La naissance du Tour de France, il y a eu cent ans en 2003, fait partie intégrante des grands chantiers et défis du XXème siècle. A l’instar des « Grands Aventuriers » qui ont sillonné le globe de long en large et que les nouvelles technologies vont encore sublimer, le monde sportif, balbutiant en cette époque agitée, va s’ouvrir au renouveau des disciplines mythologiques ancestrales. L’exemple le plus notoire, car le plus emblématique de cette nouvelle réalité en marche, est le réveil, suite à des siècles d’hibernation, des prestigieux Jeux Olympiques. Le mouvement olympique mondialisé et remis aux goûts du jour par le baron Pierre de Coubertin va imprégner au sein d’une mouvance et d’une spirale irréversible, et va engendrer des émules. Cette manne providentielle encensera les imaginations les plus fertiles, les plus audacieuses. A l’orée du siècle dernier, le vélocipède, devenu bicyclette, est sur le point de subir une mutation à nulle autre pareille. Moyen de locomotion touchant toutes les couches sociales (facteurs, médecins, prêtres, ouvriers, notables…), ce nouvel artifice d’évolution et de déplacement est sur le point d’entraîner, pour ces précurseurs de l’Embellie sportive, une réflexion et une attention de tous les instants.
Profitant allègrement de l’énorme enthousiasme suscité par la renaissance des Jeux, la petite reine va s’engouffrer dans la brèche béante afin d’opérer sa mue. De moyen de transport lambda, la bicyclette va dorénavant se transformer puis, après moult tergiversations, s’épanouir en formidable objet de compétition. Partout en France, on peut voir alors éclore les premières épreuves, dont certaines sont encore bien réelles aujourd’hui. Toutes ces courses précaires, mais énormément prisées, souffraient néanmoins de leur brièveté. Celles-ci étaient régentées et administrées par un journal, L’Auto, qui avait à sa tête un fervent esthète des missions nouvelles et impossibles. Un jour de novembre 1902, un conciliabule eut lieu dans les locaux du quotidien entre le directeur, Henri Desgrange, et son chef de rubrique « cyclisme » le bien nommé Géo Lefèvre. Ce bref échange donna ceci : « aurais tu une idée ? » « Pourquoi pas un Tour de la France cycliste ! Une course de plusieurs jours, longue et plus dure que toutes celles qui existent déjà. Quelque chose comme les Six Jours, mais sur route ! »
Pourtant, il est à noter qu’à cette époque, L’Auto ne revendiquait aucunement le monopole de la bicyclette. Le journal Le Vélo, son grand rival, couvrait en effet pratiquement toutes les épreuves du calendrier. Affublé d’un tel paquetage, l’inénarrable Henri Desgrange fomentait sa revanche. Cette dernière s’avérera, par la suite, éclatante car légendaire. Effectivement, l’idée qui avait germé puis éclos dans le crâne de Géo Lefèvre devint, après maintes et maintes péripéties inhérentes à ce genre d’événement, réalité en apparaissant à la Une dans la rubrique vélo du quotidien L’Auto. Le Tour de France était né et ce même si toutes les conditions n’étaient pas encore réunies afin que la grande caravane s’ébranle sur les routes de France et de Navarre. Les grandes lignes trônaient toutefois en bonne place dans le journal et résumaient assez bien à quoi ressemblerait la future plus grande épreuve cycliste planétaire.
L’épreuve se déroulerait sans l’assistance d’entraîneur et par addition des temps. Le lauréat de la course empocherait la coquette somme de 3000 francs. Le peloton serait scindé en deux catégories bien distinctes : la première représentée par les coureurs effectuant tout le parcours, qui seraient alors dignes de figurer au sein d’un classement général, la seconde comprendrait les partiels ou coureurs se contentant de participer aux étapes de leur choix. Il était stipulé, d’autre part, que l’épreuve serait estivale et se déroulerait du 1er au 19 juillet. Les six étapes du parcours se disputeraient sur deux jours pour un total de 2428 kilomètres. Il était enfin hautement recommandé aux participants de « vérifier les freins et veiller à ne pas faire trop de bruit lors de la traversée des villes ou villages, la nuit ». Chaque étape serait suivie d’une période de repos de plusieurs jours. L’idée avait germé, donc, puis mûrie. Le décor était planté, restait désormais à définir quand l’épreuve allait avoir lieu. Les contemporains de cette glorieuse époque n’eurent pas longtemps à patienter puisque le départ de la première édition du Tour de France fut décrété pour le 1er juillet 1903.
Michel Crepel