« J’ai appris le français il y a quelques années et je profite des traductions en conférence de presse pour continuer à le perfectionner pendant le Tour. » Christopher Froome est un élève studieux capable de répondre à une interview télévisée en français mais néanmoins plus à l’aise avec la langue de Shakespeare lorsqu’il lui faut approfondir le débat. C’est là, au moment de relayer les déclarations du Maillot Jaune et des autres protagonistes du Tour, qu’intervient Pascale Lora Schyns. Passionnée de vélo, compétitrice dans les années 90, commissaire UCI jusqu’en 2011, attachée de presse de plusieurs coureurs, à commencer par Alejandro Valverde, Pascale Lora Schyns exerce la fonction d’interprète sur le Tour de France depuis la création du poste en 1996.
« A l’époque, se rappelle-t-elle, les traductions étaient réalisées en interne dans chacune des équipes. Francis Lafargue était l’interprète attitré de Miguel Indurain. J’étais l’assistante de Claude Sudres, qui a pensé en 1996 que le Tour avait un intérêt à ce que les traductions soient réalisées par un interprète neutre. Il a aussi senti venir l’anglais débarquer dans le vélo. Je réalisais déjà les traductions aux Championnats du Monde, c’est pourquoi il m’a proposé d’officier à ce poste sur le Tour de France. »
Chaque jour, Pascale Lora Schyns apporte ses services d’interprète multilingue à la presse cosmopolite. Si l’essentiel des traductions concerne l’anglais et le français, elle parle sans distinction néerlandais (de naissance), espagnol, italien et allemand. Et c’est en conférence de presse que ses services sont les plus appréciés. Chaque soir après l’étape, le vainqueur du jour et le porteur du maillot jaune se succèdent obligatoirement dans le car interview, où ils répondent cinq à dix minutes aux questions multiples de la presse, dont la grande majorité assiste à la conférence depuis la salle de presse, grâce à un système très pointu de visioconférence.
Assise à la gauche du héros du jour, Pascale Lora Schyns ne perd rien des échanges entre les journalistes et le coureur. Elle prend note des questions/réponses à l’aide de mots clés qu’elle restitue ensuite en français et en anglais. Une double traduction que lui évitent dorénavant bien des coureurs anglophones. Avant que ne commence la conférence, on s’assure du niveau d’anglais du coureur. S’il peut s’exprimer de lui-même en anglais, le temps de retranscription de son interview n’en sera qu’écourté. Au bénéfice de tous.
Citoyens du monde, les coureurs ont fini par avoir bien plus que des notions dans chacune des langues. Il est même arrivé qu’un anglophone s’exprime en français à la question d’un journaliste français, invitant l’interprète à traduire les propos tenus dans la propre langue de l’intéressé…
Depuis 1996, Pascale Lora Schyns a approché tous les acteurs de la Grande Boucle, retranscrit leurs mots, leurs confidences, leurs émotions. De cette relation privilégiée, de ces moments de partage, sont nées des complicités. « Lance Armstrong et moi avions une certaine connivence. Il est très professionnel et il comprend très bien le français. Chaque soir il était à l’écoute de la traduction, et si je commettais une imprécision, il me le signalait aussitôt d’un signe de la main. » Pascale Lora Schyns salue également la bonne éducation de Mark Cavendish, qui ne manque jamais de la remercier et reste toujours à l’écoute lorsqu’elle reprend ses propos en français. Ce n’est en revanche pas toujours le cas des coureurs français, généralement moins respectueux et moins attentifs lorsque leurs déclarations sont reprises en anglais pour nos confrères étrangers.
Avec les années, l’interprète a appris à appréhender les spécificités de chacun. D’un Cadel Evans qui s’exprime obscurément, passant confusément d’un français aléatoire à sa langue natale. Ou d’un Mark Cavendish « au début compliqué à suivre. Il était difficile de savoir ce qu’il pensait mais je m’y suis habituée. En fait, Mark Cavendish ne répond pas toujours à la question qui lui est posée et a souvent tendance à partir sur un autre sujet. » Avec tout ce que cela comporte d’anecdotes : « un jour, Cavendish a redemandé le micro à la fin de la conférence de presse pour déclarer qu’il avait quelque chose à annoncer. Et il a précisé qu’il dédiait sa victoire à son chien tout juste mort. Je dois dire qu’à cet instant je me suis demandé si j’avais bien tout compris… »