Aux côtés de Valentin Madouas, Stefan Küng et Michael Storer, Thibaut Pinot et David Gaudu font partie des cinq hommes présélectionnés d’office sur le Tour de France par la Groupama-FDJ. Leur saison s’est construite en conséquence, adaptant chaque course disputée, chaque stage effectué, à l’échéance ultime de juillet. Pour David Gaudu, il s’agit d’améliorer la précédente marque laissée sur l’épreuve, soit une onzième place l’an passé. Quant à Thibaut Pinot, le franc-comtois souhaite absolument dévaler les Champs-Elysées l’esprit joyeux, après avoir multiplié les désillusions au cours de ses dernières participations. Le premier espère ressentir pour la première fois le frisson de la lutte pour le classement général, le second rêve d’un Tour enfin réussi. Mais qui d’entre eux aura les clés de son destin entre ses mains ? Lequel sera leader ?
Thibaut Pinot au service de David Gaudu, l’exemple de la Mercan’Tour Classic
Les deux hommes ont l’habitude de courir ensemble. Depuis le départ du Tour 2019, où leur association fut amplement médiatisée, Thibaut Pinot et David Gaudu ont passé 62 journées en commun. 62 journées, le temps d’un changement de hiérarchie. En effet, de dernier lieutenant du franc-comtois sur la Grande Boucle 2019, le breton mua peu à peu en leader incontestable au sein de sa formation. Après la défaillance de son aîné, en 2020, il eu d’abord carte blanche. Puis, en fin de saison dernière, il bénéficia du travail de Thibaut Pinot au Tour du Luxembourg puis à l’occasion des classiques italiennes automnales. Ainsi soutenu, il récolta d’ailleurs au passage une victoire d’étape au Grand-Duché et une jolie 7e place en Lombardie. Les années sont passées, les rôles ont changé.
En cette année 2022, leurs parcours se sont moins croisés que d’accoutumée. Seule la Mercan’Tour Classic, courue mardi dernier, fait figure d’expérience commune. Mieux, elle reflète même la jonction de leurs préparations respectives, après des objectifs différant légèrement au printemps. Placée au sein d’un stage intensif de haute-montagne, l’épreuve provençale marque même symboliquement le début de la phase d’approche du Tour, dont le départ sera donné de Copenhague dans quatre semaines. Par conséquent, on peut considérer que cette course peut être parfaitement représentative de leur hiérarchie à venir car les deux hommes disposent d’un état physique apparemment identique.
Or, dans la lignée de l’automne passé, lorsque le jeune et époustouflant Lenny Martinez s’est écarté au sommet du col de la Couillole, c’est Thibaut Pinot qui a pris le relais. En ce faisant, il affichait clairement le leadership uniquement de David Gaudu. Alors que l’on pouvait imaginer un tandem à la tête de la Groupama-FDJ, à l’image de la stratégie gagnante choisie par Israël – Premier Tech, la hiérarchie française fut catégoriquement verticale. Thibaut Pinot s’est carrément sacrifié, David Gaudu a nûment joué sa chance. Et il a d’ailleurs perdu face aux attaques successives de Michael Woods et Jakob Fuglsang (Israël Premier – Tech), montés sur les deux premières marches du podium à Valberg.
Cette disposition fonde-t-elle les prémices de la hiérarchie du Tour ?
David Gaudu cherche un résultat, Thibaut Pinot courre après le plaisir
David Gaudu vise le classement général
Un autre élément de réponse se trouve peut-être dans l’analyse des états d’esprit des deux hommes. En effet, comme annoncé dans l’introduction, les critères d’un Tour réussi diffèrent sensiblement entre David Gaudu et Thibaut Pinot. A 25 ans, le petit grimpeur breton court encore après une référence au classement général d’un Grand Tour. 5e du Tour du Pays-Basque l’an passé, puis 9e du Critérium du Dauphiné, il avait échoué à franchir la marche d’un top 10 sur le Tour. Ainsi, sa 8e place sur une Vuelta 2020 remaniée et raccourcie fait figure de meilleur résultat dans l’exercice, agrémentée de deux beaux bouquets. Toutefois, cet accessit cache l’échec du breton à se mêler à la bataille pour le podium, duquel il fut relégué à 6min 30 à Madrid.
Par conséquent, David Gaudu cherche encore le grand frisson, dans la lignée de ceux que Romain Bardet et Thibaut Pinot ont suscité dernièrement. A la vue de son potentiel en montagne, ses ambitions se portent donc à la hauteur d’un top 5, à l’impression « d’être dans le coup ». Cet été, ne cherchez donc pas le breton dans les échappées. Dans la Planche des Belles Filles, dans le col du Granon, ou encore à Hautacam, le natif de Landivisiau cherchera à s’accrocher à la roue de Roglic, Pogacar et consorts.
Thibaut Pinot rêve d’une nouvelle victoire d’étape
Au contraire, Thibaut Pinot réfute toute pression, tant il semble y être allergique. Une brève rétrospective sur la carrière du Morgelot montre d’ailleurs qu’il n’est jamais aussi performant que lorsqu’on ne l’attend pas. En 2012, il avait surpris son monde en s’imposant en solitaire et en costaud à Porrentruy. Sur l’édition 2015, il avait enterré ses chances de podium de l’ascension de La Pierre Saint-Martin pour mieux conquérir l’Alpe d’Huez. En avril dernier, il avait craqué dès la première étape du Tour des Alpes avant de célébrer sa première victoire depuis 1007 jours sur la dernière.
D’ailleurs, ce caractère rejoint son discours. En janvier 2020, lors de la présentation de la Groupama-FDJ et de l’annonce de la prolongation de son contrat jusqu’en 2023, Thibaut Pinot se donnait deux ans pour réessayer d’accrocher le Tour de France à son palmarès, puis de consacrer les deux saisons restantes à un rôle de capitaine de route. Ses persistants maux de dos, contractés sur la Promenade des Anglais un jour de pluie, n’ont aucunement bouleversé ce calendrier. Tout juste sorti de ce qu’il autoproclame la « pire période de sa carrière », Pinot le passionné est en quête de plaisir. « Faire 6e du Tour, ça ne m’intéresse plus », lâche-t-il d’ailleurs à ce propos, dans un entretien à Stade 2. Avide d’émotions, il veut revivre une dernière fois les joies du Tourmalet. Le général, il le laisse volontiers à David Gaudu.
L’inconnue Storer
Et si un troisième larron venait brouiller les pistes ? Double vainqueur d’étape sur la Vuelta, et recrue de l’intersaison, l’australien Michael Storer constitue également l’une des cartes maîtresses de la Groupama-FDJ. Effacé en début de saison, le natif de Perth refait progressivement son apparition dans le haut des classements, symbole de sa forme ascendante. Ainsi, fin avril, il s’est brillamment classé deuxième du Tour des Alpes, derrière l’intraitable Romain Bardet. Lorsque l’on connaît le niveau des prestations du Français sur le Giro, ce résultat souligne parfaitement la force physique de l’Australien.
Aligné sur le Critérium du Dauphiné aux côtés de David Gaudu, ses prestations en montagne nous enseignerons plus sur son état de forme et ses chances de titiller les favoris en juillet. S’il retrouvait ses jambes de la Vuelta, où il terrassa notamment Pavel Sivakov, Jack Haig et Romain Bardet au Balcon d’Alicante, l’australien pourrait finalement émerger en tête de proue de son équipe. Le déroulement de l’ascension de La Planche des Belles Filles, premier test de taille pour les prétendants au classement général, constituera une réponse majeure à cette hypothèse.
Entre Pinot et Gaudu, aucune rivalité mais une vraie complémentarité
En conclusion, il serait erroné et trompeur de décrire une rivalité entre les deux têtes d’affiche de la Groupama-FDJ. Altruistes dans la vie comme sur le vélo, les deux hommes sauront s’aider mutuellement quand ils le pourront. Conscient que son niveau ne lui permet plus d’envisager les sommets de jadis, Thibaut Pinot aidera David Gaudu autant qu’il le pourra dans sa quête d’un glorieux classement général. Libéré de toute pression, le franc-comtois se fera même un plaisir de rendre au breton la monnaie de sa pièce, en souvenir de son dévouement sur le Tour 2019.
Toutefois, si les états de forme venaient à s’inverser, David Gaudu pourrait faire de même au sein d’une échappée, emmenant Thibaut Pinot vers un quatrième bouquet sur la Grande Boucle et les scènes de liesses qu’il suscitera. Ce scénario fut d’ailleurs esquissé au cours de l’édition 2020, où les deux champions s’adonnèrent aux échappés après la désillusion des Pyrénées. Malheureusement, leur panache ne fut jamais récompensé et leur méforme entraina l’abandon du breton et l’effacement du franc-comtois.
En début de saison, David Gaudu confiait au Télégramme qu’il ne « voyait pas comment la Groupama-FDJ pouvait partir avec deux leaders ». En fait, ce sera bien le cas. Mais les deux coureurs ne le seront pas pour les mêmes objectifs. David Gaudu sera leader pour le classement général, Thibaut Pinot pour les échappées. En se répartissant les chances de succès de leur formation, les deux hommes évitent ainsi de marcher sur leurs plates-bandes. Dans les montagnes de juillet, le maillot tricolore surgira à tous les échelons.