qu’il prend le maillot, il va se battre pour le défendre comme en 2011. Il ne se dit pas de perdre le moins de temps possible sur les leaders. Même chose pour Sylvain Chavanel. C’est plaisant de voir un coureur comme lui. Dès qu’il a un souffle de vie, il attaque, il essaye. Peut-être un jour que ça lui sourira un jour. C’est là que l’on peut avoir des surprises. On a beaucoup trop de seconds couteaux qui veulent attendre. Ce sont eux qui peuvent donner du rythme au Tour, qu’ils attaquent de plus loin, là où c’est propice d’attaquer. S’il y a une bosse à 25 kilomètres de l’arrivée, des coureurs de renom n’ont-ils pas intérêt à attaquer et créer du mouvement ? Cela pourrait mettre certaines équipes en péril. Il faut faire travailler une équipe comme le Team Sky dès la première semaine car on sait qu’ils prennent la course en main en montagne.
Les coureurs sur le Giro ont donc davantage d’esprit offensif que sur le Tour de France.
Effectivement, sur le Tour de France, les équipes ont une stratégie établie et la font perdurer. Hormis Europcar qui est dynamique depuis deux ans. C’est ça que j’ai envie de voir sur le Tour de France. On sait qu’il n’y a que deux ou trois coureurs capables de le gagner. Il faut que les autres mènent du rythme, attaquent pour faire travailler les équipes et changer la donne. Il faut les mettre en difficulté, les attaquer plus tôt et c’est ce qu’a fait Europcar. Il faut être capable de le faire, mais il vaut mieux attaquer que de se mettre dans les roues sans jamais passer à l’offensive.