Une personnalité du cyclisme nous raconte son plus beau souvenir de Tour de France. Une façon de retracer l’Histoire du Tour de France et de ses 101 éditions.
Christian, quel premier souvenir du Tour de France avez-vous en mémoire ?
Mon tout premier souvenir, c’est l’arrivée du Tour 1968. Je regarde la télé, j’ai 7 ans, et je vois un coureur à lunettes entouré de journalistes, de photographes, et happé par la foule. Je comprends ensuite que c’est Jan Janssen, premier vainqueur hollandais du Tour. C’est ma toute première image. Deux ans plus tard, je suis allé voir passer le Tour pour la première fois en Haute-Savoie, au col de Coux, avec mes parents, mes frères et sœurs. J’ai vu Eddy Merckx mais je n’ai pas réussi à trouver Raymond Poulidor. J’ai en revanche humé ce jour-là le parfum du Tour de France.
Vous intéressiez-vous déjà au Tour à cette époque-là ?
Oui, dès 1969. A partir de cette image de Jan Janssen. J’ai d’abord beaucoup suivi le Tour à partir de la radio. Parce qu’il y avait beaucoup moins de choses retransmises à la télé. Parce que lorsqu’on partait en vacances il n’y avait pas la télé. A l’époque, France Inter retransmettait les 100 derniers kilomètres autour du regretté Jean-Paul Brouchon. Ma journée était très rythmée. J’allais acheter L’Equipe en fin de matinée, je ne lisais pas tout pour qu’il m’en reste. Avant la retransmission télé j’écoutais les flashs sur France Inter, RTL et Europe. Ça passait de la voix de Jean-Paul Brouchon à celle de Fernand Choisel puis à celle de Guy Kédia, qui fut plus tard mon premier patron à RTL.
Puis c’était la retransmission télé, en quoi consistait-elle ?
Toutes les étapes étaient retransmises, mais pas sur la même chaîne. C’était un jour sur la 1, un jour sur la 2. Ado, je me souviens m’être dit pour une arrivée à l’Alpe d’Huez : « génial, ils ont pris l’antenne à Bourg d’Oisans, on va voir toute la montée de l’Alpe ! » Les choses ont depuis bien changé puisque cette année, et c’est un record, dix étapes seront retransmises en intégralité. Pour les autres on peut suivre en direct les 120 derniers kilomètres, c’est une couverture phénoménale.
Qu’est-ce qui, enfant, vous a plus poussé vers le vélo que vers un autre sport ?
Je crois que le décor, en cyclisme, a un rôle absolument capital. Un exploit sportif, dans un stade, une piscine ou un court de tennis, c’est très bien, mais vous faites ça dans l’Izoard ou sur des pavés, ça a une autre gueule. Ça donne une dimension beaucoup plus importante à la performance. Et puis le champion cycliste est humble, et il l’est resté. On peut l’approcher, lui parler, il est sympa. Même le meilleur coureur du monde sur la plus belle course du monde.
Parmi tous les Tours de France que vous ayez suivis, lequel mettriez-vous en tête ?
Comme tous les gens de ma génération, je mettrais 1971. Les deux pendants, l’exploit incroyable de Luis Ocaña à Orcières-Merlette et puis sa chute dans le col de Menté. Luis Ocaña a marqué une génération. Il ne se retournait pas, il regardait derrière lui en voûtant le dos. Il avait une allure incroyable, une fierté phénoménale, et puis il attaquait le géant Eddy Merckx. Je garde aussi en tête Pra-Loup et Serre-Chevalier 1975 avec les envolées de Bernard Thévenet. Je ne serai pas original en parlant de 1989 et des 8 secondes entre Greg LeMond et Laurent Fignon. Et puis plus récemment 2011 avec l’étape du Galibier.
Ce jour-là, vous aviez souhaité rendre hommage à un col inscrit depuis 100 ans sur le tracé du Tour de France…
Nous avons beaucoup travaillé pour pouvoir faire l’arrivée au sommet du Galibier, ce qui était une première. Ça a été compliqué, avec des changements politiques, des difficultés logistiques… Ce jour-là je m’arrête déposer une gerbe devant la stèle Coppi dans la Casse Déserte avec Eddy Merckx, Bernard Hinault et Bernard Thévenet. Nous entendons soudain sur Radio-Tour « attaque d’Andy Schleck ». A ce moment je me suis senti comme un gamin. J’étais avec ces immenses champions, Andy Schleck attaque, on le regarde passer du bord de la route, on remonte en voiture, il s’en va gagner après 60 kilomètres d’échappée, Thomas Voeckler conserve le maillot jaune in extremis, et Cadel Evans prend les choses en main pour s’imposer trois jours plus tard à Paris… Nous avons mis toute notre énergie pour faire de cette étape une grande étape. Cette récompense pour toute l’équipe d’organisation a été fabuleuse.