Une personnalité du cyclisme nous raconte son plus beau souvenir de Tour de France. Une façon de retracer l’Histoire du Tour de France et de ses 101 éditions.
Stephen, vous avez découvert le Tour de France en tant que coureur en 1983. Quel souvenir gardez-vous de votre arrivée sur l’épreuve ?
J’en étais à ma troisième année chez les pros avec l’équipe Peugeot. J’avais été sélectionné pour cette édition 1983. A son approche, tous les anciens de Peugeot n’arrêtaient pas de souligner à quel point le Tour était quelque chose de grandiose : « tu vas avoir une nouvelle valise, des maillots neufs, des cuissards neufs, des paires de chaussettes, un vélo neuf aussi… » Dans ma tête, je voyais vraiment quelque chose de très grand. Et quand je suis arrivé au départ de ce Tour de France 1983 à Fontenay-sous-Bois, ce qui m’a impressionné ça a été le monde. J’ai senti la pression monter avec la visite médicale, la présentation des équipes, tous ces préparatifs qui, même s’ils étaient incomparables avec ceux de notre époque, demeuraient très différents des autres courses. Avant même le prologue, j’ai été très impressionné. Jamais je n’avais vécu une épreuve d’une telle ampleur jusqu’alors dans ma carrière.
Vous aviez forcément déjà entendu parler du Tour de France plus jeune, dans quel contexte ?
De loin surtout, car en Irlande on ne parlait pas beaucoup du Tour de France avant que Sean Kelly ne passe pro en 1976. Dès 1978, il a commencé à emmener les sprints pour Freddy Maertens, Maillot Vert et vainqueur de deux étapes. Sean Kelly a même gagné une étape pour son compte personnel, mais à l’époque ça n’a fait que trois lignes dans les journaux, comme quoi Kelly avait battu le grand Freddy Maertens dans le Tour de France. C’est là qu’on a commencé à parler davantage du Tour et à s’y intéresser. Mais il a fallu du temps avant qu’il y ait en Irlande de la communication autour du Tour de France.
Vous n’avez donc pas tellement suivi le Tour de France au cours de votre enfance ?
Non. Avant que Sean Kelly n’y participe à la fin des années 70, le Tour de France pour un Irlandais c’était comme aller marcher sur la Lune. On se disait que ce n’était même pas la peine d’y penser. Quand Kelly s’y est rendu et s’en est sorti avec une victoire d’étape, les choses ont évolué. J’ai suivi quelques années plus tard en passant professionnel mais pendant longtemps je ne pensais pas passer pro. J’avais un boulot en Irlande, je voulais seulement préparer les Jeux Olympiques de Moscou.
De nos jours, les choses ont bien changé. Comment le Tour de France est-il perçu en Irlande ?
Le problème aujourd’hui est inversé. Un jeune qui se met au vélo en Irlande a l’espoir de faire un jour le Tour de France. Avant même de marcher. C’est un vrai problème car les jeunes ne voient pas les obstacles qu’il leur faut franchir avant d’y parvenir. Ils sont trop pressés d’y arriver, or il y a quand même des étapes : Cadets, Juniors, Espoirs, Elites et pros. Souvent, nous avons de très bons Cadets/Juniors, certains qui courent avec les Elites. A 18 ans, ils se croient déjà arrivés, mais à cet âge-là on est trop jeune pour passer pro. Il vaut mieux aller progressivement, dominer son domaine chez les amateurs, ensuite chez les Elites, et ensuite envisager une carrière pro. Mais il ne faut pas aller plus vite que la musique. C’est malheureusement ce qui se passe désormais en Irlande, où les jeunes négligent un peu leur cursus scolaire, tellement persuadés de passer pros…
Si vous ne deviez retenir qu’une image de tous les Tours de France que vous avez vécus, laquelle serait-ce ?
Il y a des Tours de France qui marquent pour différentes raisons. Personnellement je me souviendrai toujours de celui que j’ai gagné en 1987. Non pas parce que j’ai ramené le maillot jaune à Paris mais par rapport au monde qu’il y avait à Berlin. C’était un Grand Départ comparable à celui de Londres cette année, avec du monde partout. Nous avions passé trois jours entre Berlin et Stuttgart : il y avait un monde pas possible. Je pense que c’était semblable à ce qu’on a vu dans le Yorkshire cette année. Ce souvenir me marque.