Mais au-delà des stars du peloton constitués par exemple par Chris Froome, Julian Alaphilippe ou Peter Sagan, il y a un peloton de plusieurs centaines de professionnels qui n’ont pas tout à fait le niveau du haut de la pyramide mais qui constituent le « gros du peloton » et suscitent néanmoins les vocations et les envies.
La façon la plus classique, est certainement de franchir les étapes que sont les différentes catégories d’âges. En effet, si tous les professionnels ne sont pas passés par la case de l’école de cyclisme, pour la plupart ils ont été cadets, puis juniors puis espoirs avant de signer un contrat professionnel.
Mais parmi eux, un certain nombre a suivi un chemin un peu différent, c’est-à-dire en poursuivant la participation à des cyclosportives. Evidemment avec de grosses qualités physiques leur permettant de truster les toutes 1ères places sur les plus grosses épreuves du calendrier, comme la Marmotte ou l’Etape du Tour.
Chez les féminines par exemple, Marion Bessone avait participé au Giro 2018 après avoir signé en cours de saison dans l’équipe Servetto-Stradalli Cycle-Alurecycling après 2 saisons seulement « sérieuses » de vélo en cyclosport et seulement un passé de sportive touche-à-tout. Mais malheureusement l’expérience avait tourné court, comme Marion l’expliquait fin 2018 sur Vélo 101 : « J’ai été un peu déçue du management de l’équipe, mais qui n’est pas spécifique à cette équipe. J’ai vu pas mal de directeurs sportifs hurler sur leurs coureuses. Et le manque de moyens des petites équipes professionnelles est assez dommageable, avec par exemple des difficultés pour se ravitailler sur les courses par manque de personnel… »
Marion Bessone | © Mickael Gagne
Au niveau des hommes, les exemples sont probablement plus nombreux. Citons :
– Les frères Talabardon, dont le père Hervé a été un cyclosportif d’excellent niveau (plusieurs fois dans le groupe de tête sur Paris-Brest-Paris et participant à la Race Across The America). Il a initié ses 2 fils Yannick et Sébastien à cette discipline mêlant tous les niveaux et tous les âges au départ d’une même épreuve.
– Le lyonnais Hubert Dupont a participé et brillé sur plusieurs cyclosportives de sa région avant de signer au VC Caladois (Villefranche sur Saône) puis un peu plus chez AG2R où a fait toute sa carrière pro.
– Laurens Den Dam, vainqueur de la Marmotte 2003 sous les couleurs de la Rabobank Espoir et qui est passé professionnel dans la foulée.
Cependant, il est nécessaire de préciser que ces coureurs ont conjointement couru en cyclosport et sur des courses de leur fédération nationale. Ils n’ont donc pas fait de saut direct entre cyclosport et professionnalisme.
Le cas de Kenny Njissen (hollandais, né le 06 septembre 1990, équipe Velofit Australia en 2020) est plus atypique. En effet, il a longtemps écumé les cyclosportives de montagne en France notamment avec plusieurs victoires et podiums à clé, parallèlement à quelques courses traditionnelles (souvent en France) pour finalement passer stagiaire pro chez Katusha-Alpecin en 2018 après avoir remporté le Wattmeister Challenge (course sur home trainer), épreuve durant laquelle il a obtenu le meilleur rapport poids/puissance avec 6,4 watts/kg.
Quant à Antoine Berlin, 30 ans et professionnel depuis le début de l’année chez Cambodia Cycling Academy en Continental, son profil est réellement hors du commun. Jugez plutôt : de nationalité monégasque et excellent coureur à pied (30min20 aux 10 km), il avait pour ambition de participer aux Jeux Olympiques de Rio en Marathon. Il avait ainsi suivi un programme d’entrainement très strict le conduisant à enchainer les semaines à 150 km. Cependant, une fracture de fatigue au bassin a mis fin à cette préparation.
Antoine Berlin sous ses couleurs 2020 | © Antoine Berlin
C’est alors qu’il se tourne vers le cyclosport à l’âge de 27 ans et participe à Paris-Nice Challenge dont l’organisateur n’est autre qu’ASO, son employeur. Avec une pratique cycliste toute naissante, il parvient à suivre Cédrick Dubois (notamment vainqueur de l’Etape du Tour 2019) qui le persuade de perservérer dans le cyclisme. C’est chose en intégrant en 2018 le Team Trek-Vélo 101 dont fait déjà partie Cédrick. 3ème de l’Etape du Tour 2019 et vainqueur de la GF Mont Ventoux la veille des pros, a réussi à passer pro à 30 ans après avoir été très bon en course à pied (30 min 20 aux 10 km).
Malgré des lacunes en descente et en peloton, ce gros moteur brille rapidement sur les cyclosportives avec une victoire sur la Granfondo Mont Ventoux début juin 2019 ou une 3ème place sur l’Etape du Tour 2019 après avoir perdu le contact avec la tête dans la descente menant au pied de la montée vers Val Thorens.
Antoine Berlin sur l’Etape du Tour 2019 | © Antoine Berlin
C’est grâce à ces résultats qu’il intègre l’équipe professionnelle Cambodia Cycling Academy avec 2 courses à son actif à l’heure actuelle : la Marseillaise et l’Etoile de Bessèges.
N’ayant pas arrêté ses activités professionnelles au sein d’ASO, ne bénéficiant que très peu de largesses au niveau des horaires et habitant la plupart du temps sur Paris, Antoine est obligé de s’entrainer principalement sur Home Trainer, à raison de 2 à 3 séances quotidiennes – donc jusqu’à une séance le matin, une le midi et une le soir – pour un total de 2h30 environ. Il profite de weekends prolongés (en posant un jour de congé…) à Monaco pour accumuler les kilomètres.
« A Paris je fais les intensités et à Monaco les sorties en endurance avec du dénivelé. » précise-t-il.
AB01 | © Antoine Berlin
Quoiqu’il en soit, après avoir vu les grands noms du peloton à la TV, il peut les côtoyer à présent et souhaite « vivre à fond cette expérience, sans avoir de regrets et tant pis si jamais l’aventure ne se poursuit pas au-delà de cette année. »
Pour l’heure, les 2 courses se sont soldées par 2 abandons. C’est ici que la question qui ouvre cet article prend tout son sens : de cyclosportif à professionnel : une marche trop haute à franchir ?
Joint par téléphone, Antoine apporte son point de vue : « A Marseille sur la 1ère étape, j’étais encore avec le peloton de tête à 40 km de l’arrivée mais une chute massive a affecté notre peloton. Je ne suis pas tombé moi-même mais j’ai dû sortir de la route, ce qui m’a fait perdre une bonne trentaine de secondes. Que je n’ai jamais réussi à combler. Notamment, parce que je me suis énervé et que j’ai cherché à revenir trop vite et d’autre part du fait de mon inexpérience qui ne m’a pas fait prendre le sillage des voitures pour rentrer. Je suis donc arrivé hors délais, en compagnie d’Arthur Vichot. J’essaie de rester optimiste, il y a pire référence.
A Bessèges, sur la 1ère étape ça a été plus compliqué avec un vent très fort (90 km/h), des bordures partout auxquelles je ne suis pas habitué. J’ai fait 70 km avant de sauter sur le plat. C’était déjà très dur de rester dans les roues. J’ai eu l’impression d’un parcours de flandrien alors que je suis surtout à l’aise dans les montées. J’ai donc intégré le Gruppetto et fini hors délais.
Quoi qu’il en soit, ce que je peux retenir est que, par rapport au cyclosport de tête, les différences sont principalement :
– Sur le plat avec une allure très très rapide, souvent cadenassée par une équipe et des équipiers qui ont le rôle de rouler fort à tel ou tel endroit. En cyclosport au contraire, du fait des individualités c’est plutôt le moment choisi pour récupérer. Dans les bosses ça roule fort et non pas à-coups mais je peux m’en sortir et finalement je reste dans les clous. Même si je sais que la course devant se joue dans la dernière heure, que je n’ai pas encore réussi à atteindre. Mais sur ce que j’ai vu, je reste confiant dans ma capacité à tenir le coup en montée. Cependant et sauf sur les Grands Tours, la montagne qui me convient le mieux, n’est pas souvent au programme des courses. Ça se joue davantage sur la force, que je fois acquérir au fil du temps. Sur les courses de niveau 1.1 ou 2.1 avec du dénivelé, j’espère pouvoir sortir la tête de l’eau.
– Sur le placement. Sur ce que je voyais à la TV, je savais que c’était un paramètre important mais je n’imaginais pas à quel point il fallait se battre pour avoir une place correcte à l’approche des difficultés. C’est déjà une grosse course avant les bosses. Et il faut savoir frotter, chose que j’apprends. Un autre paramètre intervient ici : le fait que nous ne soyons qu’une équipe Continentale qui tente de rester à l’avant n’est pas toujours bien vu par les plus grosses écuries, chose que je peux comprendre.
Je retiens aussi une ambiance très disparate entre certains coureurs très concentrés voire un peu tendus et d’autres, venus manifestement sans pression. Pour l’anecdote, j’ai vu un Pierre Latour particulièrement tranquille, n’hésitant pas à sourire ni blaguer. A l’inverse, pour d’autres venus chercher un résultat ou travailler pour un leader, la tension était palpable.
Je mesure aussi la différence de moyens mis en œuvre selon les équipes, entre celles équipées de bus et la nôtre avec un camping-car. La différence se retrouve au niveau des hôtels ou encore du matériel mis à notre disposition. Mais je ne me plains pas et mesure la chance que j’ai de vivre cette expérience. Ce ne sont pas ces points là qui expliquent la différence que je vais essayer de combler sur la route par rapport aux autres qui ont aussi 2 jambes et 2 bras. »
Par Olivier Dulaurent