Une personnalité du cyclisme nous raconte son plus beau souvenir de Tour de France. Une façon de retracer l’Histoire du Tour de France et de ses 101 éditions.
Philippe, quelle reste votre première image forte du Tour de France ?
Le Tour 1964, celui de la rivalité Anquetil-Poulidor, mais surtout le personnage de Jacques Anquetil. Cette édition se terminant contre la montre, j’ai l’image de lui faisant le tour de la piste du Parc des Princes en jaune. En vérité, c’est une image en noir et blanc qui n’existe pas, quelque chose que je me suis inventé, que j’ai créée dans mon âme d’enfant. J’avais 8 ans. Il y a une part de mysticisme : il y avait quelque chose d’honirique à la voir tourner. Les résultats importent peu. Ce qui compte, c’est l’empreinte des champions, la trace qu’ils laissent. Je vois ça comme une fable. Il y a quelque chose d’hypnotique à voir des coureurs descendre, filmés de dos, avec les pointillés de la route qui nous emmènent dans des horizons fuyants. C’est cela le cyclisme pour moi, et le personnage d’Anquetil a cristallisé chez moi une passion qui ne s’est jamais éteinte. Mon rêve n’en finit plus. Anquetil, encore aujourd’hui, continue de tourner dans ma tête.
A 8 ans, Jacques Anquetil vous a-t-il inspiré pour devenir journaliste ?
J’ai surtout compris qu’il était plus facile de comprendre l’être humain à travers le cyclisme parce que les codes étaient plus clairs. Si on suivait ça de très près, on comprenait qui était un peu lâche, qui était courageux, qui avait de la bravoure, qui truquait. On comprenait l’hypocrisie des rapports. Avec des embellies sublimes, athlétiques, qui allaient souvent de pair avec une certaine embellie intellectuelle et morale du personnage. Cela a apporté un peu de clarté dans ma connaissance de l’être humain qui à l’époque était d’une grande confusion.
Y a-t-il d’autres coureurs dont vous vous rappelez l’image pour l’empreinte qu’ils ont laissée ?
Bien sûr, d’autres gens sont entrés dans mon univers sensible, lyrique, nourrissant mon imaginaire : Eddy Merckx, Luis Ocaña. Le Tour de France a anobli Eddy Merckx, mais il n’a pu faire sans lui ensuite. C’est Merckx qui apportait au Tour. Le Tour de France est un théâtre, ce qui compte c’est le facteur humain, le champion. C’est l’obsession d’Ocaña à vouloir battre Eddy Merckx, à cristalliser toute sa rage d’enfant refoulé de l’Espagne franquiste à travers sa lutte avec Eddy Merckx. Jusqu’au point de vouloir se faire encorner, ce qui arrive dans la descente du col de Mente, où l’on peut même penser qu’il s’agissait non pas d’une fatalité mais d’une forme d’évidence. Il ne pouvait pas vraiment battre Merckx. Dans la vie, nous sommes tous des perdants. La norme, c’est une sorte de brouillon, d’échec de soi-même. Mais de temps en temps on peut atteindre la réussite, qui n’est qu’une fulgurance, rien d’autre. Ocaña exprimait cela. Il reste pour moi un phare dans la nuit qu’a traversé le cyclisme.
Vous mettez davantage l’accent sur les affaires humaines. Les lieux vous inspirent-ils moins ?
Les lieux ont leur fantasmagorie mais ce sont les drames qui s’y sont déroulés qui leur ont donné de la grandeur. Le Tourmalet en soi est un col des Pyrénées qui aurait pu rester anodin, comme tant d’autres. Le Puy de Dôme restera le théâtre de la rivalité Anquetil-Poulidor. C’est là qu’elle a connu son apogée. Ce sont les hommes qui dessinent les contours du Tour de France. Il y a le Tour que l’on vit et celui des souvenirs. Si demain on descend le col de Mente, la figure d’Ocaña viendra s’inscrire en filigrane derrière la trace laissée par Froome, Contador ou un autre.
Pour faire rêver un gamin de 8 ans aujourd’hui, quel est le meilleur média ?
C’est l’ensemble des médias. On voit des choses somptueuses se tramer à la télévision. Mais il reste la force de l’écrit. Ce sont d’autres images. L’écriture en soi est une image. Il faut le vouloir, lui laisser un peu de liberté. Quand j’étais jeune, on ne retransmettait pas les étapes en intégralité. Pierre Chapatte, qui commentait le Tour à l’époque, disait : « le jour où l’on retransmettra toute les étapes du Tour en intégralité, le cyclisme perdra un peu de sa fascination ». Une voix, à la radio, suffit aussi à vous emporter et à vous emmener là où vous avez envie d’aller. C’est ça la force du cyclisme.
Pendant le 101ème Tour de France, Vélo 101 fait un clin d’oeil à Antoine Blondin en diffusant quelques savoureuses de ses chroniques. L’avez-vous rencontré ?
J’ai réalisé mon premier Tour avec lui en 1982. Ce fut aussi son dernier. J’habitais non loin de chez lui à Paris, je le voyais beaucoup. Mais j’ai plutôt connu Antoine que Blondin. On parle beaucoup de ses calambours, mais de Blondin je retiens avant tout la poésie qu’il a su installer dans le cyclisme.