Val di Sole, l’évènement fondateur
Le 12 décembre 2021, le cyclo-cross est entré dans une nouvelle ère. Après le sable, la boue ou encore le gravier, le voici désormais s’essayer à la neige. A Val di Sole, charmante vallée du Trentin, placée sur la carte du cyclisme par ses manches de VTT, le cyclo-cross a pénétré au plus profond de son âme de sport d’hiver. Si le test de Villars, en Suisse, avait été annulé en 2020 en raison de la pandémie de COVID-19, le grand saut a bien pu avoir lieu un an plus tard. Avant de se jeter à l’eau (glacée), Tom Pidcock avouait « ne pas trop savoir à quoi s’attendre », tant cette course sur neige présentait un caractère inédit à l’ensemble du peloton. Wout Van Aert, triple champion de la discipline, évoquait même une certaine appréhension à l’égard de ce nouveau terrain de jeu.
Le parcours n’était pas non plus à même de réduire les peurs. Avec une première partie très technique, puis une seconde présentant une montée extrêmement pentue, rester sur son vélo apparaissait encore plus dur qu’ailleurs. D’ailleurs, Wout Van Aert, facile vainqueur de la manche, n’a pas échappé au tapis. Chez les femmes, Marianne Vos a même perdu le bouquet à cause d’une faute dans le final. Mais si les maladresses ont été nombreuses, le cliché le plus répandu de l’évènement reste ce mur blanc présenté aux concurrents, s’échinant à le gravir. Par conséquent, le circuit de Val di Sole semble, à bien des égards, concentrer les difficultés du cyclo-cross en un seul parcours, entre particulière précarité de l’équilibre et monstrueuses exigences physiques.
Le fameux mur blanc de Val di Solde | © UCI
Pourtant, ce lieu n’a d’extraordinaire que son cadre : la montagne. Ainsi, il est parfaitement envisageable d’étendre ce genre d’organisations à la plupart des stations d’altitude. En diversifiant ces manches, le cyclo-cross pourrait donc se conjuguer régulièrement avec des paysages enneigés. Sport hivernal, il poursuivrait ainsi son aventure hors des sous-bois, dans des conditions tout à fait caractéristiques à la saison. En outre, il est dans la nature du cyclo-cross de mesurer la bicyclette à toutes sortes d’obstacles et de revêtements.
Les mondiaux d’Ostende, en 2020, empruntant une portion de sable mouillé, avaient suscité un phénoménal succès parmi les téléspectateurs. En décembre dernier, la manche de Val di Sole a rassemblé un public d’une ampleur rarement vue dans la région, selon les mots de Tomas Van den Spiegel, directeur général de Flanders Classics, qui gère la Coupe du monde de cyclo-cross. En fait, il est clair que le cyclo-cross n’est jamais aussi séduisant que lorsqu’il fascine et impressionne.
La perspective des JO s’illumine
Sport en plein élan de médiatisation, le cyclo-cross verrait bien s’ouvrir les portes des Jeux Olympiques, Graal ultime de la renommée. L’évènement le plus regardé du monde bouleverserait évidemment la discipline, l’envoyant sur tous les écrans du monde. Si de tels faits de manqueraient pas de faire naître moultes ardeurs de néo-pratiquants, il catalyserait également la croissance financière du cyclo-cross, encore trop bridée par la plupart des fédérations. « Si le cyclo-cross devenait olympique, cela changerait tout, assure à Wielerflits Thomas van der Spiegel.
Les fédérations nationales se mettraient enfin à investir. Regardez par exemple les budgets consacrés au cyclisme sur piste en Angleterre… Aujourd’hui, le cyclo-cross est maltraité. C’est simple : sans possibilité de médaille olympique, pas d’argent. ». En France, notamment, en pourrait enfin espérer plus de la Fédération Française de Cyclisme, qui n’accorde aujourd’hui qu’un budget restreint à sa branche pauvre, tout juste suffisant pour envoyer deux coureurs par catégorie aux championnats du monde, là où les Belges en comptent 8.
Le circuit de Val di Sole s’inscrit parfaitement dans un paysage de montagne
Ce besoin de renommée du cyclo-cross pourrait ainsi rejoindre l’appétence du CIO pour les sports « jeunes », afin d’attirer une sociologie différente de public. Après l’introduction du surf et du skate aux Jeux Olympiques d’été 2020, ou du slopestyle aux Jeux Olympiques de Sotchi en 2014, cette discipline ne manquerait pas d’aiguiser l’intérêt de nouvelles franges de la population. Avec des stars internationales comme Mathieu Van der Poel, Wout Van Aert ou Tom Pidcock, et avec son format de course court et intense, le cyclo-cross fait ainsi partie des sports que Thomas Bach, président du CIO, considère susceptibles d’amener « un vent de fraîcheur » à l’olympisme. De quoi ringardiser Pierre de Coubertin.
Mais son avenir reste sombre
Néanmoins, la situation n’est pas propice à l’enthousiasme à ce sujet, du moins à l’horizon des prochaines années. Une première raison est simplement calendaire : pour être consacré discipline olympique, un sport doit d’abord faire son entrée en « démonstration ». Et cette promotion n’est même pas systématique : le cas du karaté, non retenu aux JO de Paris, l’illustre bien. Or, les sports additionnels des Jeux d’hiver de Milan – Cortina 2026 ont d’ores et déjà été annoncé, et le cyclo-cross n’en fait malheureusement pas partie. Il lui faudra donc attendre, au mieux, l’échéance de 2030 pour voir le cyclisme y faire son entrée. Mathieu Van der Poel aura alors 35 ans, Marianne Vos 42.
Marianne Vos à Val di Sole en décembre 2021 | © UCI
Mais il y a un second hic. Et un hic de taille. La charte olympique indique sans détour (règle 6.2) que « seuls les sports qui se pratiquent sur la neige ou la glace sont considérés comme des sports d’hiver ». En 2017, la Fédération internationale de ski avait même précisé ce point de règlement, en déclarant que les JO d’hiver devaient être exclusivement réservés aux sports dont « l’ADN est sur / avec la neige et la glace », excluant de fait l’hypothèse d’une intégration du ski à roulette ou du ski sur herbe à l’évènement. Cet élément ennuyeux a même incité World Athletics (Fédération Mondiale d’Athlétisme) à abandonner l’idée d’une épreuve de cross-country aux JO d’hiver, focalisant désormais ses efforts sur son pendant estival.
Il serait mensonger de considérer que le cross-country est une discipline sur neige par essence, à moins de convertir l’ensemble des manches à la poudreuse, ce qui ne serait absolument pas souhaitable. Toutefois, sa parfaite compatibilité avec la neige lui octroie un atout de taille face aux disciplines citées précédemment. Le cyclo-cross n’a pas besoin de descendre des stations pour prendre place. S’il faudrait un coup de pouce du CIO pour voir, un jour, un champion olympique de cyclo-cross recevoir sa médaille d’or, l’institution fondée par Pierre de Coubertin aurait donc matière à le faire. Il a d’ailleurs ouvert la porte dans ce sens à l’occasion des Jeux Olympiques d’hiver de la Jeunesse 2020, en incluant une épreuve de volley-ball sur neige, dont un circuit mondial avait été lancé un an plus tôt.
Le cyclo cross peut désormais se disputer sur neige | © UCI
Au musée olympique de Lausanne, trônent fièrement moultes accessoires racontant l’histoire du sport à travers l’équipement. Bobsleighs, skis et ballons s’y entremêlent d’une manière fascinante. On espère qu’à l’avenir, on pourra admirer un vélo de cyclo-cross dans leur lignée.
Par Jean-Guillaume Langrognet