Eros, vous avez mis un terme à votre carrière en 1999 sous les couleurs du Crédit Agricole. Aviez-vous alors déjà envisagé votre reconversion ?
J’avais des projets en tête, qui au départ ont bien marché. Je me suis mis gérant d’une brasserie dans le centre de Vérone. J’avais beaucoup de travail mais pas assez d’argent pour gagner ma vie. Avec notre système italien, j’avais beaucoup de taxes à payer. Ça a été très difficile, j’ai dû vendre la brasserie et j’ai dû chercher d’autres pistes. Dans la vie il faut prendre des risques, savoir prendre des décisions, et j’en ai pris de mauvaises au début de ma reconversion, jusqu’à trouver ma voie.
Laquelle ?
Je suis revenu dans le milieu du vélo, que je côtoyais encore chaque mois de juillet en qualité de pilote des VIP pour ASO sur le Tour de France. J’étais donc toujours en contact avec le monde du vélo. En 2009, j’ai décidé de monter mon entreprise de voyages à vélo pour les coureurs étrangers. La société Eros Poli. Je travaille également avec Pinarello sur le Giro, où j’emmène des clients à moi passer dix jours sur les routes d’Italie. On fait du vélo, on mange bien, on déguste des vins italiens…
Avez-vous suivi une formation particulière pour devenir du jour au lendemain chef d’entreprise ?
Pas du tout. C’est juste l’expérience. J’en ai pris beaucoup avec la brasserie, que j’ai gérée avec ma femme et ma sœur. En retournant dans mon monde, le vélo, qui reste la meilleure chose que je sache faire, j’avais naturellement les compétences pour lancer ma boîte. J’ai rapidement pu apporter mon expérience à mes clients, qui sont devenus des amis.
Quant à revenir dans le monde du cyclisme, ne vous voyiez-vous pas rejoindre le staff technique d’une équipe ?
Il y a quelques années, j’ai eu des propositions pour devenir directeur sportif. C’est quelque chose à laquelle je n’avais jamais tellement réfléchi. Mais nous n’avons pas trouvé d’accord.
L’Italie met-elle en œuvre des filières de reconversion ?
Pas du tout. Ni à mon époque, ni maintenant. Je sais qu’en France il y a beaucoup de coureurs qui bénéficient de formations pour préparer leur reconversion, mais chez nous ça ne marche pas comme ça.
Quand on pense Eros Poli, on pense Mont Ventoux. Il y a vingt ans, vous gagniez l’étape du Tour Montpellier-Carpentras, 231 kilomètres via le Géant de Provence. Votre victoire a-t-elle eu la même répercussion en Italie qu’en France ?
Non, absolument pas. Etrangement ce n’est que maintenant que ça commence à prendre de l’ampleur, avec les chaînes sportives qui repassent d’anciennes étapes du Tour de France à la télé. Ma victoire d’étape revient souvent parmi les succès les plus étonnants (NDLR : Eros Poli pesait 85 kg pour 1,97 mètre, il avait abordé le Ventoux seul avec vingt minutes d’avance sur le peloton). Si bien que beaucoup d’Italiens me découvrent maintenant et que je gagne en popularité. Mais à l’époque ça ne s’était pas passé comme ça.
Ça reste pour vous le plus grand succès de votre carrière ?
C’est le plus grand à mon palmarès, oui, mais j’ai aussi été médaillé d’or du contre-la-montre par équipes aux Jeux de Los Angeles en 1984. J’avais 21 ans, ça a été ma première grande victoire, quelque chose d’énorme. Mais sur un palmarès, gagner une étape du Tour est au-dessus de tout. Rien que d’être au départ du Tour de France, c’est déjà une victoire. Gagner la plus belle étape de l’épreuve, celle qui passe par le Mont Ventoux, c’est quelque chose d’extraordinaire. Je ne le réalisais pas à l’époque, mais on ne cessait de me répéter : « tu n’as pas gagné une étape du Tour, tu as gagné celle du Mont Ventoux ! »
Aujourd’hui encore, à 50 ans, vous montez le Ventoux en 1h30 environ. Vous roulez donc toujours ?
Je fais deux sorties par semaine, pas plus car je travaille beaucoup sur mon ordinateur pour programmer les voyages, les hôtels, les parcours, les contacts directs avec les clients… C’est beaucoup de boulot.
Vous êtes également très au fait de l’actualité. Pensez-vous par exemple que Chris Froome soit parti pour une longue domination sur le Tour de France ?
Je ne crois pas. C’est difficile désormais de trouver des coureurs qui parviennent à être constants sur plusieurs années, comme c’était le cas aux époques d’Indurain, d’Hinault, de Merckx… Il faut rester concentré sur plusieurs années, et c’est dur. Chris Froome a su le faire l’an passé, comme Bradley Wiggins en 2012. Mais se préparer aussi fort sur plusieurs années, ça me paraît difficile. Je vois davantage un retour d’Alberto Contador…