Barry, quel est votre premier souvenir de Tour de France ?
La première fois que j’ai entendu parlé du Tour de France, j’étais un jeune gars dans le nord de l’Angleterre et il y avait le premier anglais à avoir fini le Tour de France, Brian Robinson. C’était à l’époque de Louison Bobet. Brian habitait à une vingtaine de kilomètres de chez moi. Je me suis demandé ce qu’était cette course. Et ça m’a pris à ce moment-là. C’était en 1954 ou 1955, j’avais 14-15 ans. Brian est aussi le premier anglais à avoir gagné une étape sur le Tour de France, et je me suis dis que je voulais le faire un jour. J’ai attendu jusqu’en 1964, après 2 ans chez les indépendants dans le nord de la France. Je suis passé professionnel avec mon ami Raymond Poulidor comme chef de file et puis on a fait le Tour de France. On a fait aussi Paris-Nice, la Vuelta que Raymond a gagné et où je gagne 2 étapes. J’étais bien préparé pour le Tour 64, avec le grand duel Poulidor-Anquetil. C’était mon premier. A l’époque, on avait des super vedettes. Maintenant, on en a plus. Il y avait Bahamontès, l’aigle de Tolède, Anquetil, qui avait un style surtout contre-la-montre mais maintenant il n’y a plus de gars comme ça. J’ai manqué de gagner une étape à Bordeaux, malheureusement pour moi André Darrigade m’a sauté sur la ligne. J’étais triste ce jour-là. C’était mon premier tour et ça m’a beaucoup marqué. Anquetil, le grand chef et grand seigneur, a gagné. Raymond, malheureusement, a fait quelques erreurs et il a perdu à cause de ça.
A votre avis, quelles erreurs a-t-il commis pour ne jamais porter le maillot jaune ni gagner de Tour de France ?
Je crois qu’à cette époque, Raymond paniquait. Sur le Tour 1964, il y avait une étape d’Andorre à Toulouse. Anquetil a eu mal au départ et était lâché dans le Port d’Envalira. Il est revenu, puis Raymond a cassé un rayon dans sa roue arrière, à 30 km de l’arrivée. Alors il s’est arrêté pour changer la roue. Le mécano a mal rentré la roue, il est tombé et Anquetil ne l’a pas attendu. Raymond a perdu le Tour là. Pourtant il n’avait pas raisons de s’arrêter, c’était un rayon. Il avait un coéquipier avec lui, mais il n’a pas pensé à changer de vélo avec lui, il a paniqué.
Nous parlions de Robinson. Entre 1954 et 1964, comment suiviez-vous le Tour et ses exploits ?
A l’époque, j’étais coureur cycliste en Angleterre. Je marchais bien, surtout sur la piste, où j’ai été deux fois champion du monde de poursuite. J’étais bon dans les contre-la-montre mais Tom Simpson avait 2 ans de plus que moi. C’est beaucoup à 15-16 ans. Tom a quitté l’Angleterre en 1959 pour aller faire ses preuves en Bretagne, puis il est rapidement entré chez les pros. Tom est le premier anglais à avoir porté le maillot jaune. Je me suis dis quand même, j’étais à peu près comme Tom mais mieux que lui au sprint. Si Tom peut le faire, moi aussi je peux le faire. J’ai donc fait l’expérience de partir dans le nord de la France. Je suis resté là pendant deux ans et j’ai commencé à gagner des courses. J’ai aussi fait 16ème du Tour de l’Avenir. Un ami, un journaliste français qui m’a vu au Tour de l’Avenir a parlé avec Antonin Magne et ça a marché comme ça.
On dit qu’Antonin Magne manquait de dureté avec Poulidor, qu’il aurait fallu plus le challenger, un peu comme faisait Geminiani avec Anquetil. Diriez-vous la même chose ?
Antonin Magne était très gentil, mais il était coureur cycliste dans les années 30. Il était trop vieux. Géminiani était coureur cycliste à l’époque de Bobet et de Coppi. Il était plus jeune, il avait l’intelligence, l’avenir. Antonin Magne était un peu perdu dans le temps.
Combien avez-vous fait de Tour de France ?
J’en ai fait douze et j’ai gagné huit étapes au total. Je dis souvent que j’en ai gagné huit mais que malheureusement j’ai fait six fois 2ème et neuf fois 3ème. A l’époque, même si vous étiez sprinteur, vous faisiez vos sprints vous-même. Il n’y avait pas de train, personne ne vous emmenait. Par contre je n’ai jamais porté le maillot vert. Malheureusement pour moi, dès que j’étais en pleine forme et que j’ai acquis une grande intelligence de course, c’était la pleine époque d’Eddy Merckx. Et lui, il a tout gagné. J’ai fais deux fois 3ème du maillot vert.
Votre histoire sur le Tour de France est aussi liée au Ventoux en 1967. Il y a cette journée du 13 juillet et l’étape du lendemain, celle des Français, que vous gagnez. Que gardez-vous de tout ça ?
Je n’aime pas quand les gens disent que j’ai gagné l’étape. A chaque fois que j’ai gagné quelque chose, j’ai battu quelqu’un. Ce jour-là, c’était à la mémoire de Tom. C’était une étape avec tous les grands de ce jour-là, les Stablinski, Janssen, Gimondi, Poulidor, Pingeon. Il y avait tellement de vedettes à cette époque là, Jean Stablinski a parlé avec tout le monde et a dis « écoute, Tom il n’est plus là, il est resté sur le Ventoux hier, mais on doit quand même faire quelque chose pour lui. Alors on a décidé qu’un Anglais devait passer la ligne en premier. Personne n’a rien dit. C’était une étape de 200 km mais c’était trop long. Même les gens au bord de la route ne criaient pas, c’était un peu comme une étape à l’église. Et à un certain moment, je crois à une quarantaine de kilomètres de l’arrivée, on a roulé ensemble. Il y avait deux équipes de France à ce moment-là, car c’était des équipes nationales, et à un moment, il n’y avait personne dans ma roue. Je me suis retourné et tous les gars m’ont fait signe de continuer. Alors j’ai continué et quelques kilomètres après, il y a une moto qui est venue à côté de moi, avec un journaliste dessus. Il m’a dit « Stab veut que tu continues comme ça. » Alors j’ai continué comme ça. Mais ce n’était pas une victoire. C’était à la mémoire de Tom. Tom était Anglais, mais il était ami de tous ces gars-là.
On dirait que Tom Simpson était aussi apprécié que quelqu’un qui a disparu récemment, Michele Scarponi. Etes-vous d’accord avec ça ?
La différence, c’est que Scarponi a été renversé par une voiture alors que Tom est mort dans la plus grande course du monde. Nous sommes toujours étonné que 50 ans après, les gens se souviennent de lui. Tom avait débuté en Bretagne, à Saint-Brieuc. Tom et moi, nous avons couru seulement pour des équipes françaises. On était tous les deux Anglais, mais aussi presque Français. Nous avions des amis dans l’équipe, comme Raymond Poulidor avec qui je suis en contact. Nous avons couru pendant quatorze années ensemble. Le vélo, surtout à cette époque, c’était une grande famille. Maintenant, avec l’argent, ce n’est plus pareil.
Allez-vous revenir sur le Ventoux pour le 13 juillet, date de la commémoration officielle pour Tom Simpson ?
Certainement, on devrait descendre avec toute la famille. De la famille qui vient d’Australie, d’Italie, de Belgique et bien sûr d’Angleterre. Et des amis de Tom, on va être nombreux. Puis nous irons à Bédoin, et Joann, la deuxième fille de Tom, va remonter le Ventoux avec son dossard, le 49. Ce n’est pas une sportive, ça va être une ascension du Ventoux avec la famille et beaucoup d’amis.
Si vous aviez une image du coureur cycliste Tom Simpson que vous garderiez en mémoire, ce serait laquelle ?
Tom, il trouvait toujours de quoi rire. Même sur des courses très sérieuses, il a toujours trouvé quelque chose pour rigoler. On se demandait comment il faisait, il était toujours en train de se marrer et nous on avait toujours mal aux jambes. Il était comme ça, il avait la joie de vivre. Toujours.
Lors de la cyclo hommage, tout le monde avait un œillet, pour le déposer sur le stèle. C’était sa signature à lui ?
Non, ce n’était rien de spécial pour Tom. Elen et moi, quand on a vu ça, on s’est dit que c’était un signe merveilleux. C’était beau à voir.
Beaucoup disent que Merckx n’aurait pas brillé de la même manière s’il n’y avait pas eu Ocana et qu’Ocana n’aurait pas brillé de la même manière s’il n’y avait pas eu Merckx. Vous qui avez connu les deux, qu’en pensez-vous ?
J’étais bien ami avec Luis Ocana. C’était un coureur cycliste avec la carcasse très fine, il n’était pas très costaud et chutait souvent. Merckx, lui, était costaud, il avait la force, il avait tout. Luis était très gentil mais Merckx était un peu distant. C’était Merckx. En 1974, je l’ai battu à Gand-Wevelgem. J’étais content, jétais arrivé à le battre une fois. Mais sur le Tour de France, la même année, je crois que j’ai terminé 10 ou 11ème du prologue, à une trentaine de secondes de Merckx. Il y avait encore neuf étapes avant qu’on retrouve la montagne, et tous les jours il y avait trois sprints avec 3, 2 et 1 secondes de bonifications. Neuf secondes par jour et neuf étapes avant la montagne, je m’étais dis qu’avec un peu de chance je pourrais porter le maillot jaune. Alors dès la première étape, je gagne le premier point chaud et je regarde dans ma roue. Merckx deuxième. Je me suis dis que ce n’était pas possible, il a disputé tous les points chauds car il ne voulait pas donner le maillot jaune à quelqu’un d’autre.
Quel regard portez-vous sur les récents succès anglais depuis 2012, Bradley Wiggins et Chris Froome en tête ?
C’est-à-dire que tout est de l’argent. A notre époque, il n’y avait pas d’argent. La fédération en Angleterre n’avait pas un sou. Depuis qu’ils ont de l’argent, ils ont fait tout ce qu’il faut pour gagner des médailles d’or aux JO et sur la route. Mais c’est une autre époque. J’ai parlé avec Bradley Wiggins un peu avant Noël, c’est un gars qui aime bien l’histoire du vélo et c’est un très grand supporter de Tom. Alors en principe, il devrait être là le 13 juillet, pour monter avec Joann.
On voit que de plus en plus d’Anglais font du vélo et que le Tour 2014 a été un succès populaire, tout comme le Tour du Yorkshire chaque année. Le vélo est-il définitivement ancré en Angleterre ?
Le vélo a toujours été aimé par les amateurs de vélo en Angleterre. Mais maintenant, le succès est incroyable. Le Tour du Yorkshire se court au mois d’avril-mai. L’année dernière, il y avait de la neige, et on a eu des milliers et des milliers de personnes. Ils sont fous de vélo, ils en veulent toujours plus.
En bonus : la vidéo (n°3 dans la liste) de Thomas De Gendt, dernier vainqueur au Ventoux, qui participe à la rénovation de la Stèle de Tom Simpson.