Avec elle, les bas sont d’une profondeur abyssale et les hauts atteignent la cime enneigée de l’Olympe. Les désillusions sont d’une puissance dévastatrice, alors que les succès sont emplis d’une gloire intense. Cycliste prodigieuse, elle a marché sur son sport dans la quasi-globalité de ses disciplines. De la route au VTT en passant par le cyclo-cross, peu d’épreuves lui ont résisté. Sa récente décision de mettre fin à sa carrière sur le premier terrain cité marque d’ailleurs un tournant dans ses choix de parcours, elle qui avait toujours tenu à faire de sa pluridisciplinarité une force et une source supplémentaire de motivation, là où beaucoup dilapident leur talent plus qu’ils n’accroissent leurs forces. Sacrée championne des championnes par le quotidien L’Equipe en 2014, classée parmi les Français les plus influents dans le monde par le prestigieux magazine américain Vanity Fair cette même année, cette jeune champenoise a régné sur la planète vélo dès la majorité passée. Aujourd’hui plus expérimentée et plus sereine, elle connaît une véritable renaissance, effaçant doucement le douloureux souvenir d’années de galères passées entre ces deux instants de grâce. Ce jeudi, portrait de l’une des meilleures cyclistes de sa génération, à l’histoire tumultueuse en évènements mais généreuse en succès, portrait de Pauline Ferrand-Prévot.Pauline Ferrand-Prévot | © Site officiel de Pauline Ferrand-Prévot
Son parcours :
La majorité à peine passée et « PFP » s’est déjà fait un nom dans le petit monde du cyclisme. Sur le circuit de Mont Saint-Anne, au Canada, elle grimpe sur la première marche du podium avec un sourire béat, laissant entrevoir un immense bonheur, la saisissant de sa douceur et de sa puissance. Le visage encore marqué par la chaleur pesante, elle jette ses dernières forces dans la célébration d’une victoire aux promesses fabuleuses. Il faut dire qu’après une telle année, de tels succès, et cet après-midi encore, une telle course, Pauline Ferrand-Prévot ne gagne plus par hasard. Jusque là protégée du regard et des attentes du grand public, elle se forge vaillamment une place au sommet de la catégorie Junior, dans laquelle plus grand-chose ne peut lui résister. Même l’incroyable Jolanda Neff, d’un an sa cadette, et future reine du VTT mondial, aura fini par céder sous le soleil québécois. Si la suissesse avait pourtant pris le meilleur sur la française dans les deux premiers tours de course, la repoussant à près de 40 secondes au second passage de la ligne d’arrivée, elle a finalement été terrassée par les rayons brûlants de l’astre de feu, couronnant la résistance de la champenoise. Championne du monde junior de cross-country sortante, cette dernière double ainsi la mise en conservant avec autorité un maillot arc-en-ciel qu’elle ne veut plus quitter. Elle y est même tellement attachée qu’elle l’a aussi accaparé sur la route, dont elle est championne du monde sur la course en ligne, l’épreuve contre-la-montre ne lui ayant échappée que pour une poignée de secondes. Saupoudrez cela de titres nationaux et européens dans les deux disciplines, et vous obtenez une véritable championne en devenir, prête à faire parler d’elle, quelque soit le terrain.Pauline Ferrand-Prévot sur la plus haute marche du podium des mondiaux de VTT Juniors en 2010 | © FFC
4 ans plus tard, le journal l’Humanité la sacre princesse de la Petite Reine. Elle vient en effet de l’embrasser dans sa plénitude, de l’enlacer sur tout son corps, refusant d’avoir une partie préférée. En intégrant le monde professionnel, elle aurait pu tout perdre à force de continuer de courir sur tous les terrains. Elle a finalement tout gagné. Alors que le journal L’Equipe qualifiait déjà « d’historiques » ses exploits au mois de juillet, alors qu’elle venait d’entrer en possession de 4 maillots de championne nationale cumulés, la voilà désormais entamer une collection de maillots arc-en-ciel qu’elle a définitivement adoptés. Et cette fois, il s’agit de s’en emparer dans les catégories élités, au nez et à la barbe de toutes les grandes de ce monde. Au départ des mondiaux de Ponferrada, dans le nord-ouest de l’Espagne, elle détenait en effet déjà le maillot tricolore sur les épreuves en ligne et contre-la-montre du cyclisme sur route ainsi qu’en cyclo-cross et en VTT, sans parler de ses titres espoirs. Pourtant, à partir de cet après-midi de septembre 2014, Pauline Ferrand-Prévot s’apprête à accroître sa suprématie nationale à la planète entière. Le tout en trois actes, d’une virtuosité incomparable. D’abord, ce sprint dont elle s’est un instant crue privée, piégée avec les allemandes de Lisa Brennauer lorsque Marianne Vos prenait les devants à 5 kilomètres de l’arrivée, accompagnée de 3 compères. Revenue sur les fuyardes in extremis dans le dernier virage, il s’en est encore fallu de peu pour que son boyau franchisse la ligne d’arrivée en premier. Mais la photo-finish est formelle : « PFP » est bel et bien sacrée, chose que la champenoise peine à réaliser. Résistante aux bosses, plus rapides que ses concurrentes au sprint, la française se voit une première fois couronnée. Avant de détrôner Marianne Vos une seconde fois quatre mois plus tard. Sur le circuit de cyclo-cross de Tabor, sous une neige glaciale, la rémoise s’empare de la première place d’une main de maître dès le 3e des 5 tours, pour ne plus la quitter. La légende néerlandaise distancée, seule la belge Sanne Cant parvient à lui résister, avant de craquer sur les derniers mètres asphaltés. Un nouvel exploit sans conteste pour Pauline Ferrand-Prévot, qui voit là se compléter la seconde étape de sa maestria mondiale. Il faut ensuite attendre le mois de septembre pour voir débarquer sur la ligne d’arrivée du circuit de Vallnord, en Andorre, une Pauline Ferrand-Prévot levant des poings rageurs. En venant à bout d’une rude concurrence et d’un parcours ardu, la champenoise réalise alors le triptyque fantastique, inédit dans la longue et riche histoire du cyclisme. De princesse du la Petite Reine, elle s’est offerte en moins d’un an une place au panthéon, là où les mythes du sport cycliste reposent paisiblement sur leurs exploits légendaires. En régnant d’une telle manière sur le Vélo, « PFP » s’est assuré un beau coussin.
Son statut aujourd’hui :
5 ans plus tard, Pauline Ferrand-Prévot fait aujourd’hui figure de revenante. Dans une traversée du désert en pleine tempête, la champenoise a perdu tout ce qu’elle aimait, de son compagnon Vincent Luis à son entraîneur Yvan Clolus en passant par tout son attirail de maillots distinctifs. Enchaînant les blessures et les maladies, elle a cru voir les cimes de son sport s’éloigner à jamais, poussant même sa chute jusqu’aux antres du désespoir. Mi-novembre, elle déclare même rétrospectivement avoir pensé tout arrêter au quotidien Ouest-France. Quitter le vélo pour ne plus jamais avoir à vivre ces moments de désillusions, où les sacrifices de toute une existence s’avouent vains, où les efforts ne se trouvent plus jamais récompensés. Alors qu’une pathologie venait succéder à une autre à peine guérie, la tentation était forte de tout plaquer pour se changer les idées. Après avoir vu l’année 2016 gâchée par une sciatique, l’hypothèse d’un retour au plus haut niveau pour les saisons 2017 et 2018 a été balayée par des problèmes de pression artérielle dans sa jambe gauche, auxquels s’ajoute une endofibrose iliaque. Opérée durant l’hiver 2018-2019, « PFP » peut alors repartir de 0, débarrassée de ses soucis mais aussi dépourvue de toute forme.
2019 a alors pris une allure de long retour vers les sommets pour la rémoise. En quelques mois, la nouvelle compagne de Julien Absalon passe du stade de la rééducation à celui de la compétition. Après une douce reprise des courses en février, elle parvient à devancer Lucie Urruty et Julie Bresset aux championnats de France de VTT pour y glaner un 6e titre consécutif. Même diminuée, « PFP » reste irrésistible. Quelques jours plus tard, elle s’érige à nouveau au plus haut niveau mondial en décrochant la manche de Val Di Sole en Coupe du Monde, sa première depuis 4 ans. Tous les ingrédients sont donc réunis pour une renaissance qui se dote d’un caractère divin le 31 août. Partie en 18e position des championnats du monde, la française se dévoile totalement déchaînée sur le circuit de Mont Saint-Anne. Remontant une à une ses concurrentes, elle ne fait qu’une bouchée de la championne d’Europe Jolanda Neff pour finir par décrocher, selon ses mots, le plus beau titre de championne du monde de sa carrière. Sur le podium protocolaire, les larmes coulant lentement sur son visage ne sont qu’un euphémisme de l’émotion ressentie : à travers ce come-back d’une après-midi, il y a surtout le symbole de la remontada de sa vie. Et pour que l’histoire soit sublime, prête à être racontée aux jeunes vététistes avant qu’ils aillent se coucher, elle rêve désormais que l’or de Tokyo devienne une réalité.Pauline Ferrand-Prévot a renoué avec la maillot arc-en-ciel lors des mondiaux de VTT 2019 au Mont Sainte-Anne | © Compte Twitter de Pauline Ferrand-Prévot
Par Jean-Guillaume Langrognet