Peu de gens le savent, mais elle a marqué l’histoire du Tour. En effet, si l’histoire audiovisuelle de la Grande Boucle est longue et riche, faite de centaines de moments d’anthologie et de milliers d’heures d’antennes, composée de dizaines de commentateurs et nourrie des analyses d’innombrables consultants, jamais ses micros n’avaient servi à transmettre les mots d’une femme. Avec elle, c’est désormais chose faite depuis 2015. En entrant de cette manière dans la légende de la Ronde de Juillet, elle a assurément participé à une vague plus large de modernisation et de démocratisation du cyclisme. Moins exclusif et plus ouvert sur les minorités, celui-ci évolue avec son temps, répondant ainsi aux nouvelles exigences égalitaires de la société. Ainsi, par sa persévérance, sa force de caractère et son talent, cette journaliste a pleinement contribué à faire avancer le vélo tricolore, quitte à en devenir une pionnière. Alors à l’heure où Marion Rousse a reçu le prix de la meilleure consultante TV, où la première équipe professionnelle française vient d’intégrer l’UCI Women World Team, où le grand public sait enfin que le cyclisme se décline aussi au féminin, il était temps de rendre hommage par ce portrait à l’une de celle qui a osé faire sa place dans un milieu encore très masculin. Portrait de Claire Bricogne, journaliste pour la Chaîne l’Equipe.
 

Son parcours :

Comme beaucoup, Claire Bricogne est venue au cyclisme par sa merveilleuse vitrine : le Tour de France. Unique représentant de la Petite Reine dans l’esprit des enfants, évènement englobant à lui seul la grandeur de la discipline, il a ce don de séduire les petits au détour d’un virage de montagne ou d’un bord de route de campagne, avant de les entraîner progressivement vers les splendides profondeurs du cyclisme. Ainsi, la jeune fille est encore bien loin de ses futures considérations journalistiques lorsqu’elle découvre par hasard sur sa télévision cette fabuleuse fête populaire, réunissant la foule autour d’un filet de coureurs, tel un serpentin humain tracé d’une main tremblante dans un paysage grandiose. Happée par l’extase que le défilé des héros de juillet suscitent, elle est comme frappée par cette foudre festive, à la puissance inégalée. L’avancée de l’âge aidant, elle découvre progressivement tous les enjeux se cachant derrière ces images spectaculaires, toutes les compétitions participant chacune à la formation d’un grand calendrier chargé de classiques, de Grands Tours et de monuments répartis de janvier à octobre. Elle pénètre peu à peu dans cet univers complexe, composé d’exploits retentissants et de belles histoires en tous genres, mais aussi de drames et de scandales. Surtout, elle s’aperçoit qu’il consiste un formidable débouché pour sa passion grandissante pour le journalisme sportif.

Sa voie désormais toute trouvée, elle veille à chaque carrefour à choisir la bonne direction. Après un baccalauréat littéraire, elle s’oriente vers une licence de lettres, choisissant même une spécialisation en médias et communication en troisième année. A peine diplômée, la voilà déjà correspondante pour le journal local, le réputé Courrier Picard. N’oubliant pas son domaine de prédilection, elle y officie naturellement au service des sports, apportant ainsi une légère touche féminine à un milieu trusté par les hommes. Cependant vite lassée par le secteur de la presse écrite, elle se décide en 2010 de reprendre ses études, trois ans après les avoir abandonnées. Courageuse et déterminée, elle intègre le prestigieux Institut de Journalisme Européen de Paris, remède miracle à son déficit de vision d’ensemble de la profession. Y acquérant les compétences intrinsèquement nécessaires pour une transfusion vers la télévision, elle y trouve également la formidable opportunité de se spécialiser d’un point de vue universitaire dans le journalisme sportif. Si sa projection trop rapide dans le monde des médias avait été décevante, sa diplomation dans la discipline serait désormais son salut, clé ouvrant l’escalier d’un majestueux cursus honorum.

Après un bref stage de fin d’études à France 3 Picardie, Claire Bricogne rejoint la capitale pour faire partie de la rédaction du principal site sportif français : le bien connu l’équipe.fr. Entre formulations de comptes rendus, réalisations d’interviews et rédactions de brèves, elle y apprend les bases du métier de journalisme web, celles que l’on ne peut acquérir que sur le terrain.

Toutefois, le tournant majeur de sa carrière n’intervient qu’à l’automne 2012. Sautant dans la wagon du lancement sur la TNT de la chaîne TV associée au journal fondé par Jacques Goddet, elle passe de l’écrit à l’audiovisuel, rejoignant alors son rêve de petite fille. Toujours rédactrice, la voilà bientôt envoyée spéciale mais aussi présentatrice. Attirée irrésistiblement par le cyclisme, elle profite des acquisitions massives de l’antenne en termes de droits télévisuels en la matière pour satisfaire pleinement sa passion pour la Petite Reine. De journaliste anonyme stagnant dans l’open-space des rédactions, elle se voit alors progressivement propulsée à l’écran, micro en main, pour interviewer les coureurs à l’arrivée devant des milliers de téléspectateurs.Claire Bricogne, première femme à commenter le Tour de France en 2015Claire Bricogne, première femme à commenter le Tour de France en 2015 | © Le Parisien

Surtout, son bref passage à Eurosport l’été 2015 agit sur sa carrière avec l’effet d’un détonateur. Répondant parfaitement au profil féminin recherché par le groupe basé à Issy-les-Moulineaux, elle dévoile ses talents lors de la présentation de la tentative de record de l’heure de Bradley Wiggings au mois de juin, avant d’être envoyée pour le mois de juillet aux côtés de Patrick Lafayette pour commenter en différé la plus belle épreuve du monde : le Tour de France. L’annonce, rendue si belle pour l’oisienne par la réalisation d’un fantasme de jeunesse, est également dotée d’un caractère historique pour porter pour la première fois en France une femme au micro de la Ronde de Juillet. Alors qu’elle avait été portée toute sa vie par les voix charismatiques des grands Robert Chapatte, Patrick Chêne ou encore Jean-Paul Ollivier, la voilà désormais en position d’insuffler elle-même son propre style, d’ébranler les ondes sonores avec sa voix rauque et enthousiaste, guidant l’après-midi du téléspectateur au rythme des évènements de course, jouant entre faits et analyses à travers des échanges de paroles rondement menés. De manière presque inaperçue d’un point de vue médiatique, elle entre pourtant grâce à ce petit moment de gloire personnelle dans la longue et belle légende de la Grande Boucle, posant avec discrétion son prénom féminin à la suite de tant patronymes masculins. Le talent de Claire Bricogne est alors révélé, la lente féminisation du cyclisme actée.

Son statut aujourd’hui :Claire Bricogne sur le plateau L'Equipe du Tour du Limousin en 2018, avec notamment Christophe Riblon et Cyrille GuimardClaire Bricogne sur le plateau L’Equipe du Tour du Limousin en 2018, avec notamment Christophe Riblon et Cyrille Guimard | © La Chaîne l’Equipe

De retour à temps plein sur la chaîne l’Equipe, l’oisienne y est omniprésente durant la saison cycliste, des courses françaises de début de saison aux classiques italiennes d’automne en passant par le Giro. Parfois commentatrice, souvent envoyée spéciale, elle couvre même micro à la main les courses non diffusées par l’antenne intégralement dédiée au sport. Grâce à son assurance mais aussi par la qualité de ses interviews, elle s’est désormais forgé une place indéniable dans le paysage du vélo français, en faisant l’une des intervenantes télévisuelles les plus reconnues dans le milieu. Réactive et spontanée, elle excelle particulièrement dans le jeu de l’échange avec les coureurs, arrachant ainsi aux téléspectateurs des minutes supplémentaires devant leur écran une fois la ligne d’arrivée franchie.

Surtout, la place de Claire Bricogne parmi ces 101 personnes à faire le cyclisme français va bien au-delà de la qualité de son travail. En effet, si elle préfère se faire discrète et modeste sur ce point-là, il est indéniable que son mérite pour atteindre sa position actuelle est décuplé par rapport à ses collègues, petite touche féminine s’étant forgé son chemin au milieu d’une marée d’hommes. Alors l’oisienne n’est pas seulement une journaliste, mais aussi une pionnière et une combattante. Par sa lutte acharnée pour faire de son rêve de petite fille une réalité, elle a ouvert une voie qu’emprunteront peut-être maintenant de nombreuses successeures, afin que le cyclisme arrête enfin d’être une question de genre.

Par Jean-Guillaume Langrognet