A ce rythme-là, ce Tour de France 2020 pourrait bien se jouer au sprint sur les Champs-Elysées. Il faut dire qu’avec seulement 13 secondes séparant l’ensemble des prétendants au classement général, la moindre bonification pourrait prendre une importance prépondérante. Imaginez un instant Guillaume Martin, à 9 secondes d’Adam Yates ce soir, s’échapper dans le dernier tour pour ravir au britannique la toison d’or et remporter la Grande Boucle. Fantaisies pures, assurément, mais pour éviter l’hypothèse d’un tel scénario il va bien falloir que la bagarre se déclenche un jour, et que ce délit de procrastination délibérée cesse.
« Jamais le Tour n’était monté aussi haut aussi tôt », déclarait fièrement Christian Prudhomme lors de la présentation du parcours en octobre dernier. Jamais la première semaine de la Ronde de Juillet n’avait été aussi montagneuse complétait-on, se frottant les mains et léchant les babines à l’avance. Or, si les organisateurs proposent un tracé, c’est bien les cyclistes qui font la course. Et si certaines étapes peuvent tourner au feu d’artifice, d’autres prennent plutôt l’allure de pétards mouillés. Et après une préparation tronquée et écourtée par la pandémie de Covid-19, c’est bien cette seconde possibilité qui semble durablement s’imposer.
Ainsi, la seconde étape, tracée dans l’arrière-pays niçois et passant par le terrible col du Turini avant de s’achever par une double ascension (complète puis partielle) du col d’Eze, n’a accouché que d’une lutte entre puncheurs, tandis que les cadors sont restés bien au chaud dans un groupe encore conséquence au passage de la ligne. Deux jours plus tard, le souvenir de l’épopée de Luis Ocana, tombeur de Merckx en 1971 à Orcières-Merlette, alimentait tous les espoirs quant à une bataille entre les favoris sur les pourcentages réguliers de la montée haute-alpine. Rien n’y fut. En dépit du féroce train imposé par les Jumbo-Visma, c’est un groupe d’une quinzaine d’unités qui s’est joué la victoire au sprint dans les rues de la station de sport d’hiver, pour que les seuls écarts crées ne s’effectuent que sous l’effet des bonifications. Enfin, troisième opus de cette entame de Tour décevante, le terrible col de la Lusette, qualifié de « redoutable » par Romain Bardet, venu le reconnaître au préalable, n’a été animé que par l’anecdotique attaque de Fabio Aru, tandis que la locomotive INEOS-Grenadier emmenait tranquillement le train de la Grande Boucle vers une arrivée groupée au Mont Aigoual.Un tweet révélateur du niveau d’animation de la journée 1 | © Fédération Française de la Lose
Cependant, un regard plus lucide et avisé sur la course aurait pu éviter ces faux espoirs de spectacle. Effectivement, il apparaît tout d’abord logique qu’au lendemain d’une journée aussi meurtrière que celle de samedi le peloton décide de rester calme. Et à bien regarder le profil de l’étape d’Orcières-Merlette et la déclivité de la difficulté finale, l’absence de tout épouvantail préalable ainsi que le caractère régulier, roulant de l’ascension, aux pourcentages stagnant autour de 6% sur une distance loin d’être excessive (10 kilomètres) ont permis aux trains des grosses cylindrées d’imposer durablement un gros tempo annihilant toute velléité d’attaque tandis que l’aspiration était suffisamment important pour que chacun puisse garder contact la masse sans trop de difficultés. Quant à cette sixième étape, la présence d’un faux-plat montant d’une dizaine de bornes après le sommet du col de la Lusette avait de quoi décourager les attaquants, bien conscients de l’impossibilité qu’une telle aventure aboutisse.
Ajoutez à cela un classement général serré, où le simple gain d’une étape peut permettre à un certain nombre de leaders d’endosser le maillot jaune, impliquant le contrôle continu de la course pour ses équipiers, et vous comprenez mieux pourquoi les favoris ont été si passibles pour l’instant. Attendez les Pyrénées et vous verrez.
Par Jean-Guillaume Langrognet