La différence entre Dan Craven (Namibie) et Christopher Froome (Grande-Bretagne), respectivement premier et dernier à se présenter au départ, était flagrante. Certes il y a trois Tours de France d’écart et Froome n’a pas de barbe. Mais ce qui attirait l’œil était la différence de vélo entre l’ancien coureur d’Europcar, parti sur un vélo classique qu’il a dû utiliser samedi pour la course en ligne, et celui du Britannique, un Pinarello prévu uniquement pour l’effort solitaire qui a dû passer plus d’heures en soufflerie que la soufflerie elle-même. Autant dire que l’esprit olympique était au rendez-vous. De là à dire que le plus important était de participer ? Pas si sûr. Un peu comme en athlétisme, deux séries étaient prévues pour que les coureurs ne s’encombrent pas sur les deux tours de circuit à réaliser. Deux types de coureurs étaient également présents. Ceux qui étaient venus faire le contre-la-montre à fond, avec ou non un objectif de médaille, et ceux qui ont pris cela comme un devoir national ou une séance d’entraînement à haute intensité. Il est vrai qu’une partie des participants n’est pas spécialiste de l’épreuve et qu’ils n’avaient aucune chance d’espérer un podium. Mais c’est aussi cela le charme de l’olympisme, une course à deux vitesses.
Une course au sein de laquelle les Français engagés, Alexis Vuillermoz et Julian Alaphilippe, n’auront jamais pu faire illusion. Un clan tricolore du contre-la-montre orphelin de Thibaut Pinot, seule réelle chance de médaille sur la discipline – sans oublier le médaillé de bronze des Mondiaux de Richmond et retraité à la fin de la semaine Jérôme Coppel – qui sera finalement présent avec deux de ses coureurs au départ mais n’aura pas le loisir de faire trembler quiconque. Surtout pas un Helvète prêt à s’envoler vers d’autres horizons dans quelques semaines.
Fabian Cancellara (Suisse) avait annoncé à la fin de la saison dernière que l’année 2016 sera sa dernière dans les pelotons professionnels. Dans le même temps, il avait précisé que les Jeux de Rio ne l’intéressaient pas et qu’il ne se voyait pas être du voyage. Ce soir, le Suisse doit se ravir d’avoir changé d’avis. Personne ne l’attendait sur la plus haute march et les observateurs le voyaient concourir histoire de faire un ultime baroud d’honneur, un dernier long chrono qu’il aime tant et qui lui a valu une longue hégémonie sur la spécialité. Qu’ils sont loin pourtant ses quatre titres de champion du monde, acquis de 2006 à 2010. Huit ans déjà ont passé depuis son titre olympique de Pékin. Sa dernière victoire dans un contre-la-montre de plus de quarante kilomètres au niveau international remontait à presque six ans et son dernier titre de champion du monde. Autant dire qu’il était loin d’être favori dans un exercice où petit à petit il a laissé ses adversaires s’immiscer dans son royaume chronométré.
Tony Martin (Allemagne) est de ceux-là. Il avait détrôné Spartacus pour devenir triple champion du monde à sa suite. Mais aujourd’hui l’Allemand était dans un de ces jours où les jambes ne répondent pas et même en mettant du braquet – et Martin à l’habitude des gros braquets – il lui était impossible d’avancer à sa vitesse habituelle. Le parcours escarpé ne l’avantageait pas et ses places de cinquième au premier pointage intermédiaire et de dixième à la mi-course lui ont vite fait comprendre qu’il faudrait revenir dans quatre ans pour une nouvelle médaille. Il termine douzième à plus de trois minutes du vainqueur. Une des personnes amenée à régner ces prochaines années sur la discipline se nomme Tom Dumoulin (Pays-Bas). Bien qu’il court encore après un titre de champion du monde, le coureur de 25 ans faisait parti des favoris, lui qui apprécie les tracés vallonnés. Régulier dans son effort, le Néerlandais échoue une fois de plus dans une grande compétition et prend la médaille d’argent.
Une médaille d’argent qui aurait très bien pu revenir à Rohan Dennis (Australie) si le premier maillot jaune du Tour 2015 n’avait pas brisé son guidon. Obligé de changer de vélo, il vient échouer à 23 secondes de la deuxième place mais surtout à 8 secondes de la troisième. Beaucoup moins que la perte de temps occasionnée par son incident mécanique. Ce fait de course profite à Christopher Froome qui prend la médaille de bronze. La victoire était son grand objectif de la saison à la suite d’un Tour de France pleinement réussi mais le Britannique montre à Rio qu’il ne peut pas tout maîtriser au point de gagner à chaque fois. Relativement prudent dans les descentes où la pluie est venue tremper certains virages, la route tantôt sèche tantôt mouillée ne l’a pas avantagé et le natif de Nairobi n’a jamais été dans la course. D’abord 7ème au premier pointage, il grappille quelques places pour atterrir sur la troisième marche du podium. Comme il y a quatre ans à Londres.
C’est à ce premier pointage que Cancellara a montré à tout le monde qu’il s’apprêtait à faire quelque chose de grand. En tête après dix kilomètres, on le pense bien parti quand on s’aperçoit qu’il a rétrogradé au classement un quart d’heure plus tard, 4ème et déjà plus de 20 secondes à combler. Le Suisse est parti trop fort c’est sûr. Mais dans le deuxième tour de circuit le Bernois remet les pendules à l’heure et reprend la tête pour ne plus la lâcher. Il augmentera même son avance pour repousser Tom Dumoulin à 47 secondes sur la ligne. Ses larmes après l’arrivée en disent long sur son émotion et sur la grandeur de ce cadeau de départ qu’il s’est offert. Comme pour montrer à cette génération avec qui il s’est si souvent battu lorsqu’il se présentait sur la rampe de lancement que la place est libre. Mais qu’une dernière fois il allait mettre une médaille à son coup. Pour ponctuer d’or un palmarès qui n’en avait pas besoin.
Classement :
1. Fabian Cancellara (Suisse) les 54,6 km en 1h12’15 (45,3 km/h)
2. Tom Dumoulin (Pays-Bas) à 47 sec.
3. Christopher Froome (Grande-Bretagne) à 1’02 »
4. Jonathan Castroviejo (Espagne) à 1’06 »
5. Rohan Dennis (Australie) à 1’10 »
6. Maciej Bodnar (Pologne) à 1’50 »
7. Nelson Oliveira (Portugal) à 2’00 »
8. Ion Izaguirre (Espagne) à 2’06 »
9. Geraint Thomas (Grand-Bretagne) à 2’37 »
10. Primoz Roglic (Slovénie) 2’40 »