Il était incontestablement le plus fort aujourd’hui. Plus fort que Marc Soler et Maximilian Schachman qui l’accompagnaient au pied du terrible Suc au May. Plus fort que Julian Alaphilippe et son punch érodé. Plus fort que n’importe quel puncheur sur un Tour qui n’en manque pourtant pas. Après avoir manqué d’un souffle la victoire à Nice, seulement battu d’un boyau par Julian Alaphilippe, après avoir été cruellement rattrapé sous la banderole des deux derniers kilomètres à Laruns, au bout d’une extraordinaire épopée solitaire de 90 bornes, le suisse tient enfin son bouquet, et cela avec un mérite indiscutable.
Il fallait le voir décoller comme une fusée dans la rampe de lancement du Suc du May à la déclivité effroyable. Idéalement emmené auparavant par ses offensifs équipiers, le suisse a repris avec une facilité déconcertante l’intenable Marc Soler pour s’en débarrasser aussitôt. Et si son aisance dans les pentes impressionne, ses talents de descendeur laissent quant à eux bouche bée. Tel un véritable pilote de Moto GP, le bernois enchaîne les trajectoires parfaites, entre virages passés sans freiner et courbes idéalement dessinées, se posant dès lors comme sérieux prétendant au titre de meilleur descendeur du peloton, pour un style n’ayant rien à envier à Vicenzo Nibali dans ses meilleures années.
Le trou creusé sur un groupe de poursuivants désorganisé et perturbé par la présence de Julian Alaphilippe, le natif d’Ittigen s’est fondu dans l’air pour réaliser un numéro de poursuite individuelle en tête de la course, plongeant dans les virages et poussant dans les taquets à l’occasion. Et cette fois, contrairement à ses mésaventures de Nice et Laruns, personne n’était à Sarran pour le battre au sprint et l’empêcher de savourer les derniers mètres d’un sacre fondateur.Marc Hirschi s’envolant vers la victoire à Sarran | © ASO / Pauline Ballet
Et l’expression n’est pas emphatique. De par l’exploit réalisé, il s’agit bien d’un sacre. Et à la vue de son potentiel affiché depuis deux semaines, celui-ci semble bien poser la première pierre d’une carrière professionnelle de prestige. En effet, rares sont ceux à avoir brillés si jeunes dès leur premier Tour, dans un cyclisme contemporain au niveau de plus en plus élevé. Parlez-en à Gerraint Thomas, anonyme avant-dernier du classement général final pour sa première participation à la Ronde de Juillet à 21 ans, il ne vous dira pas le contraire. Allez demander à Christopher Froome comment il a vécu sa première Grande Boucle à 23 ans, où son meilleur résultat n’avait été qu’une anecdotique 14e place à Saint-Amand-Montrond. Penchez-vous sur les performances de Tom Dumoulin lors de l’édition 2013, qu’il a disputé à 23 ans, et constatez que le « Papillon de Maastricht » était bien loin d’y planer, 41e du classement général final et privé du moindre top 5 d’étape. Même Julian Alaphilippe n’avait pas été en mesure de lever les bras pour ses débuts en 2016. Pour tout dire, la prouesse de Marc Hirschi est d’autant plus rare qu’il s’agissait non seulement de son premier Tour, mais aussi et surtout de son premier Grand Tour, pour sa deuxième saison professionnelle. Là aussi, si une écrasante majorité écume les pelotons pendant de nombreuses années avant de poser les pieds sur l’épreuve phare de leur sport, le bernois a tout de suite été plongé dans le grand bain. Et il s’y est montré déchaîné.
« A new star is born » avait précédemment déclaré son mentor, Fabian Cancellara, domicilié à quelques encablures de la maison parentale. La performance du jour l’a sûrement confirmé, trouvant également là le successeur tant attendu de « Spartacus », retraité des pelotons depuis 2016. Entre la dernière victoire du champion olympique de contre-la-montre sur le Tour et celle de son poulain, huit ans sont passés. Et aucun helvète n’est entre-temps venu rompre la disette. Et si l’on considère uniquement les étapes en ligne, il faut remonter au 17 juillet 1997 et au succès de Laurent Dufaux à Pampelune pour retrouver trace de la dernière victoire helvète.
23 ans après cette période dorée, aujourd’hui éclaboussée par multiples scandales de dopage, la Suisse tient de nouveau son étoile, dans un autre registre et à une autre époque. Et s’il est certain que l’on reverra régulièrement Marc Hirschi refaire ses siennes, il est tout aussi probable qu’une jeune génération en pleine éclosion fasse bientôt planer la croix blanche sur les routes de France.
Par Jean-Guillaume Langrognet