Manager et interprète des Reynolds de Delgado et des Banesto d’Indurain, Francis Lafargue décrit sa passion pour le maillot jaune. Celui qui travaille désormais pour Carrefour a un regard plutôt critique sur la grosse machine qu’est devenu le Tour de France.
Francis, quel est votre plus vieux souvenir du Tour de France ?
C’était en 1964 lors de la plus belle édition du Tour de France, j’avais 9 ans. Je suis allé voir l’arrivée d’un contre-la-montre à Bayonne et Jacques Anquetil avait pris le maillot jaune à l’issue de l’étape. L’arrivée avait lieu sur le vélodrome du stade de rugby et je garde surtout en mémoire le maillot jaune. J’ai un souvenir très précis de Jacques Anquetil faisant son tour d’honneur sur la piste avec ce beau maillot.
Quel souvenir gardez-vous de votre premier Tour de France ?
Je suis venu pour la première fois en 1983, en accompagnant l’équipe espagnole Reynolds, qui était à l’époque très modeste. Dix ans après la victoire d’Ocaña, le cyclisme espagnol était moribond. On était partis avec beaucoup de jeunes et Angel Arroyo, qui avait terminé 2ème à Paris. Pedro Degaldo, qui était inexpérimenté, était encore en position de gagner à trois jours de l’arrivée. Je m’occupais surtout de la logistique : je cherchais des hôtels, j’allais récupérer des coureurs et je passais des musettes. A la veille de la dernière étape de montagne, comme Delgado était toujours dans le coup, on a vu arriver beaucoup de journalistes à l’hôtel. Et des consultants comme Bahamontes, Ocaña et Merckx. J’avais les jambes qui tremblaient, et Delgado aussi ! Je faisais l’interprète, comme je suis un frontalier. Cela m’a servi et me sert encore aujourd’hui.
Racontez-nous votre premier Tour victorieux…
En 1988, on a eu une victoire très difficile. Avec l’affaire Delgado qui a éclaté mais qui n’aurait jamais dû exister. C’est mon plus mauvais souvenir après la mort de Fabio Casartelli. C’était très frustrant d’arriver à cette situation alors qu’on avait les choses bien en main. On avait bataillé pour le maillot jaune qu’on avait fini par ramener à Paris. J’étais là en tant que manager et en tant qu’interprète. C’était terrible car on avait une pression énorme. Pour la petite anecdote on a perdu le maillot jaune durant la petite fête au Lido le dimanche soir. On est repartis sans de Paris !
Et avec le règne de Miguel Indurain, vous devenez quelqu’un de familier pour les téléspectateurs français…
Sur le coup je ne m’en rends pas compte mais la notoriété est grandissante. L’impact de la télévision est impressionnant. D’ailleurs, on me reconnaît encore, notamment à cause de mon accent. C’est un truc de fou. Les gens me demandent comment va Miguel.
Quel est votre souvenir le plus marquant sur la Grande Boucle ?
C’est l’étape du Puy de Dôme en 1983. On fait 1er et 2ème avec Angel Arroyo et Pedro Delgado. On avait eu beaucoup de difficultés à reconnaître l’étape la veille mais on réalise quand même le doublé. Cette étape a marqué le début d’une nouvelle ère pour le cyclisme espagnol.
Que pensez-vous du contingent espagnol présent sur la Grande Boucle 2017 ?
Il n’y a que treize coureurs espagnols cette année. Tout cela parce qu’il n’y a presque plus d’équipe professionnelle en Espagne et qu’il y a pas mal d’étrangers chez Movistar. Mais c’est une évolution voulue par le WorldTour. Parmi eux, Alejandro Valverde est capable de gagner une étape, voire deux, car il est exceptionnel. Il fait l’unanimité malgré tout ce que l’on a pu écrire ou dire sur lui. C’est un garçon qui a un talent fou. Et il peut encore continuer quelques années car c’est un passionné et il est né pour faire du vélo.
Quelle est votre opinion sur le Tour de France d’aujourd’hui ?
Je le suis depuis 34 ans et je peux dire que le Tour a beaucoup évolué. Un peu comme la société civile d’ailleurs. C’est devenu une très grosse machine. Mais il faut absolument garder une dimension humaine. D’ailleurs il se passe un peu la même chose dans le rugby par exemple. Il faut réussir à retrouver un bon équilibre entre le business et le sport. Mais les équipes sont fautives aussi avec les gars qui s’enferment trop dans les bus. Pour moi le Tour c’est le soleil, la fièvre jaune et Antoine Blondin. Ce que j’ai vécu en voyant le Maillot Jaune en 1964 à Bayonne, j’aimerais que les gamins aient l’occasion de le vivre encore. Il faut qu’ils puissent voir les coureurs, sans avoir à rester derrière des barrières.