La carrière de Michal Kwiatkowski sonne parfois comme un immense gâchis. Révélé lors d’une saison 2013 débordant de places d’honneur, il avait explosé l’année suivante en devenant champion du monde à Ponferrada, devançant toutes les grandes nations du monde. Promu leader incontesté au sein de l’écrasante Etixx-Quick-Step, il avait opté en 2016 pour l’option Sky, abandonnant une bonne partie de sa liberté.
Effectivement, ce transfert est le véritable tournant de la carrière du polonais. Pépite pleine d’avenir à 25 ans, en plein établissement d’un palmarès affolant, jouissant de capacités physiques hors-du-commun, Michal Kwiatkowski avait tout pour devenir une légende de la petite reine. Redoutable dans les sprints à petit comité, doté d’un punch exceptionnel, il s’était déjà illustré en cador de classiques, remportant notamment l’Amstel Gold Race en 2015. De plus, sa parfaite maîtrise de l’aérodynamisme combinée avec un extraordinaire moteur physique l’avait précocement hissé sur le devant de la scène dans l’exercice en solitaire, où il avait d’ailleurs glané sa première victoire professionnelle, à l’occasion du prologue des Trois Jours des Flandres Occidentales en 2012. En outre, son petit gabarit et son allure affinée lui ont progressivement permis d’escalader aisément les montagnes, glanant nombre de places d’honneur sur le Tour en la matière, ou remportant le Tour d’Algarve en 2014.
Mais le passage du bleu marine au noir a eu raison de ses chances personnelles dans nombre d’épreuves. Tombé dans l’anonymat des classements pour sa première année sous les ordres de Dave Braidford, le polonais revint ensuite au premier plan des classiques de printemps, avant de se muer en gregario à l’entame des Grands Tours. Auteur d’une brillante campagne italienne en 2017, raflant le diptyque Strade Bianche – Milan San Remo avant de monter sur le podium de Liège-Bastogne-Liège, il dû ensuite abandonner ses ambitions personnelles pour officier comme wagon privilégié du redoutable train Sky, et participer ainsi au quatrième et dernier sacre de Christopher Froome.
De même, c’est après de brillants succès en début de saison sur le Tour d’Algarve et Tirreno-Adriatico que le natif de Chelmza fut un acteur essentiel dans le triomphe de Gerraint Thomas sur la Grande Boucle, tout comme il permit à Egan Bernal de devenir le premier colombien vainqueur de la plus grande course cycliste du monde en 2019.
En ces quatre Tours passés comme équipier modèle, Michal Kwiatkowski aurait vraisemblablement pu espérer lever les bras, et pas qu’une fois. Avec plus de fraîcheur, il se serait avéré plus tranchant contre-la-montre. Avec plus de main d’œuvre à son service, il aurait pu briguer nombre d’étapes, en se lançant à l’offensive. Mais le polonais a roulé, roulé et encore roulé pour offrir à ses leaders successifs le gain de la toison d’or.Le triomphe des INEOS Grenadiers à La-Roche-sur-Foron | © Compte twitter officiel de Michal Kwiatkowski / Auteur non-mentionné
Et même lorsque le château de carte INEOS s’écroule dans le Grand Colombier, qu’Egan Bernal s’écrase sur les pentes aindinoises, le polonais s’est vu obligé de travailler pour son leader de substitution, Richard Carapaz. Equipier modèle de l’équatorien au cours de cette 18e étape, Michal Kwiatkowski s’est montré si dévoué qu’il est parvenu à éliminer l’ensemble de adversaires des hommes en noir. Dans une journée aux airs de revanche pour une formation encore marquée par le décès brutal de Nicolas Portal, il a offert à son défunt directeur sportif un véritable triomphe posthume. Défilant avec bonheur dans les rues de La Roche sur Foron, les deux coureurs d’INEOS Grenadiers ont largement eu le temps de savourer leur victoire, franchissant la ligne d’arrivée bras-dessus-bras-dessous, tandis que le nouveau-venu Richard Carapaz veillait à reculer suffisamment sa roue pour laisser l’irréprochable gregario toucher du doigt sa première victoire sur la Grande Boucle. Si certains auraient peut-être préféré un sprint loyal, cette manière de procéder a le mérite de consacrer l’ancienneté et l’exemplarité. A 24 ans, Richard Carapaz a tout le potentiel pour réussir de grandes choses dans l’avenir sur la Ronde de Juillet. Et ce soir, s’il n’ornera pas sa chambre d’hôtel d’un bouquet, il pourra en revanche rêver de la ribambelle de pois rouge qui le décorera demain. Bref, tout est bien qui finit bien pour les INEOS Grenadiers.
Par Jean-Guillaume Langrognet