Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique. Suivez également Cyril Saugrain via Twitter : @cyril_saugrain.
Cyril, si vous deviez noter sur 20 l’édition 2015 de Paris-Roubaix, quelle note lui attribueriez-vous ?
Je suis partagé entre deux notes car j’ai longtemps eu le sentiment d’une course assez peu attirante, monotone, hormis le petit coup de bordure d’Etixx-Quick Step après le secteur de Tilloy à Sars-et-Rosières, mais le soufflet est vite retombé. Jusqu’à 15 kilomètres de l’arrivée, j’aurais été tenté de mettre un 12/20. Mais le final a été si haletant, avec des attaques et des notions stratégiques, que j’ai envie de hausser la note aux alentours de 15-16.
La monotonie qui a régné une bonne partie de la journée peut s’expliquer en partie par la présence d’un fort vent arrière. Dans quelle mesure cette donnée a-telle pu avoir une influence sur la course ?
Le vent favorable a favorisé une course super rapide. Du fait d’un rythme hyper soutenu, il était difficile de sortir. Maintenant, même si sur Paris-Roubaix on a la sensation d’aller toujours dans le même sens, quand on est sur le vélo on se rend compte que le vent n’est pas toujours de dos. Et puis du vent, il y en a toujours, plus ou moins portant selon les années. Ça a eu une influence sur la course, ça l’a rendue difficile car rapide depuis le départ, près de 50 km/h de moyenne sur les deux premières heures, mais si l’équipe Etixx-Quick Step avait reçu davantage de soutien à la sortie du secteur de Tilloy à Sars-et-Rosières, on aurait eu un autre spectacle jusqu’à Roubaix.
L’équipe Etixx-Quick Step s’est en effet avérée la seule formation à exploiter le vent en tentant un coup de bordure à 67 kilomètres de Roubaix. Que lui a-t-il manqué pour réussir ?
Je trouve que l’équipe Etixx-Quick Step a plutôt bien couru. C’est certainement l’équipe qui a eu le plus d’influence sur la course. Mais quand on court avec deux leaders comme c’était le cas entre Niki Terpstra et Zdenek Stybar, il est clair que ça se fait au détriment du nombre d’équipiers qui vont pouvoir travailler. Quand ils se sont retrouvés à monter leur bordure, avec deux coureurs protégés figés dans leur attitude, ils étaient moins nombreux à pouvoir peser qu’à l’époque où Tom Boonen était le leader unique. A la sortie du secteur 14, on n’a vu finalement que trois, quatre coureurs en position de rouler. Dans ces conditions tu ne pèses pas sur la course de la même façon.
Hormis Etixx-Quick Step, peu d’équipes ont pris la course à leur compte. En l’absence de Tom Boonen et Fabian Cancellara, n’a-t-on pas couru de manière trop attentiste ?
Ce n’est surtout pas ce qu’on peut reprocher à l’équipe Etixx-Quick Step, qui est pour moi l’équipe qui a le plus pesé sur la course. Le Team Sky, de son côté, a fait une course assez identique à ce qu’il avait fait la semaine passée au Tour des Flandres. Ils ont un peu pris les commandes, ils ont roulé, mais sans vraiment peser sur la course, tout en sachant que la chute de Geraint Thomas leur a fait perdre un élément essentiel très rapidement.
John Degenkolb a remporté deux monuments, Milan-San Remo et Paris-Roubaix, à trois semaines d’intervalle, quand Alexander Kristoff auteur d’une série épatante est apparu en bout de pic de forme dimanche. L’Allemand a-t-il mieux géré sa campagne de classiques que le Norvégien ?
Je ne pense pas. Ils avaient chacun des objectifs clairement identifiés. Ils sont arrivés l’un comme l’autre en forme pour Milan-San Remo, leur objectif commun, où ils font 1 et 2. Si Alexander Kristoff avait été déposé 100 mètres plus tard sur la Via Roma, il est fort possible qu’il n’aurait pas été sauté au punch sur la ligne par John Degenkolb. Paris-Roubaix, pour Kristoff, qui a eu le Tour des Flandres et a mis six victoires dans le carton sur cette période, ça aurait été la cerise sur le gâteau, lui-même estimant que c’était la classique qui lui convenait le moins. John Degenkolb, qui s’était fixé Milan-San Remo et Paris-Roubaix pour objectifs, a fait tilt sur les deux. Je pense qu’ils ont tous les deux très bien géré cette période et son approche, et répondu à leurs objectifs.
L’image des coureurs franchissant un passage à niveau fermé sur Paris-Roubaix n’a échappé à personne. Que vous a-t-elle inspiré ?
Il faut avant tout se mettre dans le contexte. Les coureurs sont dans leur course. Le réflexe, quand tu vois une barrière s’abaisser devant toi, c’est de passer. En voiture, c’est certainement arrivé à tout le monde d’accélérer au feu orange et de passer limite au rouge. On le reproche tous mais ça nous est plus ou moins tous arrivés de le faire.
Que peut-on mettre en place pour éviter un scénario catastrophique ?
Il faut que l’organisateur travaille conjointement avec la SNCF et je suis sûr qu’ASO travaille déjà en collaboration avec. Aujourd’hui, nous avons des moyens de communication relativement fiables. J’imaginerais assez bien qu’aux abords d’une zone comme celle-ci on puisse avoir un informateur en liaison permanente avec la SNCF pour anticiper le passage d’un train. Ça permettrait de prendre en amont l’initiative de faire ralentir ou stopper le peloton sans être pris au dépourvu. Il vaut mieux être ralenti à 25 km/h à l’approche d’un passage à niveau fermé que d’être arrêté 30 secondes à la barrière. En creusant, des solutions peuvent être trouvées. Aux organisateurs de les mettre en application pour garantir la sécurité des coureurs comme des passagers du train. Le passage d’une voie ferrée ne concerne pas toutes les courses, il y a donc un vrai sujet pour trouver des structures à mettre en place.