Ce qu’il aime, c’est la nature. La nature dans toute sa splendeur, sa magnificence, mais également sa rudesse et son incommodité. Solide coureur de DN1 au début des années 2010, Steven Le Hyaric a vu sa trajectoire frôler le monde des pros avant de s’en éloigner diamétralement. Vainqueur d’une étape du Tour du Loir et Cher en 2010, il arrête brusquement le vélo l’année suivante, las de la route et de ses « autoroutes ». En quête de plaisir, il s’essaie alors au triathlon, tente de populariser la discipline au service communication de sa fédération, s’investit, vibre, et craque. Dépité par l’échec de Vincent Luis dans sa quête d’une médaille aux Jeux Olympiques de Rio 2016, dégoûté du sport de haut-niveau et de son absurdité, Steven le Hyaric cède enfin à de profondes pulsions.
Alors il plaque tout, s’envole pour le Népal sans billet de retour, se consacre aux enfants des quartiers pauvres, s’essaye à la méditation silencieuse et découvre l’immensité de l’Himalaya. De retour à Paris, il regrette vite ces montagnes et ne tarde pas à revenir les retrouver. Avec un vélo, cette fois. Accompagné d’un sherpa et d’un caméraman aguerris aux conditions extrêmes, il parcourt 2000 kilomètres et escalade 90 000 mètres de dénivelé positif en 51 jours.
Métamorphosé, Steven le Hyaric se forge ainsi la stature d’un véritable aventurier. Non satisfait d’avoir traversé le plus grand massif montagneux du monde, il souhaite désormais retrouver la solitude de l’isolement et l’exaltation de l’exploit à travers le « 666 Project ». 6 déserts, 6 continents, 6 x 1 mois. Namibie, Gobie, Atacama, Arctique, Antarctique, Simpson (Australie). Pour lui, pour ses followers, pour la Terre.
Intrigués par une telle démesure, nous l’avons interrogé sur les raisons et les conditions d’un tel projet.
La liberté pour réussite
Vélo 101 : Employé du service communication de la Fédération Française de Triathlon, vous avez tout plaqué à l’issue des Jeux Olympiques pour partir au Népal, à l’aventure. Pourquoi ?
Steven Le Hyaric : Je ressentais pas mal de mal-être dans le vélo. J’ai réalisé la difficulté de la privation qu’exerçait le haut-niveau sur les athlètes, rendus moines par leurs exigences professionnelles. Je pense que la liberté est vraiment importante, on a 80 ou 100 ans à vivre sur cette Terre, et je souhaite les vivre pleinement. Si, dans notre société, le mot « réussite » est plutôt synonyme de richesse, je réfute complètement cette vision.
Vous semblez apporter une attention toute particulière aux personnes que vous rencontrez, tant au Népal qu’en Namibie. Pourquoi ?
Nous sommes issus de sociétés qui ont grandement participé à la destruction de la planète par une production démesurée, alors ces rencontres me donnent de l’espoir, me permettent de réaliser que l’humain n’est pas forcément pourri. La rencontre de moines au Népal ou de Himbas en Namibie me donne espoir en l’humain et me permet de concevoir d’autres manières de vivre.
Qu’est-ce que vous a apporté l’aventure et que vous ne trouviez pas sur les sentiers battus ?
Quand j’ai traversé l’Himalaya, j’avais déjà une envie profonde de découvrir l’autre, de découvrir la nature, de découvrir cet univers relativement hostile. J’ai dû passer plus de 30 jours à 4000 mètres d’altitude. C’était dur, vraisemblablement ce qui se fait de plus dur en montagne, j’ai dû parfois porter mon vélo pendant plus de 20 heures d’affilée. Mais la pensée de parcourir des endroits encore immaculés de tout passage humain m’exaltait. Alors j’ai essayé de conserver cet état d’esprit « enfantin » pendant toute la traversée.
La souffrance au service de la compréhension
Vous avez pour slogan « Commencer par les jambes et finir au mental ». Pourriez-vous décrire plus en détail le défi psychologique auquel vous confronte l’ultra trail ?
Pour moi, une telle aventure s’apparente à de la méditation, c’est-à-dire accepter les pensées qui surviennent tout en se concentrant sur l’effort et le pilotage du vélo. En même temps, j’essaie de montrer ce que je fais aux gens, via les réseaux sociaux, et les convie même aux « GravelMan Series », épreuves longue-distance sans assistance, qui leur permet de goûter à l’aventure tout en bénéficiant d’un certain cadre. Pour moi, le vélo tel que je le pratique s’apparente à une forme de développement personnel, loin de l’esprit de la compétition. Dans les sociétés hindouistes, un dicton dit qu’il faut passer par la souffrance pour comprendre les choses, et j’en suis relativement persuadé aujourd’hui.
« Mettre en lumière les conditions qui nous attendent dans 30 ans », Steven Le Hyaric
Comment vous est venue l’idée de votre dernier et actuel projet : le 666 Project ?
J’y ai pensé dans l’avion qui me ramenait de mon précédent projet, comme souvent. Mais pour le coup, je n’avais plus vraiment envie de montagne mais plutôt la volonté de montrer des univers complètement différents de ce que l’on connaît en les traversant à vélo. Je souhaitais ainsi mettre en lumière les conditions qui nous attendent dans 30 ou 50 ans, nous, habitants d’environnement privilégiés, si nous ne changeons pas nos habitudes. Parcourir ces endroits-là à vélo m’apparaissait donc comme un hommage à la planète, à sa beauté, malgré la difficulté. Je souhaitais aussi réaliser une prouesse physique : survivre, tenter tant bien que mal de m’adapter aux froids ou aux chaleurs extrêmes.
En parcourant des environnements sinistrés, j’avais aussi l’ambition d’alerter sur les conséquences de nos modes de vie, à l’image des montagnes de déchets qui jonchent le Sénégal. « Faisons gaffe aux autres et à la planète », tel est donc le message du projet 666.
Steven Le Hyaric, aventurier rodé mais cycliste sommaire
Pouvez-vous raconter les conditions dans lesquelles vous effectuez vos prouesses ? Paquetage, matériel, nourriture, etc… Comment dessinez-vous vos parcours ? Quels types de revêtements empruntez-vous majoritairement ?
Au Népal, j’avais opté pour un vélo assez sommaire, avec un cadre en aluminium et des pneus de 29 pouces, par choix mais aussi contraint financièrement. J’ai régulièrement trouvé des pistes, mais ce VTT me permettait également de descendre des cols sur des pentes raides, voire de le porter dans les portions enneigées ou empierrées.
Pour la traversée du désert de Namibie, j’avais également choisi une monture assez simple : un vélo gravel de série en aluminium avec des pneus de 42mm. Je dispose également d’un GPS qui me permet de naviguer en toute sérénité, selon l’itinéraire que j’ai tracé en amont. L’important c’était d’avoir un vélo sûr, qui demande peu d’entretien même si j’avais un peu de matériel de réparation sur moi. L’idée c’était de me mettre dans les mêmes conditions que le mec qui part faire 200 bornes le dimanche. J’avais également une selle en cuir, qui offre davantage de confort et de solidité que des selles en carbone. Et pour les vêtements, j’ai emporté de quoi résister tant aux 0°C nocturnes qu’aux 45°C diurnes.
Mais je crois qu’il faut aussi simplifier ces questions de matériel et bien penser que c’est l’homme qui doit être plus préparé que le vélo, même si évidemment c’est plus facile avec un vélo adapté.
La lassitude comme ennemi
Outre la température, quelles ont été les principales difficultés de ce défi ?
Si on parle strictement du 666 Project, que l’on occulte les épreuves que j’ai pu connaître dans l’Himalaya, c’est vrai que le froid a été l’une des difficultés principales de ma traversée du désert de Gobie, en Mongolie. En fait, j’ai beaucoup plus de mal à me réchauffer qu’à me refroidir. Mais l’absence de toute civilisation, de toute diversité dans le paysage, a également rendu cette traversée lassante et fatigante, sur des lignes droites qui mesuraient parfois plus de 50 kilomètres. Le fait que les pistes soient relativement ensablées a également accru l’effort requis pour avancer, tout comme le vent, si bien que je ne parvenais parfois pas à dépasser 10 km/h.
Revenir aux sources du vélo pour démocratiser sa pratique
Le cyclisme est de plus en plus touché par les effets du dérèglement climatique (coulées de boue torrentielles, chaleurs caniculaires, ect…). Pensez-vous que les instances dirigeantes en prennent suffisamment conscience ?
Aujourd’hui, la plus grande société d’organisation du cyclisme mondial, c’est Amaury Sports Organisation (ASO). Donc je me pose surtout la question par rapport à elle. Ses deux principaux gagne-pains c’est le Dakar et le Tour. Or, je ne suis pas certain qu’un rallye automobile en Arabie-Saoudite et une caravane de 350 véhicules reflètent réellement une prise de conscience écologique. Peut-être que des véhicules hybrides et électriques permettent de réduire un peu cette empreinte carbone, mais je n’en suis même pas convaincu, notamment du point de vue de l’assistance qui leur est nécessaire. Donc non, je ne suis pas du tout persuadé que le cyclisme ait pris conscience de l’enjeu climatique, ni qu’il en ait quelque chose à faire.
Mais faire du vélo ce sera toujours mieux que prendre sa voiture pour faire 5 kilomètres, donc j’encourage les gens à vivre un peu plus « vélo » ! Mais pas forcément par le Tour de France. D’ailleurs, je ne sais pas si regarder le Tour de France ça donne envie de partir à l’aventure à vélo…
Namibia, le nouveau documentaire de Steven Le Hyaric
Après avoir librement mis à disposition son documentaire Namibia sur YouTube, durant les fêtes de fin d’années, Steven le Hyaric cherche désormais une plateforme payante où il pourrait faire paraître le récit de sa traversée du désert de Kalahari-Namib. En attendant, il se prépare à affronter, en mai, le fameux désert d’Atacama, au Chili.
Toute son actualité et ses expéditions sont à retrouver sur son site : https://www.stevenlehyaric.net/aventures.