Une première ascension, histoire d’écrémer un peu la meute, puis une deuxième, plus courte, mais décisive, avant de plonger toutes voiles dehors vers la ligne d’arrivée, le tout en front de mer. Milan – San Remo bien-sûr ! Non, pas cette fois. Non, il s’agit ici de la deuxième étape du Tour de France, avec non pas un monument à remporter, mais un maillot jaune à la clé. Et de cette charade, surgit comme une évidence le nom de Julian Alaphilippe. En effet, le français maîtrise mieux que quiconque dans le peloton international le final mythique de la Primavera, avec son fameux Poggio qu’il a transformé en véritable rampe de lancement depuis quelques années. Ajoutez à ce parcours une solide expérience en jaune, avec pas moins de 14 jours au compteur, issus d’envolées similaires, et vous avez effectivement en le natif de Saint-Amand-Montrond l’immense favori du jour.
Or, ce dernier a beau être marqué, avoir la pancarte, et se comporter de manière à envoyer bien clairement un faire-part d’attaque à l’ensemble de ses concurrents, son accélération reste toujours irrésistible, imparable, impeccable. Sur ce point, Julian Alaphilippe est un peu au cyclisme ce qu’est Arjen Robben au football. Substituant le fameux déboulement sur le côté gauche suivi d’un virage à 90° vers la surface et tir qui se finit souvent en but du néerlandais par un combiné attaque – collaboration – sprint, le coureur de la Deceuninck Quick-Step a encore magistralement frappé aujourd’hui, sans que personne ne puisse l’en empêcher, malgré tous les signalements à son sujet.
Alors, dans une leçon récitée à la perfection, ses équipiers ont commencé à élever le rythme dans la montée du col d’Eze, éliminant dès lors ce qu’il restait de sprinteurs, enfouissant à l’arrière de la course bon nombre d’équipiers. Puis, lorsque dans l’entame de l’ascension du col des Quatre Chemins, le dernier propulseur Jungels s’est écarté, la fusée a décollé. Sans posséder son explosivité passée, celle du printemps 2019 ou de la côte de Mutigny, elle s’est toutefois aisément détachée. Débarrassée de Wout Van Aert, son tombeur sur Milan – San Remo et davantage occupé ce dimanche à régler les soucis mécaniques de son leader Tom Dumoulin, elle n’a vu que le seul Marc Hirschi s’accrocher douloureusement à son porte-bagage. Empêtré par la sangsue suisse, peu enclin à passer ses relais, Julian Alaphilippe a quelque temps hésité, avant que le retour du troisième larron, en la personne d’Adam Yates, ne redonne de l’élan à cette tonitruante échappée.L’échappée victorieuse, composée du britannique Adam Yates, du suisse Marc Hirshi et du français Julian Alaphilippe | © France TV
Lancés à pleine balle dans la descente, éloignant le danger d’un peloton plus ou moins résigné, les trois hommes se sont entendus pour collaborer jusqu’à la Promenade des Anglais, où se jouerait au sprint le prestigieux pack bouquet d’étape + maillot jaune. En effet, s’il s’est parfois pris les pieds dans le tapis au jeu de ne plus rouler trop loin de l’arrivée, Julian Alaphilippe a parfaitement manœuvré aujourd’hui pour mettre le groupe hors de danger, tout en se rangeant derrière Adam Yates à l’approche de la ligne. Et si l’on eu quelques sueurs froides en observant impuissants le peloton revenir sur leurs talons à grands pas dans les ultimes encablures de cette seconde étape azuréenne, le berrichon a finalement giclé au bon moment pour déposer le britannique puis résister au Suisse, et répéter ainsi son exploit de l’an passé à Epernay.
Les larmes aux yeux, les pensées submergées par la mémoire de son père, décédé en juin dernier, le français a marqué le Tour par son émotion, après l’avoir ébloui par sa classe et son panache. De nouveau paré d’or mais décidé à ne pas se laisser prendre au piège d’une lutte pour le classement général sans équipe adéquate, il ne compte pas cependant le léguer au premier venu, et peut sérieusement envisager de le revêtir de nouveau demain soir à Sisteron, voir de le conserver jusqu’aux Pyrénées, là où il avait justement démontré l’an dernier qu’il était bien plus qu’un simple puncheur.Julian Alaphilippe s’est de nouveau paré de jaune à Nice | © Le Tour de France
Bref, au lendemain d’une journée chaotique, où la météo et le contexte avaient engloutis tout aspect sportif, Julian Alaphilippe a encore surgi pour faire revivre le Tour, et recommencer à nous subjuguer, nous émerveiller, nous faire rêver, pour que la Grande Boucle puisse de nouveau administrer sa magie, même sans vacances, même sans public, quitte à rejouer la partition de 2019.
Par Jean-Guillaume Langrognet