Si Tadej Pogacar tient solidement son sceptre, sa couronne pourrait bien trembler. Si la première semaine a été rude, elle fut plutôt à l’avantage de sa polyvalence. En plus, un peu de chance l’aida à garder son équilibre, le protégeant de la moindre mésaventure. Au jeu de la régularité, le slovène n’a pas d’égal. Puncheur le soir, grimpeur au matin et classicman l’après-midi, il était presque logique qu’il sorte la tête la première de cet enchaînement de pièges, tant il les survole.
Néanmoins, les assaillants ne sont pas bien du château doré qu’il s’est construit dès l’arrivée à Longwy. Son plus dangereux ennemi, Jonas Vingegaard, n’en est même qu’à quelques encablures. 39 secondes pour être exact. Formidable archer, le danois garde ainsi son rival à portée de tir, mis en confiance par son duel remporté l’an passé, au sommet du Ventoux. Quant à l’armée noire du Team INEOS-Grenadiers, elle rode également dans les environs. Ses deux généraux, le brave Geraint Thomas et le malin Simon Yates, ne pointent respectivement qu’à 1’17 et 1’25 du trône. La moindre révolte pourrait leur permettre de s’en emparer.
Surtout, bien qu’il soit un combattant hors pair, Tadej Pogacar a vu sa garde rapprochée se dégarnir brutalement. Si un assaut collectif survenait, son héroïsme serait véritablement mis à l’épreuve. Son piédestal chancelant, force et audace devront être maniés avec doigté et hardiesse, en sage héritier de la lignée de champions.
Tadej Pogacar seul contre tous
Le scénario du pire est en route
Ces derniers jours, Tadej Pogacar n’a avoué ne craindre qu’une chose : la reprise de la pandémie de COVID-19. Et ses peurs ont malheureusement eu raison de sa formation, torpillée par un cluster naissant. Avant même que la course ne s’entame, son garde du corps, l’intrépide Matteo Trentin, cédait sous le poids du virus. Son remplaçant, le suisse Marc Hirschi, n’eut ni les qualités adéquates, ni la forme suffisante, pour lui suppléer correctement. Et le Team UAE n’était pas encore au bout de ses peines.
Après sept jours de course, le rouleur Vegard Stake Laengen était forcé de plier bagages et retourner au foyer familial. La graine plantée, la plante du désastre commençait à germer. Un temps rassuré par la totale négativité des tests COVID pratiqués samedi soir par l’UCI, Tadej Pogacar apprît finalement ce matin la défection de George Bennett, touché à son tour par l’épidémie et coulé par le protocole. Et pour couronner le tout, son lieutenant personnel, l’intraitable Rafal Majka, fut également touché par la maladie. Heureux dans son malheur, le polonais reçu toutefois l’autorisation de poursuivre la compétition, grâce à la faiblesse de sa charge virale.
Tadej Pogacar esseulé
En tout et pour tout, Tadej Pogacar évite encore le pire, mais il s’en rapproche. Sa garde s’éparpille, son sceptre vacille. Rafal Majka risquant l’affaiblissement, le slovène peut compter sur les doigts d’une main les soldats valides qu’il lui reste. Le premier d’entre eux s’appelle naturellement Brandon McNulty, fidèle à son poste jusque-là sans pour autant éblouir son monde. Vient ensuite Marc Soler, dont l’irrégularité connaît pour l’instant plus d’abysses que de sommets. Reste finalement le dévoué Mikkel Bjerg, allergique à la haute-montagne. A la vue de l’état de ses troupes, le roi Tadej devra défendre lui-même le prestige du nom de Pogacar.
Chez INEOS et Jumbo-Visma, l’avantage du binôme
La situation est d’autant plus inquiétante pour Tadej Pogacar que ses adversaires se démultiplient. S’il aurait sagement pu marquer un rival, il devient nettement plus complexe de contrôler une horde d’ennemis. En effet, les formations Jumbo-Visma et INEOS-Grenadiers ne misent pas tout sur un leader unique, mais bien sur leurs binômes respectifs, doublant ainsi le nombre de cartes à jouer. Du côté néerlandais, Jonas Vingegaard et Primoz Roglic constituent les figures de proue d’un majestueux vaisseau. Du côté britannique, Geraint Thomas et Adam Yates manient avec expérience leur galion pirate. Et pour semer la pagaille, ils peuvent même compter sur le maintien dans le top 10 d’un troisième larron, le dénommé Tom Pidcock. Si le roi Pogacar a les atouts d’une reine, il n’est pas invincible face aux fous et tours adverses.
En outre, à l’inverse de son armée décimée, ses adversaires comptent toujours leurs pions au complet. Et quels pions ! Imaginez-vous que leur splendeur leur offrirait la place royale sur un échiquier moins fortuné. Ce déséquilibre des forces s’est d’ailleurs illustré à l’arrivée de l’étape de Châtel, où la station des Portes du Soleil fut soudainement envahie par une armada jaune et noire à l’arrivée du peloton. Quant au classement par équipes, il consacre également ces deux cylindrées, à contrario du Team UAE, déjà distancé. Ce déséquilibre constaté, le décor des batailles à venir est ainsi planté.
La stratégie de la tenaille
Dans les grandes manœuvres que les Teams INEOS-Grenadiers et Jumbo-Visma pourraient donc mener contre Tadej Pogacar, il s’agira alors de procéder méthodiquement aux travaux de destitution. Les gregaris, les branches, le manche de l’équipe, tiendront en leur bout leur binôme de leader. Dans la stratégie de l’équipe, chacun s’ajustera à l’action de l’autre, comme la mâchoire d’une pince répond à son alter-ego. Une fois saisie d’un Tadej Pogacar isolé de sa protection, il pourrait alors suffire de refermer l’appareil. Attaque de l’un, contre de l’autre, et tchac ! Voilà le slovène piégé, coincé dans les mailles du filet. Dès lors, déserté par sa troupe de visseuses, il devra se débrouiller avec son propre tournevis pour s’en sortir. A moins qu’il ne décide de frapper un grand coup de marteau sur le Tour de France…
En effet, Tadej Pogacar affirme quotidiennement son statut, en procédant à d’hallucinantes démonstrations de force. Durant ce diptyque alpestre, subsiste ainsi l’hypothèse d’une attaque précoce du prodige de Klanec, sur le modèle de l’étape du Grand Bornand lors de la précédente édition. En s’envolant dès le col de Rome, à plus de trente bornes du terme du tracé, le double vainqueur du Tour de France s’était immédiatement extrait de la meute, laissant ses adversaires se battre pour la place du « meilleur des autres ». Si, demain dans le Granon ou jeudi à l’Alpe d’Huez, la sélection se dénuait de stratégie et ne se constituait que de force, les armadas rivales se heurteront sûrement aux remparts de talent du petit prince de la Grande Boucle. Dès lors, Galibier et Croix de Fer doivent impérativement servir de rampes de lancement aux roquettes discordantes.
La chaleur, talon d’Achille de Tadej Pogacar ?
La température étouffante régnant sur la France de juillet aura sûrement son mot à dire dans cet affrontement au sommet. En effet, dès 25°C, les performances des coureurs sont altérées. A ce titre, il est aisément imaginable qu’avec un mercure dépassant le niveau 40°C, un taux d’humidité dans l’air élevé et la lenteur d’une ascension limitant l’évaporation de la sueur, toutes les conditions sont réunies pour favoriser les situations d’hyperthermie d’effort.
Les défaillances sont naturellement catalysées, et Tadej Pogacar n’échappe pas à cet effet. « Avant le départ du Tour, il y avait une seule chose qui me faisait vraiment peur, c’était… la chaleur… Je ne suis pas toujours très à l’aise avec elle« , avait-il avoué l’an dernier lors de la journée de repos à Andorre, quelques jours après avoir lâché du lest sur Jonas Vingegaard dans l’ascension du Mont Ventoux. Or, le danois a fait des progrès ébouriffants au cours de l’année passée, au point d’emboîter le pas du slovène à chacune de ses accélérations.
Néanmoins, réchauffement climatique oblige, Tadej Pogacar s’est un peu penché sur la question ces derniers mois. « Lorsque je me suis entraîné en Slovénie en juin, il faisait très chaud. Je sais à quoi m’attendre, la chaleur ne m’effraie pas », confiait-il ce lundi à la presse. Mais ce travail sera-t-il suffisant dans le Galibier, où 21°C sont annoncés au sommet, en dépit des 2642 mètres d’altitude le séparant du niveau de la mer ? Plus que toute stratégie collective, ce facteur pourrait prendre une dimension déterminante. Fera-t-il du vainqueur du Tour de France le diable d’une fournaise infernale ? Réponse ces jours-ci !