Professionnel de 1994 à 2003, vainqueur d’une étape du Tour de France au lac de Madine en 1996, Cyril Saugrain est aujourd’hui responsable du développement des partenariats techniques chez b’Twin. Un vendredi sur deux, il nous livre son analyse à travers cette chronique. Suivez également Cyril Saugrain via Twitter : @cyril_saugrain.
Cyril, quel bilan dressez-vous des classiques ardennaises que nous avons vécues ?
Autant je trouve que nous avons eu une course cadenassée sur la Flèche, autant à Liège, la course a été plus ouverte, avec plus de rythme, même si une seule équipe a essayé de dynamiter cette course : Astana. Katusha, avec le nombre de coureurs qu’elle a dans le final, aurait pu prendre le risque d’attaquer d’un peu plus loin. Quand on a trois coureurs du niveau de Daniel Moreno, Giampaolo Caruso et Joaquim Rodriguez, tu peux te permettre d’en lancer un à 30 kilomètres de l’arrivée.
Comment expliquez-vous que les courses soient si cadenassées ?
Je pense que c’est lié au niveau élevé des équipes et des équipiers. Toutes les équipes qui viennent sur ces épreuves les préparent avec minutie. Aujourd’hui, parmi les effectifs de trente, les formations peuvent se permettre de sélectionner les huit coureurs qui se sont le mieux préparés, ceux qui ont tout fait en sorte pour être au rendez-vous. Ces mêmes équipes contrôlent énormément les courses pour leurs leaders pour les mettre dans les meilleures dispositions. Indirectement, ils cadenassent la course pour faire en sorte que tout s’explique dans le final. Mais quand des coureurs comme Valverde et Rodriguez sont présents, à mon humble avis, beaucoup d’autres équipes doivent dynamiter la course un peu plus tôt pour éprouver les équipiers des uns et des autres.
Dès lors, pourquoi ne l’ont-elles pas fait ?
On sait qu’avec le niveau très élevé, on a très peu de cartouches à utiliser. Si on les utilise mal, le danger est de se faire contrer, ne pas être devant et ne pas être présent dans le final. Et dans ce cas, on ne marque pas de points UCI WorldTour. Il y a la pression d’une part pour gagner la course et d’autre part pour rentrer dans les points. Certaines équipes poursuivent cet objectif et dans ce cas, elles ne courent pas de la même façon.
Ce constat de courses de plus en plus fermées s’applique plus encore pour les Ardennaises que pour les Flandriennes. Pourquoi ?
Les Flandriennes ont tout de même été assez fermées. Le Team Sky a par exemple essayé de contrôler sur le Tour des Flandres. Pour revenir aux Ardennaises, les courses sont peut-être un peu plus lisibles. Qui plus est, dans les Ardennaises, nous avions des coureurs qui comme Valverde et Rodriguez avaient un vrai leadership. Leurs équipes n’ont fait que travailler pour eux. Alors que dans les Flandriennes, l’absence de Cancellara et de Boonen avait rendu les courses un peu moins bridées.
Ce problème est donc selon vous avant tout lié aux coureurs ?
Je suis partisan de dire que, quel que soit le parcours, ce sont les coureurs qui font la course. On aura beau ajouter quatre côtes dans Liège-Bastogne-Liège, si le final est tout aussi dur, les coureurs ne vont pas attaquer quatre bosses plus tôt. Certaines côtes seront toujours escamotées et cela ira vite quand les coureurs décideront d’aller vite.
Quelles solutions pourrait-on cependant imaginer pour éviter ce genre de situation ?
Je ne pense pas qu’un changement de parcours soit primordial. La suppression des oreillettes pourrait apporter des temps de réaction plus longs qui permettraient de prendre une quinzaine de secondes de plus avant que le peloton ne riposte. Pour moi, l’élément le plus important, c’est la réduction des effectifs. Elle aurait pour effet de libérer les courses. Faire une course à six ou à huit, ce n’est pas la même chose surtout pour contrôler la course. Les équipes devraient encore plus surveiller leurs cartouches. Le niveau global ayant progressé, les équipiers ayant un niveau supérieur, les courses peuvent effectivement être plus facilement cadenassées. Avec cinq coureurs autour d’un leader au lieu de sept aujourd’hui, cela pourrait ouvrir des opportunités. La deuxième chose, c’est qu’en ayant moins de monde, il y aurait aussi peut-être à certains moments moins de chutes.
L’équipe Astana a été la seule à tenter de dynamiter la course, tant sur l’Amstel qu’à Liège. Elle a échoué à chaque fois. Que lui a-t-il manqué ?
Sur l’Amstel, l’élément clé, c’est la chute de Diego Rosa, le coéquipier de Vincenzo Nibali. Si la chute ne s’était pas produite, on aurait eu un final de l’Amstel un peu plus haletant. Elle a contraint Nibali à faire l’effort, à revenir devant. Le groupe a également roulé sur la retenue. S’il avait eu un équipier avec lui, il aurait pu rouler plein pétrole et la question aurait été différente. A la Flèche, Nibali était sans doute en dessous de ce qu’il aurait voulu faire et il se fait contrer par Tim Wellens dans la côte de Cherave. La question est donc de savoir comment faut-il faire pour ne pas sortir tout seul et toujours avoir du monde avec soi. Il faut une coordination de plusieurs leaders qui aient l’envie de durcir la course au même moment. Ce que les Astana ont à mon sens très bien fait à Liège en durcissant la course de loin. Mais Nibali devait être un petit peu court. On le voit dans Saint-Nicolas car il n’est pas capable d’attaquer.
Les coureurs français ont retrouvé les avant-postes sur les Ardennaises. Sur l’Amstel, la Flèche et Liège, deux Français sont rentrés dans les 10. L’an dernier, seul Romain Bardet à Liège avait intégré le Top 10 d’une Ardennaise. Un cap a-t-il été franchi ?
Je ne dirai pas cela. Nous avons simplement des jeunes qui arrivent à maturité. Romain Bardet en est l’exemple. Sur Liège, il fait 13ème, 10ème et 6ème. Cela montre qu’il confirme tout le bien que l’on pense de lui alors qu’il arrive dans la fleur de l’âge. Julien Simon termine 17ème à Liège. La très grande et la magnifique surprise, c’est Julian Alaphilippe. Je pense que lui même vient de se découvrir à ce niveau-là. Je ne pense pas qu’il s’attendait à terminer 2ème de la Flèche et de Liège et 7ème de l’Amstel avant d’aborder la période des Ardennaises. Au sein de l’équipe Etixx-Quick Step, il va prendre une expérience phénoménale. Il va devenir un coureur très important pour le cyclisme français dans les années à venir. Nous avons une bonne génération qui arrive pour bien figurer sur ces classiques et qui devrait permettre au cyclisme français d’être présent sur tous les types de course, Ardennaises comme Flandriennes.