Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique. Suivez également Cyril Saugrain via Twitter : @cyril_saugrain.
Cyril, la période des classiques commence véritablement aujourd’hui avec le Grand Prix E3. D’après vous, que modifiera l’absence de Tom Boonen dans leur déroulé ?
C’est un élément surtout important pour l’équipe Etixx-Quick Step qui devra modifier sa stratégie. Boonen, par son palmarès et ses qualités, mobilisait à lui seul l’attention des équipes adverses. Son absence risque d’ouvrir un peu plus la course. Les autres équipes devront donc courir différemment et auront peut-être un peu plus le poids de la course.
Zdenek Stybar et Niki Terpstra peuvent prendre le relais du Belge. Le Tchèque et le Néerlandais doivent-ils reprendre le rôle de leader de Tom Boonen ?
Physiquement, je pense que ces coureurs auraient été mieux que Boonen sur les classiques. Les Etixx-Quick Step auront plusieurs cordes à leur arc et ça risque de les rendre encore plus dangereux. Même si le fait de se passer de Tom Boonen est un point négatif, l’équipe peut y trouver du positif. Etixx-Quick Step risque de courir de façon plus libérée car elle pourra jouer sur plusieurs fronts. Les autres équipes devront se montrer plus vigilantes. Quand Boonen est là, les autres équipes savent que l’équipe va travailler pour lui. Avec l’absence de Boonen, Etixx-Quick Step ne va pas laisser filer la course, mais risque de courir différemment en s’appuyant sur les hommes qui endosseront ce rôle de leader sans le moindre souci. Zdenek Stybar et Niki Terpstra en ont largement les moyens.
Peut-on dire qu’il s’agit d’un mal pour un bien ?
Quand même pas, mais leurs adversaires ne sauront pas sur quel pied danser ou à quelle sauce ils seront mangés ! Prenez le Circuit Het Nieuwsblad. Avec le recul, si on analyse cette course, on peut se demander s’ils n’ont pas pêché parce qu’ils voulaient faire gagner Tom Boonen… ou que Tom Boonen voulait absolument gagner. Il a attaqué alors que la meilleure stratégie aurait été de faire attaquer ses deux coéquipiers Stijn Vandenbergh et Niki Terpstra à tour de rôle et lui de rester dans la roue de Ian Stannard. Maintenant, après la course c’est toujours plus simple. Peut-être que si Boonen n’avait pas été là, ils ne se seraient pas fait avoir. En bref, je pense que l’équipe Etixx-Quick Step sera très forte même sans Tom Boonen. J’aurais presque tendance à croire qu’elle sera encore plus dangereuse car plus imprévisible.
Tom Boonen aura 35 ans en octobre. Croyez-vous en son retour ?
C’est compliqué. Il a fait beaucoup d’effort cet hiver pour être au niveau où il était. Il a eu une coupure relativement courte entre la fin de saison et la reprise de l’entraînement. On connaît ses qualités. On sait par exemple que s’il veut se donner les moyens d’y arriver, il peut le faire. La question est de savoir s’il pourra se remobiliser psychologiquement. Le Championnat du Monde à Richmond peut potentiellement lui convenir car plutôt typé pour les hommes des classiques. Mais il peut aussi commencer à manquer d’explosivité. Aujourd’hui, la nouvelle génération pousse très fort et on retrouve sur le devant de la scène des classiques, de jeunes coureurs qui vont très vite. Tom Boonen devra donc exceller dans un domaine où il est en train de régresser, s’il veut concurrencer les flèches comme John Degenkolb, Alexander Kristoff, Peter Sagan et Sep Vanmarcke. Pourra-t-il revenir ? Il ne faut jamais exclure un coureur de son niveau, et dont le palmarès est plus qu’éloquent. Mais aura-t-il le mental pour refaire tout ce qu’il a mis sur pied cet hiver pour faire une dernière campagne de classiques ?
En 2013, Tom Boonen avait terminé son printemps sur une chute au Tour des Flandres et toute la pression avait atterri sur les épaules de Fabian Cancellara. Connaîtra-t-on la même situation cette année ou la présence des hommes rapides que vous avez cités changera-t-elle la donne ?
Le Grand Prix E3 est une course importante pour voir les forces en présence. Fabian Cancellara est en forme, en atteste sa 7ème place dimanche dernier à Milan-San Remo, mais il n’a pas écrasé le début de saison comme il a pu le faire par le passé. Aujourd’hui, il y a du monde en face de lui. Avant, on résumait régulièrement les classiques flandriennes à un duel Boonen-Cancellara avec des outsiders un cran en dessous. Aujourd’hui, c’est différent avec la présence des Degenkob, Kristoff et Sagan, sans oublier un coureur dont on a peu parlé ces temps-ci : Sep Vanmarcke. Rappelez-vous des Strade Bianche. Sur Roubaix, il ne faudra pas non plus oublier un homme qui a décidé de préparer ce rendez-vous cette année : Bradley Wiggins. Fabian Cancellara n’est donc pas dans la même situation qu’en 2013 et la pression ne tombera pas uniquement sur lui. Les courses seront à mon goût plus ouvertes et surtout avec une liste de vainqueurs potentiels plus grande qu’à l’habitude. Ce qui doit réserver une période des classiques intéressante à suivre.