Roglic en costaud
Il était l’immense favori de cette Vuelta. Il en est aujourd’hui son leader. Et comment ! Frappant d’entrée en remportant le prologue de Burgos, Primoz Roglic s’est paré de rouge dès le premier soir. Depuis, s’il a quelque temps prêté sa tunique à l’estonien Rein Taaramäe puis au français Kenny Elissonde, il n’a cessé de consolider son trône. En une semaine de course, deux étapes de montagne et trois arrivées au sommet, le slovène a fait exploser l’armada INEOS. Débarrassé de la menace Carapaz dès l’ascension du Picon Blanco, lundi dernier, il s’est ensuite appliqué à mettre à distance Egan Bernal et Adam Yates, aujourd’hui relégués à environ deux minutes au classement général. Mieux, il s’est montré intraitable, presque infaillible. Grattant quelques secondes par-ci, quelques secondes par-là, il a affirmé son autorité, se sortant systématiquement des pièges tendus par la formation britannique. Sa prestation sur la route de l’Alto de Velefique, au cours de la 9e étape, en est l’exemple le plus parlant. Esseulé sous l’impulsion du train des Grenadiers, encerclé par ses rivaux, le double vainqueur de l’épreuve a affiché une sérénité impressionnante. Sûr de sa force, il profita même d’une escarmouche d’Enric Mas pour fausser compagnie au reste de ses adversaires, accroître son avance et remporter une victoire symbolique. Si l’espagnol le talonne encore au général (+28s), la présence du chrono de Saint-Jacques-de-Compostelle sur le parcours crée un écart virtuel bien plus ample. Primoz Roglic est bien assis dans son fauteuil, et il sera difficile de l’y déloger.Le train INEOS n’a jamais fait vaciller Primoz Roglic | © cxcling
Movistar plutôt qu’INEOS
Et si un tel renversement venait à se produire, les rebelles locaux semblent plus à-même de le mener que la british army. Bien disciplinée dans le courant des étapes, celle-ci manque de héros pour parachever le travail de leurs vaillants soldats. Au classement général, les lieutenants Sivakov, Carapaz et Pidcock ont rapidement été mis à pied, et les généraux Bernal et Yates perdent du terrain. Venue en armada, la Team INEOS ne fait plus peur, d’autant plus que son leader colombien a montré d’inquiétants signes de fatigue dans l’ascension de l’Alto de Velefique ce dimanche, incapable de suivre le tempo imprimé par Adam Yates. Voilà donc le britannique propulsé en chef de file de sa formation, alors qu’il n’a pas non plus eu l’air impérial. Enchaînant les pertes de temps sur des étapes anodines, le natif de Bury s’est éloigné du podium. Relégué à deux minutes de Primoz Roglic au classement général, il n’a plus qu’à espérer que le vent de la fraîcheur souffle de son côté, lui qui prépare cette Vuelta depuis le printemps.
C’est donc surtout par l’intermédiaire de la Movistar que la menace persiste. Souvent décevante ces derniers temps et dépouillée de Richard Carapaz l’hiver dernier, la formation espagnole rebondit grâce à « Superman » Lopez et son héros local, le majorquin Enric Mas. Combatifs et offensifs, les deux hommes ont l’âme et les jambes d’instigateurs de la révolution espagnole, tant ils paraissent à leur aise sur les monts hispaniques. Occupant les deuxième et troisième places du classement général, à 28 secondes pour Mas et 1:21 pour Lopez, ils pourront user de leur force collective pour tenter de déstabiliser Primoz Roglic. Grâce à eux, les deux prochaines semaines promettent d’être hautes en couleurs.Si Alejandro Valverde a malheureusement dû quitter la course sur chute, la Movistar peut toujours compter sur Miguel Angel Lopez et Enric Mas pour attaquer Primoz Roglic | © Photogomezsport
Jakobsen vs Philispen
Fabio Jakobsen 2 – 2 Jasper Philipsen. Tel est le score actuel du combat opposant ces deux monstres du sprint, s’échangeant les bouquets à tour de rôle. Jouissant tous deux de trains vigoureux et dévoués, ils sont les principaux habitués des emballages finaux, où ils peuvent exprimer toute leur puissance, en tête d’une meute affamée.
Leur faculté à gagner d’inscrit donc dans la lignée d’un travail collectif mené par les formations Alpecin-Fenix et Deceuninck Quick-Step, les dégageant d’une masse où restent enfermés nombre de leurs concurrents, à l’instar d’Arnaud Démare. Omniprésents dans les derniers kilomètres, les trains bleus et gris se mènent une rageuse lutte au placement, avec pour mission de lâcher leur fusée en première position. Et une fois mis en orbite, celles-ci ont fait parler la poudre. Et elles auront de nouvelles occasions de le faire en deuxième semaine.Philipsen – Jakobsen : le duel des sprinteurs de cette 75e édition de la Vuelta | © RTVE
Chou blanc tricolore
Du côté français, le succès est moins au rendez-vous. Hormis la journée en rouge de Kenny Elissonde, les supporters bleus ont eu bien peu de motifs de satisfaction. Démare coincé, Bardet à terre, Martin fatigué… les désillusions furent fréquentes.
Tout d’abord, très attendu sur cette Vuelta après sa mise hors délai au Tour, le coureur de la Groupama-FDJ a multiplié les erreurs dans ses sprints, entre incompréhensions avec son poisson-pilote et mauvais jugements. En délicatesse dans les trois derniers kilomètres, il a ainsi laissé filer ses adversaires belge et néerlandais vers les sommets du classement par points, perdant par la même occasion quatre possibilités de devenir le 11e français vainqueur d’étapes sur les trois Grands Tours. Des réajustements sont obligatoires pour espérer mieux.
En outre, intenable sur les pentes du Picon Blanco lors du Tour de Burgos, dont il avait remporté la troisième étape, Romain Bardet avait formulé de belles promesses pour la deuxième Vuelta de sa carrière. Et son excellent prologue semblait même entériner la disparition de ses maux de dos. Une violente cabriole sur la 5e étape a bien vite mis fin à tous ces espoirs. Eliminé au classement général, touché dans sa chair, le brivadois a logiquement revu ses ambitions à la baisse. Désormais, objectif victoire d’étape.Romain Bardet a terminé très amoché et attardé la 5e étape | © Team DSM
Enfin, c’est un Guillaume Martin bien discret qui parcourt les routes espagnoles. Anecdotique meilleur français au classement général (20e), le normand semble encore émoussé par le Tour, et peine à tenir les roues dès le pied des montées finales. On espère le voir davantage à l’offensive en cette seconde partie d’épreuve, plus favorable aux échappées.
Par Jean-Guillaume Langrognet