Tout au long du Tour de France, des personnalités du cyclisme reviennent avec nous sur une édition qui les a marquées, un moment fort qu’elles ont vécu de près ou de loin.
Philippe, quelle est la première image que vous conservez du Tour de France ?
Le Tour, comme tout le monde, ça remonte à l’enfance. Mon père l’a couru. J’ai beaucoup d’images de nostalgie qui reviennent : celle de Bahamontes et des autres autres champions de la fin des années 50 et du début des années 60.
Et parmi ceux que vous avez couverts en tant que journaliste pour le journal L’Equipe ?
Je n’ai pas tellement le choix. J’ai fait quinze ans de ma carrière avec des Tours frelatés. L’héritage d’Armstrong est là. C’est désastreux. C’est pourquoi je suis dans l’obligation de remonter aussi loin.
Dans l’histoire du Tour, quelle édition fait selon vous office de référence ?
Le Tour 1964, c’est l’incarnation du duel entre Anquetil et Poulidor, mais le Tour 1989 symbolise le suspense jusqu’au bout. On a beaucoup parlé des huit secondes des Champs-Elysées mais durant le Tour, il y a eu un chassé-croisé incroyable entre Laurent Fignon et Greg LeMond qui se sont disputé le maillot. Un événement a donné tout un élan à ce Tour : c’est le départ manqué de Pedro Delgado. Il était le vainqueur sortant, le favori et les 2’40 » qu’il perd le contraignent à une course poursuite qui emballera le Tour. Dans l’époque moderne, c’est un Tour de référence.
Le Tour est-il forcément plus beau quand il est animé par un duel ?
Il faut être deux pour faire un match et ça n’a pas toujours été le cas dans le Tour car il se prête aux règnes de longue durée. Mais la période de domination finit toujours par prendre fin, et parfois brutalement. Je me souviens de 1991, quand, au bas du Tourmalet, Greg LeMond semblait parti pour prolonger son règne avant de craquer à 1 kilomètre du sommet et nous étions partis pour cinq années de Miguel Indurain. Le duel est cependant encore meilleur quand il y a une opposition de personnalités. Le duel Anquetil-Poulidor l’a bien montré et opposait la France rurale à une certaine aristocratie. Eddy Merckx et Luis Ocana étaient tous deux des ambitieux et des orgueilleux, mais l’affichaient de manière différente. Ocana n’avait qu’une obsession : renverser le pouvoir. Je ne sais pas s’il y a un tel antagonisme entre Froome et Quintana. Cela dit un Colombien qui gagnerait le Tour serait un événement dans l’histoire.
Parmi ceux-là et parmi les autres, quel est le grand champion que vous mettriez en avant ?
C’est difficile à dire. Jacques Anquetil était un gestionnaire. Ce n’est pas forcément dans le Tour qu’Eddy Merckx a réalisé ses plus grands exploits car il n’y a pas forcément été poussé. Bernard Hinault a connu une opposition assez vieillissante et de la même manière, c’est sur les courses d’un jour qu’il a signé ses plus grands numéros comme à Liège ou Sallanches en 1980 ou à Roubaix en 1981. Le champion absolu du Tour, c’est peut-être Louison Bobet car il aimait passionnément le Tour. Il était très soucieux de son prestige et avait une autre idée du champion. Il abandonne son dernier Tour au sommet de l’Iseran en 1959. C’était une sortie à sa hauteur.
Un Tour à suspense passe-t-il par un changement fréquent de Maillot Jaune ?
Effectivement, il y a souvent la valse des maillots jaunes, surtout en première semaine. Dans le Tour, il en faut pour tout le monde. Un sprinteur, Mark Cavendish, a eu le premier maillot jaune à Utah Beach, puis un puncheur, Peter Sagan, lui a succédé le lendemain à Cherbourg. D’ailleurs, les Tours sont de mieux en mieux construits, les parcours sont de mieux en mieux pensés et étudiés. Il y a une vraie recherche de la part de l’équipe de Christian Prudhomme et Thierry Gouvenou.
Dans ce domaine et dans d’autres, le Giro est-il devenu une source d’inspiration pour les organisateurs du Tour ?
Ce ne sont pas tout à fait les mêmes courses. Les cols italiens ne ressemblent pas aux cols français qui sont plus roulants. C’est plus difficile sur le Tour de faire une véritable épreuve montagnarde. Il y a des grands cols mythiques sur le Tour, qu’on ne passe pas forcément cette année comme l’Izoard, le Galibier, l’Alpe d’Huez, ce qui n’empêche pas la difficulté. Le Tour est indissociable de la montagne. J’ai une affection particulière pour le Galibier. Même si les années passent, j’ai toujours le même frisson, je conserve toujours la même émotion, quel que soit le versant. Même si ces grands cols sont peut-être un peu dépassés sur le plan sportif, on sent la force de l’histoire quand on passe à cet endroit.
Cette année, d’où viendra la difficulté du Tour selon vous ?
Aussi surprenant que ça puisse paraître, il me semble que ce sera une côte, la côte des Amerands qui précède l’arrivée au Bettex au cours de la 19ème étape. C’est une difficulté surprise, explorée par le Dauphiné l’an dernier et qui va en arrêter plus d’un. Du bloc des Alpes on ne peut pas retirer une étape ou une difficulté en particulier. Les trois ou quatre jours constitueront un bloc décisif. Cela n’empêche pas les erreurs dans la conception du parcours
Lesquelles ?
A posteriori, je pense que le fait de mettre une arrivée au sommet dès la première étape de montagne a été une erreur. C’est le meilleur moyen de tuer le Tour et l’on s’en est bien rendu compte l’an dernier. L’erreur n’a d’ailleurs pas été renouvelée. Les Pyrénées représentaient une sorte de grand escalier avec une première étape qui arrivait à Payolle avec une difficulté moyenne qu’est l’Aspin, puis une étape classique avec un enchaînement de cols par le Tourmalet et Peyresourde et enfin une arrivée à Andorre-Arcalis.
Voilà plus de 30 ans qu’un Français n’a plus gagné le Tour. Avez-vous adapté en conséquence la ligne éditoriale du journal L’Equipe ?
On sent qu’il y a une forte attente. Heureusement que toute une génération française est arrivée. Ce ne sont plus seulement des espoirs. Le Tour s’est largement mondialisé, c’est remarquable, mais il a toujours besoin de Français.