Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique.
Cyril, tant sur Paris-Nice que sur Tirreno-Adriatico, on a vu les Sky rouler fort aux avant-postes dès que ça se corsait, pouvez-vous nous décrypter leur stratégie ?
C’est une stratégie relativement simple, à condition d’avoir une super condition physique. Elle consiste à rouler pour garder les échappées à portée de fusil, ou bien pour contrecarrer les plans des attaquants puis obtenir le relais des équipes de sprinteurs sur les courses planes, ou bien pour garder le contrôle dans les étapes de montagne. Là, l’objectif est de maintenir un rythme très soutenu dans la dernière ascension pour dissuader toute tentative d’attaque. Cette stratégie nécessite une grosse homogénéité d’équipe, beaucoup de force et beaucoup de sérénité. Il faut savoir ne pas répondre aux attaques en envoyant un coureur mais rester groupé et homogène. L’unité fait la force.
Est-ce une tactique infaillible ?
Je ne dirai pas qu’elle est infaillible. Maintenant, le cyclisme est un sport individuel qui se court en équipe. Cette stratégie ne peut fonctionner que si toute l’équipe en est à la hauteur. Si on n’a que deux ou trois coureurs capables de rouler, ça tombe à l’eau ! Un manque d’homogénéité entraînerait une faille mais ce n’est pas le cas chez Sky pour le moment.
Comment leurs adversaires peuvent-ils contrer cette manœuvre et faire tourner la situation en leur faveur ?
Décrire la stratégie des Sky, c’est facile, mais la réaliser c’est autre chose. Il faut disposer d’une équipe avec une forte condition physique et éviter que le leader ne se retrouve esseulé. Et c’est sur ce point que doivent s’interroger leurs adversaires : comment faire pour désorganiser l’équipe ? Je parlais de sérénité chez Sky, c’est ce qu’il faut mettre à mal. Leurs adversaires doivent les faire douter au maximum et les faire travailler.
Ils n’y sont pas parvenus sur Paris-Nice, en revanche Vincenzo Nibali l’a fait sur Tirreno-Adriatico…
Lundi en effet, plusieurs coureurs dangereux ont forcé l’équipe Sky à rouler fortement tout au long de la journée avant la double difficulté astronomique de Sant’Elpidio a Mare et ses rampes à 30 %. En attaquant de loin, certains coureurs ont obligé les Sky à rouler très tôt, ce qui a usé les équipiers de Christopher Froome. Il ne faut pas attendre le dernier col pour miser sur une hypothétique attaque qui ferait sauter le leader. Il faut attaquer de loin pour inciter les équipes à rouler, mais pour ça il faut avoir les jambes. Et puis il faut une coalition entre les coureurs bien placés au général.
Faut-il courir comme le font les Sky pour gagner une course par étapes aujourd’hui ?
Encore faut-il en être capable ! Quelle autre équipe est capable de courir comme Sky ? Pour cela il faut d’abord avoir un leader capable de créer une différence dans les chronos et de ne surtout pas prendre d’éclat dans les ascensions. Ensuite il faut disposer de cette force, de cette cohésion, qui permet de maîtriser la course. C’est une vraie bonne tactique mais à condition d’avoir le niveau et d’en être capable. Or aujourd’hui toutes les équipes ne sont pas en mesure de courir de la même façon.
Pour mettre en place un tel train, une équipe comme Sky a dû s’entourer de grimpeurs de haut rang. N’est-ce pas dommageable tant pour la carrière de ces lieutenants que pour l’adversité entre les meilleurs ?
C’est dommage pour le côté sportif, oui, mais il faut aussi comprendre qu’il y a une différence entre être lieutenant et passer leader dans une équipe. En tant que leader, tu as plus de pression. On attend de toi que tu gagnes et que tu sois au rendez-vous le jour J. Un lieutenant, il doit être capable de faire le job mais il n’a pas la pression du résultat. Ces coureurs se complaisent dans ce rôle, auprès des meilleurs, par l’intermédiaire desquels ils peuvent gagner de grandes courses. Ce sont tous de supers lieutenants, maintenant feraient-ils tous de supers leaders ? Je n’en suis pas sûr. Richie Porte a prouvé qu’il avait les épaules pour supporter le rôle de leader sur une course comme Paris-Nice, mais en est-il capable sur une course comme le Tour de France…
Cette stratégie des Sky préfigure-t-elle l’avenir du cyclisme ?
J’ai plutôt l’impression que cette stratégie existe depuis un bon moment. Au milieu des années 90, Miguel Indurain avait déjà autour de lui une équipe Banesto qui lui permettait d’aller jusqu’au pied du dernier col accompagné de ses meilleurs coureurs. Tous les grands leaders ont ensuite repris cette stratégie : Tony Rominger et la Mapei au Tour d’Italie, Lance Armstrong et l’US Postal au Tour de France… Leur tactique commune, c’était de créer des écarts sur les chronos puis de gérer en montagne grâce à leur équipe. Ce n’est pas nouveau mais c’est certainement une stratégie d’avenir. Le cyclisme a toujours été un sport stratégique, avec des tactiques précises. Le niveau des équipiers est tel aujourd’hui qu’on attend beaucoup d’eux. Chez Sky, un bon nombre de coureurs possèdent une jambe au-dessus de la plupart des coureurs du peloton. Et dans le vélo, si tu es vraiment le plus fort, la course en est nettement simplifiée.