En ce jour d’ouverture du marché des transferts, l’équipe de Vélo 101 accueille un nouveau consultant. Cyril Saugrain, que nous remercions pour son éclairage et sa disponibilité au cours des trois dernières années, et dont nous ne manquerons pas de suivre l’actualité future, passe le flambeau à Nicolas Fritsch. Professionnel entre 1999 et 2006, 3ème du Tour de Suisse 2002, Nicolas Fritsch est aujourd’hui conseiller auprès de l’agent Clément Gourdin. Tous les quinze jours, il nous apportera son point de vue sur l’actualité cycliste. Une nouvelle rubrique que nous lançons cette semaine sous la forme d’un débat en cinq épisodes sur l’intérêt du dernier Tour de France.
« Ce Tour de France était-il ennuyeux ? C’est en tout cas ce que l’on a entendu dès les premiers jours de course, ou presque. C’est également le sentiment général qui est ressorti de ce Tour de France 2016, tout juste tiré de sa torpeur émotionnelle, surtout pour nous Français, par un Romain Bardet enfin libéré, et par la grâce d’une descente détrempée. Mais est-ce justifié ? Pour cela, encore faut-il définir ce que l’on attend d’un Tour de France ! Cela reste avant tout une compétition cycliste, longue de trois semaines qui plus est, avec ce que cela implique en terme d’inévitables temps morts. Il ne faut donc pas en attendre ce qu’il ne saura nous proposer au regard de ses caractéristiques intrinsèques.
Ce qui fait la réussite d’un Tour, ce qui suscite de l’intérêt et qui permet d’inscrire un Tour dans la légende et dans les mémoires collectives et sélectives qui oublient, et heureusement, les mauvais moments pour n’en retenir que les bons, ce sont les duels et les épopées. Le duel Anquetil/Poulidor, qui a connu son apogée en 1964 dans le Puy de Dôme, a marqué des générations entières, surtout chez les poulidoristes. Plus près de nous, qui n’est pas nostalgique d’un Tour de France 1989 qui a vu Laurent Fignon et Greg LeMond s’échanger le maillot jaune jusqu’au dénouement tragique des Champs-Elysées ?
Il s’agit probablement là de deux des plus beaux Tours de l’histoire, avec une pointe de chauvinisme, mais il existe également d’autres exemples de duels qui ont su passionner les foules en dehors de toute notion de nationalité. Je pense, sans trop remonter le cours du temps, à Contador-Schleck en 2010 ou à Armstrong-Ullrich en 2003. En ce sens, la faillite (relative, tout de même) de Nairo Quintana a engendré un fort sentiment de déception, à la hauteur finalement de l’attente que leur confrontation suscitait.
Notre mémoire, sélective donc, oublie les écrasantes dominations de nos plus beaux champions, à commencer par le meilleur d’entre tous, Eddy Merckx. Que retient-on finalement de ces Tours de France ? En ce qui me concerne, je retiens trois épisodes. Sa chevauchée fantastique en 1969 entre Luchon et Mourenx, un Tour qu’il remporte d’ailleurs avec 17’54 » sur Roger Pingeon (pour rappel, l’écart entre Chris Froome et Roman Kreuziger, 10ème, était de 7’11 » cette année), en raflant au passage six étapes, le classement par points, celui de la montagne, et même le classement par équipe avec Faema. On a connu mieux comme suspense !
Paradoxalement, mes deux autres souvenirs marquants sont nés…de défaites ! Celle qu’il a subie face à un Luis Ocaña survolté sur la route qui menait les coureurs de Grenoble à Orcières-Merlette en 1971, et celle face à notre Bernard Thévenet dans la montée de Pra-Loup en 1975, qui mit fin à son écrasante domination sur les routes du Tour. En dehors des duels, ce qui nous attire, c’est donc l’exploit, ou mieux, l’épopée. C’est Merckx en 1969, Ocaña en 1971, mais c’est aussi Marco Pantani en 1998 dans le Galibier. C’est Floyd Landis en 2006 dans Joux-Plane, car, sur le moment, qui ne s’est pas dit qu’il assistait là à un exploit…merckxien ! C’est aussi, plus modestement, Romain Bardet cette année lors de sa victoire à Saint Gervais Mont-Blanc.
Quand on en revient aux préceptes de départ, à savoir ce qu’est un Tour de France, c’est-à-dire une course cycliste de trois semaines, il serait réducteur d’en conclure qu’il a été ennuyeux. Ce serait même manquer de respect à tous ses acteurs, et en particulier aux vainqueurs d’étapes. Celles-ci ont en effet toutes été disputées et animées et ont toutes vu de beaux champions l’emporter au terme de finaux souvent excitants. Souvenez-vous des sprints de Mark Cavendish, de celui qui a vu Marcel Kittel l’emporter à la photo-finish face à Bryan Coquard à Limoges, de la force de Peter Sagan un peu partout mais surtout à Cherbourg face à un Julian Alaphilippe décomplexé ou à Montpellier en compagnie d’un surprenant et inspiré Chris Froome.
Les étapes de montagne ont pour leur part toutes consacré un grand coureur, à défaut d’un leader. La lutte fut incertaine et intense jusqu’au bout, jusqu’à la descente pluvieuse et sinueuse vers Morzine, tant pour le podium que pour une significative place dans les dix premiers. Mais pas pour la victoire il est vrai, si ce n’est à espérer anti-sportivement une deuxième chute, fatale cette fois, de Chris Froome… »