1950 marque pour tout un chacun un grand chambardement dans la société et la politique du monde entier. Mutation économique et industrielle vont de paire et, aussitôt les ultimes relents nauséabonds et tenaces du dernier conflit planétaire résorbés, le monde en général et l’Europe en particulier vont connaître un essor à nul autre pareil. Cette frontière virtuelle entre deux époques sera néanmoins progressive mais linéaire dans le temps, à savoir qu’elle ne souffrira d’aucun répit malveillant ni d’arrêts inopportuns malgré quelques conflits d’intérêts ponctuels annihilés plus de façon conjoncturelle que de manière démocratique. Le Tour de France n’échappe bien évidemment pas à la règle de ces bouleversements et, malgré une organisation qui demeurait invariablement déficitaire, il s’achemine imperceptiblement mais inexorablement vers des sommets d’obésité mal appréhendée, de boulimie récalcitrante et de grandeur quelque peu égocentrique qui aujourd’hui effraient nombre d’inconditionnels, suiveurs, journalistes ou passionnés de la planète vélocipédique. Cette période coïncidera d’ailleurs à un changement radical et irréversible de mentalité d’un peloton en mal de reconnaissance. De tous temps, la notoriété du champion cycliste s’est avérée sans égale en rapport à leurs homologues des autres disciplines sportives. Le public s’est toujours identifié aux Géants de la Route. Spectacle éminemment attrayant et gratifiant de par son essence même, le cyclisme permet à toutes les couches de la société d’ovationner et d’applaudir ses idoles quelque soit le lieu, la saison ou la météo. Nombre d’entres eux bravent chaque saison les conditions climatiques exécrables pour assister aux joutes pittoresques et dantesques de leurs héros.
Le coureur, autrefois, était adulé et membre à part entière des familles françaises. On l’affublait volontiers d’un petit nom ou d’un pseudo pour la postérité. Les coureurs du cru généraient un véritable enthousiasme dans les régions de l’Hexagone, et celle-ci se déplaçait en masse, au Parc des Princes par exemple, pour acclamer son champion au terme d’un Tour de France particulièrement abouti. En outre, la légende, née des conditions de courses d’un autre âge, colportée de manière mythologique et portée au paroxysme de son idéologie par les non moins légendaires journalistes de l’époque, engendrait la pâmoison chez certains de nos compatriotes. Le vélo, plus que tout autre sport, s’avérait être l’école de la vie par excellence où les sacro-saintes vertus de l’existence étaient appliquées à la lettre, à savoir courage, abnégation, solidarité et souffrance. Pourtant, les prémisses d’un professionnalisme latent dans nombre de sports vont générer une redistribution des rôles.
Les surplus budgétaires occasionnés par l’immuable croissance de la kermesse de juillet allaient plonger Jacques Goddet et Felix Levitan dans un monde de perplexité. L’Equipe et le Parisien Libéré; supports et mécènes ventripotents de la plus grande compétition cycliste de la planète, ne suffisant plus à garantir la pérennité de l’entreprise, nos deux larrons, l’un, Goddet ancien patron de L’Auto et fondateur de L’Equipe et l’autre, Levitan journaliste à la Pédale puis au Parisien Libéré, se tournèrent vers d’autres sources pécuniaires loin d’être des œuvres à vocation philanthropique. Effectivement, leurs efforts et sollicitations se concentreront exclusivement du côté des régions, municipalités et collectivités locales. Les villes-étapes ou de transit ainsi que les lieux stratégiques de ravitaillement seront mis à contribution. Il n’est pas vain de rappeler, à ce propos, que des « Fêtes du Tour » étaient organisées au soir de chaque étape et il n’était pas rare d’y reconnaître nombre d’artistes chevronnés de l’époque, tels Tino Rossi ou Charles Trenet. La démarche de l’organisation auprès des firmes régionales n’était pas étrangère à cet état de fait. Que diantre n’aurait-on pas sacrifier pour inclure la flamboyante et très reconnaissante caravane publicitaire. La publicité ou réclame débutait son harcèlement et sa démesure au sein du sport. Les classements annexes et challenges de tous poils étaient dorénavant parrainés, aux grands soulagements des organes de presse trop longtemps seuls dépositaires du label Tour de France. De la laine Sofil assujettie aux primes quotidiennes du porteur du Maillot Jaune à la Vittelloise ou Cuir de France partenaires du Grand Prix de la Montagne en passant par Martini, ivre de joie d’offrir des gains substantiels à un challenge international des plus anodins, toute la panoplie du parfait pool commercial déployait son implacable réalisme. Nous étions à des années-lumière, désormais, de la confidentialité, de la clandestinité et du puritanisme du sport d’avant 1920.
Georges Briquet, témoin de son époque, orateur hors pair et journaliste à l’intégrité reconnue fut choisit pour animer chaque soir des troisièmes mi-temps de haut vol où les anciens champions s’époumonaient au sein d’un chapiteau qu’un Bouglione n’aurait nullement renié. La flotte de la caravane publicitaire écrasait dorénavant un peloton chétif, devenu soudainement comparse. Dans ce contexte éléphantesque, nos deux joyeux lurons, Goddet et Levitan, nageaient en eaux troubles nantis de la délectation d’hommes de pouvoir ayant bouleversé à bon escient une entreprise en stagnation. Ces derniers, en outre, n’avaient que moyennement apprécié l’hégémonie transalpine de 1949 et l’écrasante domination du duo Coppi-Bartali. Le festival réalisé un an plus tôt par les deux meilleurs ennemis de la Botte avait eu le don, selon les organisateurs, de neutraliser toutes les velléités offensives d’un peloton par trop respectueux du Campionissimo et de Gino le Pieux. L’étape de légende de Briançon et du triptyque Vars-Allos et Izoard, où les deux héros s’offrirent un mano a mano d’anthologie, étant la goutte d’eau d’une exaspération toute française. Pour remédier à une telle mainmise sur la course, néfaste à toutes initiatives, et ainsi booster les tempéraments des plus téméraires, Goddet et Levitan n’allaient pas rechigner à la tâche. Les formations seraient réduites à dix unités, pour commencer, ensuite les limitations des délais d’arrivée, réductions des bonifications en montagne et enfin redécoupages des étapes de haute montagne, afin que les difficultés ne s’enchaînent plus systématiquement, devraient, pensait-on en haut lieux, permettre un nivellement des valeurs.
L’incontournable favori Fausto Coppi absent, Gino Bartali sera le dépositaire de la formation Italienne épaulé en la circonstance par le talentueux et prometteur Fiorenzo Magni. Face à Gino le Pieux et sa meute de renégats, les Français opposeront un quatuor de fort belle facture avec, sous la houlette d’un Raphaël Geminiani toujours aussi grincheux, Louison Bobet, Apo Lazaridès et Jacques Marinelli, superbe troisième et premier non-Italien la saison précédente. Les Belges avec Stan Ockers et Raymond Impanis et les Suisses avec Ferdi Kubler devraient, selon toute vraisemblance, être les seuls à pouvoir rivaliser avec les sus cités. Reste à savoir, néanmoins, où se situe l’inénarrable Jean Robic de la formation Ouest, le persévérant Gilbert Bauvin, élu chef de file des Ile de France Nord-Est voire le pistard Robert Chapatte, membre éminent s’il en est du groupe parisien. L’atmosphère de cette Grande Boucle, au départ de Paris en cette veille de fête nationale, était loin d’être faste et enthousiaste. La guerre faisait rage en Corée, les absences d’Hugo Koblet, tout frais émoulu lauréat du Giro que Fausto Coppi avait dû quitter, victime d’une fracture du col du fémur, ainsi que le drame vécu par la France Cycliste suite au décès accidentel de Camille Danguillaume sur le ciment de Montlhéry, semblaient imprégner et étendre sa chape de plomb sur les esprits las d’un peloton tristounet, plus en proie au recueillement qu’à la compétition proprement dit.
La première partie de l’épreuve fut rondement menée. Après un crochet vers Metz, le peloton bifurquait vers le Nord pour redescendre en direction de la Bretagne. Rien à signaler de bien transcendant, si ce n’est l’incursion, lors d’une échappée au long cours entre Liège et Lille, du Drômois Bernard Gauthier, ce qui lui vaudra d’endosser le paletot jaune au soir d’une troisième étape musclée et ventée remportée pour l’occasion au sprint par l’Italien Alfredo Pasotti. A la veille de la sixième étape, un contre-la-montre de presque 80 bornes entre Dinard et Saint-Brieuc, le futur quadruple lauréat du Derby (1951, 1954, 1956 et 1957) trône toujours en Jaune et précède le surprenant luxembourgeois Jean Goldschmit de 2’00 » et Maurice De Muer, futur patron des Bic et des Peugeot, de 2’26 ». Ce chrono accouchera d’un vainqueur quelque peu inattendu. En effet, le Suisse Ferdi Kubler, certes en gros progrès, ne faisait pas partie des favoris patentés au départ de Dinard. Pourtant, le coureur de Marthalen, âgé de 31 ans, dominera des rouleurs tels Magni, Bobet ou Ockers de fort belle manière, Goldschmit, héritant pour sa part du leadership de la kermesse de juillet. L’acheminement du serpent multicolore, le long de la côte atlantique, à destination des Pyrénées, se déroule sans heurt. Fiorenzo Magni se montrera intraitable du côté de Niort, tandis que le coureur de La Châtre, membre du comité Centre Sud-Ouest, Marcel Dussault, s’offrira un raid solitaire et héroïque entre Bordeaux et Pau reléguant ses deux poursuivants, Prouzet et Diederich, à quelques huit minutes et le gros du peloton à plus de onze minutes. Au matin du triptyque Aubisque-Tourmalet-Aspin, le futur champion de France (1956) Bernard Gauthier, qui, en vieux briscard qu’il est, s’était une nouvelle fois judicieusement infiltré dans une échappée ponctuelle lors de l’étape Saint Brieuc-Angers, caracole en tête de l’épreuve neuf minutes devant une concurrence aux abois, certes, mais pas vraiment inquiète. Cette étape sera le théâtre d’un fait à nul autre pareil qui, plus que la victoire finale de Kubler à Paris, marquera cette 37ème édition du Tour de France. Dès le départ de Pau, le peloton frétille d’impatience d’en découdre. Sur les premières pentes de l’Aubisque noires de monde, les attaques suicides fusaient de toutes parts et les démarrages successifs et incendiaires écrémaient un peloton déjà passablement en difficulté. En tête des dynamiteurs, on pouvait reconnaître bien évidemment les immuables mouflons des cimes que sont les Biquet et El Vecchio. Jean Robic, plus désarticulé et saccadé dans la pédalée que jamais, et Gino Bartali, toujours aussi besogneux, se tiraient une bourre fantastique et démoniaque. Gino Le Pieux, visant la victoire finale, abandonna alors le Breton à ses caprices et se releva quelque peu, prenant ainsi soin d’en garder sous la pédale. Biquet, qui n’en demandait pas tant, poursuivit imperturbable son ascension en solitaire dans son style si particulier et passa au sommet de l’Aubisque sous les acclamations d’une foule en délire. Dans la vallée, un petit groupe restreint se constitua en tête de la course où figuraient, outre Robic et Bartali, Bobet, Ockers, Geminiani, Piot et Magni. Le col du Tourmalet fut escaladé dans la foulée sans trop de dommage pour les neuf rescapés qui ouvraient à ce moment-là la route.
Le Val d’Oisien Kléber Piot, du comité de Maurice de Muer, basculera le premier au sommet du Tourmalet et entraînera, dans son sillage, ses compagnons à vive allure à l’assaut d’Aspin. Tous les favoris, à l’exception de Ferdi Kubler peut être, sont aux avant-postes et cela laisse augurer une montée d’Aspin des plus apocalyptiques. Dans les premiers lacets surchauffés de la dernière difficulté de la journée, les hommes de têtes éprouvent un mal fou à se frayer un chemin au sein d’un public en transe, pas toujours respectueux et encore moins judicieux dans ses choix d’encourager des coureurs en proie à une fatigue naissante. A mi-pente, Gino Bartali place une attaque magistrale dont il a le secret, et décramponne in extenso ses compagnons de galère. Seul Biquet tente de limiter l’hémorragie en secouant sa carcasse tel un pantin désarticulé. Devant, l’Italien commence à subir les affres et quolibets d’un public hostile. Paralysé par la peur, anxieux de la tournure des évènements ? Toujours est-il que le Vecchio semble moins aérien et apparaît soudain vulnérable. Cet incompréhensible baisse de régime permet à Jean Robic de colmater la brèche et de rejoindre bientôt le Transalpin. C’est l’anarchie sur le bord de la route. Les aficionados surexcités, à la limite de l’ébriété pour nombre d’entres eux, chahutent le clan italien en tête desquels Gino Bartali et Fiorenzo Magni. Des barrages humains, qui tentent de neutraliser le natif de Ponte-Ema, empêchent la progression de Gino Le Pieux au profit de Biquet. Sur un obstacle humain plus compacte que les autres, Bartali chute en voulant l’éviter. L’Italien entraîne bien malgré lui le Français dans celle-ci. C’est la confusion la plus totale. Les deux hommes sont relevés prestement mais des énergumènes plus avinés encore s’activent toujours auprès des Italiens furax. Piot passe en tête d’Aspin dans un imbroglio, une confusion des plus indescriptibles. Touché mais pas coulé, le Vieux mettra un point d’honneur à remporter l’étape à Saint-Gaudens, terme de cette journée tumultueuse. Au général, Fiorenzo Magni s’installe confortablement en tête de l’épreuve, chère à Henri Desgrange et Léo Lefèvre, plus de deux minutes devant un Kubler, qui aura formidablement limité la casse, et plus de trois minutes devant les Bobet, Geminiani et Ockers. Gino Bartali, pour sa part, se tient en embuscade, en sixième position, à quatre minutes de son compatriote Magni.
Seulement voilà, suite aux inadmissibles et honteuses échauffourées d’Aspin, la colonie italienne, dans sa totalité cadetti inclus, prit la décision solennelle, officielle et gravissime, et ce malgré les adjurations effrénées des organisateurs et des officiels, de ne pas reprendre la route le lendemain à Saint-Gaudens. Cette première dans l’histoire du Tour de France laissera une trace indélébile dans l’histoire et les mémoires de la plus importante épreuve du calendrier international. Le premier Lion des Flandres de l’histoire, en Jaune au soir de cette onzième étape, dépité et anéanti, abandonnera sans doute là ses dernières illusions de remporter le plus beau challenge d’une carrière auréolée tout de même de trois Giros, trois Tours des Flandres et trois titres de champion d’Italie, excusez du peu. Quant à Gino le Pieux, il remettra bien le couvert pour des raisons commerciales et économiques l’année suivante, mais sans sa verve d’antan (4ème). Aspin aura marqué notre homme, bien qu’il s’en défende. Par peur de représailles, les organisateurs annuleront l’étape entre Menton et San Remo.
L’Helvète Ferdi Kubler se retrouve bien malgré lui projeté au sommet de la pyramide sans se douter un seul instant d’un destin final des plus favorables. Par solidarité, il refusera le port de la tunique tant convoitée au départ de Saint-Gaudens. Les Italiens absents, le peloton se cherche et les baroudeurs libérés de tout garde-chiourme s’en donne à cœur joie. La course devient débridée, échevelée et indécise. Le Tour basculera définitivement lors de la treizième étape emmenant les rescapés de l’enfer de Perpignan à Nîmes. Les Français, coupables de somnolences chroniques, en seront pour leurs frais. Sous une chaleur caniculaire, l’Aigle d’Adliswisl tenta le tout pour le tout afin d’asseoir un peu plus sa position et déclencha une offensive gargantuesque que seul, des favoris invétérés, Stan le Wallon réussit à intégrer. A l’arrière, le Boulanger de Saint-Méen et le Grand fusil, seuls tricolores à encore entretenir l’illusion à défaut d’espoir, défaillants et balbutiants les fondamentaux, se sabordèrent et terminèrent à dix minutes des premiers arrivants. A noter pour la petite histoire que c’est lors de cette étape que débuteront les frasques du facétieux et inimitable algérois Abdelkader Zaaf, coureur atypique, s’il en est, et qui poursuivra ses tribulations lors d’un Tour 1951 remporté par le Pédaleur de Charme. Au soir de cette étape, remportée par Marcel Molines, un Algérien naturalisé du comité Nord Afrique, Ferdi Kubler ne possède plus que 1’06 » sur Stan Ockers. Pierre Brambilla du Sud-Est, premier Français, pointe à neuf minutes tandis que Louison Bobet précède Raphaël Geminiani à dix et onze minutes. Les Alpes qui se dressent devant le peloton ne devraient pas inverser la tendance tant nos deux gaillards semblent rompus aux caprices des dénivellations.
La chaleur accablante plonge le peloton dans la torpeur et les fontaines des villages traversés sont prises d’assauts par des cohortes de morts de soif. Avant d’appréhender les premiers contreforts alpins, toujours sous une canicule éprouvante pour les organismes, les coureurs épuisés et las s’offriront, sous l’oeil inquisiteur et réprobateur de Jacques Goddet, un bain de jouvence dans la Méditerranée lors d’une étape Nîmes-Toulon tronquée. Les contrevenants, par trop nombreux, seront amandés à défaut d’être mis hors course. Après une victoire emblématique au sprint du Maillot Jaune à Nice, où Robic et Bobet s’illustrèrent en passant en tête aux sommets des col de Castillon et du Turini, le Grand Fusil retrouvera quelque peu de sa verve et de son agressivité en triomphant, en solitaire, et de fort belle façon lors de la dix-septième étape, Nice-Gap. Les Alpes seront l’apanage des tricolores, désireux de montrer un autre visage que celui affiché trois jours plus tôt du côté du Gard. Le Boulanger de Saint-Méen nous gratifia d’un superbe et grand numéro sur les pentes de l’Izoard, noires de monde. Le Breton reprendra dans l’opération trois minutes au duo Kubler-Ockers, devenu inséparable. L’Auvergnat de Clermont-Ferrand, après sa chevauchée vers Gap deux jours plus tôt, récidivera dans le Forez pour vaincre à Saint-Etienne, toujours devant les Siamois Kubler et Ockers.
Les tricolores rétablissaient donc une situation plus que compromise peu en rapport avec les ambitions des uns et des autres au départ de la Grande Boucle. Lors du dernier chrono de Saint-Etienne à Lyon, support de la vingtième étape, l’Aigle d’Adliswisl démontra si cela était encore nécessaire, sur les 100 bornes du parcours qui empruntait le col de la Croix-de-Chabouret, que son succès à Saint-Brieuc n’était nullement usurpé. En outre, l’écart qu’il infligea à tous ses adversaires démontrait l’étendue du talent de l’Helvète. Stan, dauphin au général et encore deuxième sur ce tracé tourmenté, déboursait la bagatelle de 5’34 » au fringant suisse. Louison Bobet et Raphaël Geminiani essuyaient, eux, un débours énorme de l’ordre de neuf minutes et plus, un véritable océan. Ferdi Kubler mettait un point d’honneur à rendre son triomphe, à un moment de la course contesté suite au retrait de la squadra, éclatant et indiscutable. Il sera d’ailleurs indiscuté, les dix minutes d’avance sur Stan Ockers, deuxième, et les vingt-deux minutes sur Louison Bobet se chargeant de clore le bec aux grincheux et empêcheurs de tourner en rond de tous poils. Le Suisse, même s’il ne récidivera pas dans sa quête d’un second Tour, confirmera l’année suivante en devenant champion du monde et en s’adjugeant des épreuves à la notoriété éprouvée telles la Doyenne, la Flèche Wallonne, le Tour de Romandie et le Tour de Suisse. Kubler, fera l’impasse les trois années suivantes et se présentera en 1954 pour jouer la gagne. Hélas pour le Suisse, il tombera les armes à la main sur un Boulanger de Saint-Méen au sommet de son art, en route pour son triptyque d’anthologie. Dauphin du Breton, le Suisse se consolera avec le Maillot Vert qui, par voie de conséquence, en fait un des coureurs les plus complets de tous les temps.
Les Français, quant à eux, devront patienter deux ans avant de renouer avec la victoire. Le Grand Fusil tombera sur un autre Suisse, pétri de talent, Hugo Koblet en 1951. Face au Pédaleur de Charme, Geminiani abandonnera toutes ses ambitions de remporter un jour la Grande Boucle. Le retour du Campionissimo, revanchard en 1952, priva une nouvelle fois les Français de la victoire finale. En route pour son deuxième doublé Giro-Tour, Fausto Coppi atomisera la concurrence terminant à Paris près de trente minutes devant Stan Ockers. Le Tour de France rentrait de plein pied dans une ère nouvelle où plus rien ne serait comme avant.
Michel Crepel