Des trois mousquetaires, seul Charles se trouve exempt de toutes frasques plus ou moins fallacieuses. Le benjamin de la tribu des Pélissier n’en possède pas moins un palmarès dont la fratrie peut se montrer honorée. Une carrière conventionnelle, certes auréolée toutefois de seize succès (et nombre d’accessits) dans la Grande Boucle (1929, 1930, 1931 et 1935) et de trois titres de champion de France de cyclo-cross (1926, 1927 et 1928) d’affilée à l’aube de celle-ci. En fait, la congrégation des Pélissier, même si Henri possède la carte de visite la plus notoire, s’est répandue sur les routes de la gloire durant une quinzaine d’années. Tout au long de sa carrière, Henri ne pourra se soustraire à l’hégémonie familiale. Dans les succès comme lors de revers retentissants voire rocambolesques, pour ne pas dire ubuesques, Henri et Francis feront route de concert pour le meilleur et souvent pour le pire.
Leurs palmarès respectifs ne sauraient à eux seuls taire ou tenter de faire oublier les légendaires incartades chroniques des deux frangins. Tout le monde garde en mémoire l’épisode de la gare de Coutances où, attablés au buffet de celle-ci, ils y rencontrèrent l’inénarrable Albert Londres. Le journaliste bourbonnais sortit de cet incroyable conciliabule plus riche d’enseignements que bien des reportages au coeur du peloton. Les Géants de la Route étaient nés. Henri Pélissier, après avoir stoppé sa carrière, prendra soin de son cadet et l’amènera, chevaleresque mais non sans quelques expédients verbaux dont il avait le secret, à son second succès dans le Derby en 1924. La Ficelle, celui qui avait osé avouer à Albert Londres, en sortant de ses poches toutes sortes de produits médicamenteux (« voulez-vous savoir à quoi nous marchons, ça c’est de la cocaïne, ça c’est du chloroforme, ça c’est des pilules ! »), mourut comme il avait vécu, sur sa monture, brutalement, foudroyé par une balle de revolver tirée par sa femme, un soir de dispute conjugale.
Le Grand, Francis, ne tardera pas à chaperonner ses congénères en herbe. Et quel plus beau tremplin pour fourbir ses armes que l’épreuve qui l’avait fait roi, une décennie auparavant, à savoir, Bordeaux-Paris. Nous sommes en 1933. A la prise des entraîneurs, à Tours, après une nuit et une matinée de tout repos, les hostilités se font jour par l’entremise de Jules Merviel. Jean Bidot, Frans Bonduel et le tout jeune protégé du Grand Fernand Mithouard, ne s’en laissent pas compter et sautent immédiatement dans la roue du présomptueux. A la sortie de Châtellerault, Merviel perce. L’Auvergnat doit se résigner à patienter de longues minutes dans l’espoir hypothétique de voir apparaître la voiture de son constructeur. Pendant ce temps, le petit Fernand, décomplexé, a pris le commandement de la course et en vieux briscard mouline rageusement. A Blois, Francis ose une expérience qui allait s’avérer, du moins le croit-il, payante. En effet, il tente le changement de monture de son poulain. Remis en selle par ses soins, Mithouard roule désormais sur un vélo de Stayers nanti d’un développement ahurissant de 8,92 mètres.
Apparemment, le jeune Français semble digérer au mieux l’impact généré, de sorte que l’écart se creuse alors rapidement entre lui et ses poursuivants. En vue de Chevreuse, Francis Pélissier, qui n’est plus à une innovation près, lui fait enfourcher une énième machine, pourvue d’un dérailleur, cette fois. Le Fernand, qui se sent ainsi instrumenté pousser des ailes, avale la côte de Dourdan tel un condor en proie aux prédateurs. Mais la Sorcière règne en ces lieux expiatoires et c’est sous la forme d’une terrible défaillance que notre fulgurant Fernand commence son chemin de croix. Saoulé de fatigue, le regard affichant une détresse exempte de simulation, titubant tel un boxeur au bord du KO, il s’affaisse finalement dans un fossé salvateur. Le Grand Francis, tel un acrobate, s’extirpe de son véhicule à grand renfort de superlatifs. Il l’exhorte à reprendre le sentier de la gloire, coûte que coûte, lui donne à boire un remontant et le remet en selle promptement.
Ses forces retrouvées suite à la déglutition de ce breuvage rédempteur, Fernand Mithouard pénètre enfin dans un Parc des Princes en liesse 7 minutes et 45 secondes devant Van Rysselberghe et 8’07 sur Romain Gyssels, tous deux d’ailleurs derniers lauréats respectifs de l’épreuve. La fatigue, due à sa longue chevauchée héroïque, et l’émotion qui s’ensuivit, furent de trop pour le jeune Fernand et c’est dans un brouillard sans nom qu’il s’évanouira aussitôt. C’est dans les bras du Grand que le nouveau recordman de l’épreuve (16h09 contre 16h35’47 pour Constant Huret en 1899) retrouvera ses esprits. Francis disparaîtra, la même année que son frère cadet Charles, en 1959, à Mantes-la-Jolie.
Michel Crepel