Il y a peut-être plus de suspens sur ce Tour que prévu. Malgré une formation incroyablement hégémonique, écrasant le Tour tel un rouleau-compresseur, Primoz Roglic n’est pas aussi dominateur qu’escompté. Mais contrairement aux attentes, la menace ne vient pas du colombien Egan Bernal mais de son compatriote Tadej Pogacar. Alors que le premier a totalement coulé sur les pentes du Grand Colombier, abandonnant plus de sept minutes et ses rêves de doublé dans l’affaire, le second est parvenu à devancer le maillot jaune sur la ligne d’arrivée. S’il ne reprend à Primoz Roglic que quatre petites secondes au classement général grâce aux bonifications, son estocade finale a surtout une portée psychologique. Le leader de la Jumbo-Visma n’a pas encore le Tour dans sa poche. Aussi bien épaulé soit-il, il ne parvient pas à décrocher son cadet, qu’il voit accroché à 40 secondes comme un chewing-gum collerait à une chaussure. Ainsi, au terme de cette seconde semaine de course et à sept jours de l’arrivée sur les Champs-Elysées, il devient légitime de s’interroger sur les chances de succès de Tadej Pogacar. Le slovène peut-il le faire ? Plusieurs raisons poussent à y croire.Tadej Pogacar vainqueur au sommet du Grand Colombier | © Compte Twitter d’UAE Team Emirates
Tout d’abord, le profil du col de la Loze semble nettement plus propice à une belle attaque que le Grand Colombier. En effet, si les deux ascensions possèdent des caractéristiques similaires, avec des longueurs proches de 20 kilomètres et une déclivité moyenne comprise entre 7% et 8%, c’est une étude détaillée de leur profil qui permet de mettre en lumière une différence de taille. Mis à part ses derniers hectomètres particulièrement raides, où la victoire d’étape s’est jouée aujourd’hui, le Grand Colombier a tendance à avoir un pied dur et un final roulant, rendant par conséquence toute attaque impossible face à l’infernal train des Jumbo-Visma. Au Tour de l’Ain comme aujourd’hui, ce replat avait annihilé tout spectacle. Mercredi, sur les hauteurs de Méribel, la pente ne redescendra plus en-dessous des 9% à partir de la banderole annonçant les cinq derniers kilomètres d’ascension. Et sur cette route, les coureurs trouveront même à trois kilomètres du sommet une rampe à 20% ! Dans ces conditions, le phénomène d’aspiration est significativement réduit, et le train jaune moins efficace, d’autant plus que l’un de ses derniers wagons, Tom Dumoulin, pur rouleur de formation, a horreur de ces murs. De ce fait, s’il a les mêmes jambes qu’aujourd’hui, Tadej Pogacar pourrait passer nettement plus tôt à l’offensive pour éliminer la garde rapprochée du maillot jaune puis l’attaquer, profitant de son punch et son aisance dans les forts pourcentages pour faire la différence. Dès lors, son débours de 40 secondes pourrait bien vite s’effacer.
Cela étant dit, direction le second point stratégique de cette dernière semaine : le seul et unique contre-la-montre de cette 107e édition de la Grande Boucle. Celui-ci comprend d’abord une première partie vallonée, avant d’attaquer la terrible Planche des Belles Filles et ses 6 kilomètres à 8,5% de moyenne. Si un pur « chronoman » pourrait prendre l’avantage dans l’entame du tracé, l’épouvantail final annihilera toutes ses chances de l’emporter. Mais de par la présence de cette portion relativement plane au début du parcours, un simple grimpeur n’a également aucune chance. Cette journée devrait donc être celle des coureurs d’un genre en prolifération : les rouleurs-grimpeurs. Immédiatement, les aptitudes de Primoz Roglic nous viennent à l’esprit. N’a-t-il pas remporté un contre-la-montre dès son premier Grand Tour, à l’occasion du Giro 2016 ? Effectivement. Tadej Pogacar a-t-il réussi à remporter un chrono au niveau World Tour ? Jamais. Sur le papier, l’affaire semble classée. Pourtant, un détail fait toute la différence et a de quoi donner un immense espoir aux partisans du coureur du Team UAE Emirates. Le 28 juin dernier, une semaine après avoir cédé face à Primoz Roglic dans de montagneux championnats en ligne de Slovénie, le natif de Komenda a pris sa revanche sur l’épreuve contre-la-montre. Et devinez-quoi, le tracé avait de sérieuses similitudes avec celui de samedi prochain. Une montée de 7 kilomètres à 7,5% pour commencer, avant d’attaquer une dizaine de bornes de faux-plat montant. Face à cette démonstration de tableau-noir, il y a bel et bien de quoi avoir de l’espoir.
Par conséquent, il est clair et net que Tadej Pogacar peut le faire. Mais il relèverait de la voyance de clamer qu’il va le faire. C’est bien là la glorieuse incertitude du sport.
Par Jean-Guillaume Langrognet