Il fallait être un super-héros ce mercredi pour venir à bout du terrible, de l’effroyable, du titanesque col de la Loze et ses cinq derniers kilomètres vertigineux. Il fallait être surpuissant aujourd’hui pour escalader en vainqueur 15 premières bornes d’une montée régulière et usante, avant d’attaquer ce mur fait de ruptures de pente et de rampes fleurtant avec les 20% de déclivité. Il fallait avoir des super-pouvoirs pour résister à cette douloureuse tenace qui taillade les jambes de chaque concurrent, brûle à vif les mollets au cours d’un effort aussi interminable qu’intense. Alors qui de mieux que « Superman » pour lever les bras sur les hauteurs de Méribel, au terme d’une ascension qui a amplement tenu ses promesses ?
Jusque là frustré par l’impitoyable train jaune et noir de la Jumbo-Visma et le niveau exceptionnel du plateau des favoris de cette 107e édition, le colombien a enfin pu s’exprimer sur des pourcentages davantage à sa convenance. D’abord placé mais discret dans les deux premières semaines, il s’était déjà rapproché de la tête au Grand Colombier (4e) avant de s’illustrer enfin cette après-midi. Dans l’attaque tranchante qu’il a impulsé à trois kilomètres du sommet, on reconnu immédiatement la jeune pépite qu’il fut au temps de son éclosion, et quelque peu disparue depuis. Bien aidé par l’enterrement de première classe orchestré par Primoz Roglic et Tadej Pogacar, les deux cadors slovènes, il sut s’envoler puis résister. Un temps en difficulté face au retour du maillot jaune, il monta en réalité en parfait gestionnaire, conscient que le moindre effort de trop pouvait s’avérer fatal face à la sévérité de la chaussée. Porté par son petit gabarit et immergé dans des conditions atmosphériques andines, Miguel Angel Lopez s’est hissé tel un ange vers le sommet de la montagne. Son allure douce et délicate, tantôt sur la selle tantôt en danseuse, a rappelé sa nature de pur grimpeur, face à l’irrésistible progrès des rouleurs dans le domaine, dont il est d’ailleurs l’une des principales victimes. Fendant une foule d’avant Covid, ornée de nombreux drapeaux slovènes, le natif de Pesca s’est donc distingué à la note artistique, à défaut d’être en mesure de disputer la victoire finale au rouleau-compresseur Primoz Roglic. Et face à un leader très calculateur, aux attaques inexistantes, le coureur d’Astana a aussi rappelé ce qu’était le panache, au terme d’une Grande Boucle qui en a été relativement dénuée, ajoutant un peu de piment à un spectacle quelque peu amer.Miguel Angel Lopez vainqueur au sommet du col de la Loze | © Page Facebook officielle du Tour de France / Auteur inconnu
De ce fait, la victoire de Miguel Angel Lopez est une bonne raison de se réjouir pour les fans de cyclisme, pour la beauté du sport, mais aussi pour la renaissance du personnage. Effectivement, troisième du Giro et de la Vuelta en 2018, « Superman » avait reculé dans la hiérarchie l’an passé, victime d’une certaine irrégularité, alternant coups d’éclats et coups du sorts. Submergé par une nouvelle génération à l’efficacité chirurgicale, d’abord emmenée par Tom Dumoulin puis reprise par Primoz Roglic, le colombien renaît enfin en ce mois de septembre, retrouvant son goût pour l’offensive des années passées. Désormais solidement installé sur la troisième marche du podium, il devrait être en mesure de compléter son triptyque des Grands Tours sur les Champs-Elysées, et ce dès sa première participation au Tour de France, auparavant trop piégeuse pour lui.
En outre, ce succès offre au monde du cyclisme une conclusion claire sur l’effet du durcissement du parcours : certes, il épuise les coureurs jusqu’à la moëlle, mais il donne et surtout des possibilités de triomphe aux vrais grimpeurs, attaquants-nés et exemples de panache, pour que la Petite Reine puisse encore être plaisante à regarder, pour qu’elle puisse encore sourire à ceux qui osent, et non seulement à ceux qui suivent, planqués dans les roues de leur armée.
Par Jean-Guillaume Langrognet