Professionnel entre 1999 et 2006, 3ème du Tour de Suisse 2002, Nicolas Fritsch est aujourd’hui conseiller auprès de l’agent Clément Gourdin. Tous les quinze jours, il nous apporte son point de vue sur l’actualité cycliste.
« Rassurez-vous, nous n’allons pas ressortir les habituels clichés au sujet de Rio, où les favelas côtoient les villas luxuriantes et les montagnes l’une des plages les plus célèbres du monde. Non, nous allons nous concentrer sur ce qui nous intéresse ici : le cyclisme. Quel contraste, donc, entre l’ennui qui aura caractérisé le dernier Tour de France, et l’enthousiasme suscité par l’épreuve sur route des JO !
Cette course fut pour nous une mise en pratique immédiate des théories savantes qui ont animé le Tour. Nous avions en effet évoqué les différentes mesures à envisager pour apporter une touche plus spectaculaire à la Grande Boucle, notamment au niveau du parcours et du nombre de coureurs par équipe.
Sur ce dernier point, le contraste était saisissant, puisque nous sommes passés de neuf coureurs par équipe sur le Tour de France à quatre ou cinq pour les meilleures nations (quatre pour la France) sur les Jeux Olympiques. La notion de course d’équipe n’a alors évidemment plus la même dimension, et en lieu et place de trains lénifiants nous avons très vite assisté à ce que l’on aime : des attaques de leaders isolés ou évoluant en duo, bref… à une bagarre entre costauds ! Et si l’issue de la course a longtemps semblé incertaine, les écarts à l’arrivée sont impressionnants et témoignent de l’intensité de l’épreuve. Ainsi, Chris Froome, au terme d’un sprint fou, termine à une belle 12ème place mais à déjà 2’58 ». Quant au duo Vuillermoz- Bardet, 23ème et 24ème, et donc pas si loin finalement, il échoue tout de même à 6’12 » de Greg Van Avermaet !
Cette explosion finale est due au rapide isolement des coureurs qui a entraîné un jeu d’attaques et de contre-attaques, et cela vient corroborer mes propos post-Tour de France au sujet des trains que beaucoup peuvent suivre, alors même que ce sont les attaques qui peuvent créer le désordre. Et une petite attaque en haut d’un col pour une simple bonification peut ainsi potentiellement provoquer des dégâts considérables au final. Il apparaît donc évident que cette mesure de restriction des effectifs est à prendre en considération rapidement, sans tomber, évidemment, dans une telle extrémité : on ne part pas pour trois semaines et 3500 kilomètres comme on part pour une journée de 237 kilomètres !
J’évoquais également le parcours comme point d’amélioration, et là aussi la course olympique a apporté une confirmation : il ne faut pas exagérer et concentrer les difficultés mais au contraire les doser et les répartir. Concentrer fait peur et freine les ardeurs, répartir rend entreprenant les coureurs tout en usant insidieusement leurs organismes : »allons-y, on verra bien ! » Et on voit bien à la fin qu’il y en a partout !
L’exagération a tout de même été frôlée à Rio en raison d’une descente un peu trop spectaculaire, et donc dangereuse, jouant au final un rôle majeur dans la course au titre, chez les hommes comme chez les femmes malheureusement. Comme l’a dit Richie Porte, l’une de ses victimes, ce sont aussi les coureurs qui rendent une descente périlleuse ou non : il suffit d’aller moins vite pour prendre moins de risques ! Mais il s’agit là des Jeux olympiques et d’une possible médaille d’or. Vincenzo Nibali, y voyant une parfaite opportunité pour que ses talents de funambule soient récompensés, a pris des risques. Et s’ils se sont avérés payants la première fois pour revenir sur la tête de course, ils lui ont rappelé que nul n’est infaillible lors de la dernière descente, entraînant Sergio Henao dans ses malheurs.
Il faut toutefois signaler que si de nombreux os se sont brisés dans cette descente, c’est en partie dû aux caractéristiques de trottoirs plus adaptés aux pluies diluviennes qui s’abattent parfois dans ces régions qu’à des courses cyclistes : ils sont faits pour que l’eau s’écoule, pas pour que des acrobates les frôlent au risque de les toucher à plus de 60 km/h. Attention donc à ne pas tomber dans la démesure, et si les difficultés, dont les descentes, doivent servir la course, ce ne doit pas être au détriment de la sécurité et de l’intégrité physique des coureurs.
Pavés, vent, côtes raides, côtes longues, et donc descentes, les Jeux ont donné lieu à une véritable course d’obstacles dont seul un coureur nécessairement complet pouvait sortir vainqueur, et pas un « simple » grimpeur.
Car c’était là un des intérêts de cette épreuve : elle était ouverte, le terrain de bataille idéal entre, d’un côté, les coureurs à étapes et, de l’autre, les chasseurs de classiques. Et si c’est l’un de ces derniers qui l’a emporté, ce n’est évidemment pas le fruit du hasard. Ils sont de la race des vainqueurs, de ceux qui savent gagner tout en étant parfois moins forts. Ce sont des « coursiers », tout simplement.
C’est là un point qui me semble essentiel : il faut entretenir cette culture de la gagne. Elle se perd bien souvent lors du passage chez les professionnels, car la marche est pour beaucoup trop haute entre le monde amateur et l’impitoyable WorldTour. Mais elle se perd encore plus chez nous en raison d’un Tour de France qui nous aveugle et nous formate dans notre quête du successeur de Bernard Hinault. Il a ainsi fallu des années à un Sylvain Chavanel pour enfin trouver sa voie et se libérer pleinement : non, ce n’était pas un coureur capable de jouer le podium sur un Grand Tour en gérant ses efforts, mais oui il reste un magnifique champion plein de panache et capable de gagner des classiques et des étapes, et c’est déjà très bien !
Soyons toutefois rassurés, des Romain Bardet et des Julian Alaphilippe, coureurs de classiques et de course à étapes, ont su sortir de ce carcan et vont assurément montrer la voie à ceux qui arrivent : celle du panache et de la gagne, partout et tout le temps ! »