Dans la bonne bordure sur la route de Bellegarde

Dès la première étape, il fallait être dans le coup : abandonner la queue de peloton pour jouer des coudes devant. Facile à dire, mais beaucoup moins évident à faire. Demandez à Thibaut Pinot : victime d’une chute à 70 bornes de l’arrivée, le franc-comtois venait à peine de réintégrer le peloton quand de violentes bourrasques latérales l’ont scindé. Comme à Agen trois ans plus tôt, le natif de Melisey était piégé, mine des mauvais jours avec de bonnes jambes, équipiers à la planche. Il y a trois ans, Benjamin Thomas se serait collé sans broncher à cette poursuite effrénée, en qualité de loyal gregario de Pinot. Cette année, vêtu de la tunique blanche et rouge de la Cofidis, il claironnait dans la première moitié, côtoyait les Carapaz (INEOS-Grenadiers) et Pedersen (Trek-Segafredo). Mieux, il attaquait !

Benjamin Thomas a fait partie de la première bordure sur la 1ere étapeBenjamin Thomas a fait partie de la première bordure sur la 1ere étape | © Team Cofidis

Finalement, sur les pourcentages de la courte côte de la Tour (500m à 10%), il arrachait une 8e place, et grapillait déjà de précieuses secondes sur ses futurs adversaires au classement général : 11 secondes à Pierre Latour, 41 secondes à Tobias Johannessen (Uno-X). Sa prestation du GP la Marseillaise n’était pas qu’une illusion, le natif de Lavaur était réellement en condition.

 

Parmi les costauds à Rousson

Encore fallait-il confirmer. Pas de problème pour Benjamin Thomas, qui a su faire parler sa régularité. Dans une arrivée en bosse un peu plus corsée que la précédente (1,6km à 6,3% de moyenne), le tarnais s’est accroché aux roues des meilleurs pour conclure sa journée en sixième position. Dans un sprint long emmené de bon train par Mads Pedersen et son coéquipier Bryan Coquard, il a su gérer l’intensité de l’effort pour ne pas craquer. Dans l’ombre du « Coq », vainqueur d’étape après un an et demi de disette, le voilà hissé à la 4e place du classement général.

Coéquipier de Benjamin Thomas à la Cofidis, Bryan Coquard brisait sa série noire pour remporter brillamment la 2e étapeCoéquipier de Benjamin Thomas à la Cofidis, Bryan Coquard brisait sa série noire pour remporter brillamment la 2e étape | © Etoile de Bessèges

 

En démonstration vers Bessèges

Jusque-là, Benjamin Thomas avait tout bien fait pour ne pas perdre le classement général, alors que tant d’autres avaient déjà failli à la tâche. Mais en ce vendredi 4 février, il a véritablement posé les jalons pour l’emporter. Résistant au train d’enfer imposé dans le col de Trélis par de multiples attaquants, Benjamin Thomas suce les roues des meilleurs, et se porte même en tête d’un peloton décomposé à l’amorce de la descente. A 10 kilomètres du terme de la journée, le français enclenche et se lance. En parfait pilote et pur pistard, il glisse dans les courbes d’une route humide, étirant le groupe des survivants jusqu’à ce qu’il ne cède définitivement. Une violente chute de Richard Carapaz le débarrasse la plupart de ses adversaires. Puis un monstrueux relais le décharge de Quentin Pacher (Groupama-FDJ), explosé en chasse-patate.

Pour la victoire comme pour le général, ils n’étaient plus que 3 : Alberto Bettiol (EF Education EasyPost), Tobias Johannessen et lui. Un Tour de Flandres et un Tour de l’Avenir s’opposaient ainsi aux quatre titres mondiaux de piste du Tarnais. Et c’est en spécialiste de l’américaine qu’il a gagné. A l’amorce d’un faux plat montant, Benjamin Thomas perd volontairement quelques mètres sur ses relayeurs, avant de prendre suffisamment de vitesse pour les laisser cloués sur la chaussée. Le norvégien tente de réagir, décrochant l’italien, mais plafonne à 50 mètres du français. Voilà ce dernier libéré. Libéré de ces poids dans sa roue. Libéré de la frustration d’une saison passée en deçà de ses objectifs. A Bellegarde, Benjamin Thomas gagne et renaît. Outre ses deux titres de champion de France, son dernier succès sur une course en ligne remontait à 2017, sur le Tour de Wallonie. A l’époque, il courrait encore pour l’Armée de Terre. D’espoir à leader, la boucle est bouclée, la parenthèse Groupama-FDJ est définitivement fermée.

Benjamin Thomas, magistral vainqueur en solitaire à BessègesBenjamin Thomas, magistral vainqueur en solitaire à Bessèges | © Etoile de Bessèges

 

Résistant au Mont Bouquet

Détenteur du maillot corail de leader, Benjamin Thomas allait désormais devoir résister pour le garder. Le Mont Bouquet, ses 4,6km à 9% de moyenne se dressait sur la route de son succès. Alberto Bettiol, Pierre Latour (TotalEnergies) ou encore Tobias Johannessen comptaient bien le chevaucher pour s’en emparer. Etape reine de l’épreuve, cette course de côte faisait figure de juge de paix du classement général. D’importants écarts pouvaient y être creusés, du fait des forts pourcentages proposés. Plus la phase de l’offensive était retardée, moins ils seraient conséquents.

Cette analyse composait certainement le briefing du Team Cofidis ce samedi matin. Et fut appliqué à la lettre par Rémi Rochas, décidément accoutumé au rôle de lieutenant. D’un tempo linéaire et prolongé, le savoyard permettait à Benjamin Thomas de se rapprocher mètre après mètre du sommet sans se faire attaquer. Et lorsque l’heure de l’attaque a sonné, il s’est accroché. Lissant son rythme, le tarnais a gardé le contact d’un groupe de poursuivants, au sein duquel figurait notamment Alberto Bettiol, tandis que Tobias Johannessen, parti devant avec Jay Vine et Antonio Toberi (Trek Segafredo), peinait à creuser.

Rémi Rochas s'est mué en ange gardien de Benjamin Thomas dans le Mont BouquetRémi Rochas s’est mué en ange gardien de Benjamin Thomas dans le Mont Bouquet | © Team Cofidis

Si le norvégien a glané le bouquet de la journée, Benjamin Thomas l’a privé du coup double. Tenace, le français n’a franchi la ligne d’arrivée qu’une vingtaine de secondes plus tard. Au classement général, il tenait bon au sommet. Le pire était passé.

 

Gladiateur d’Alès

Restait encore à survivre au traditionnel contre-la-montre final. Revêtu du maillot de champion du monde de l’exercice, Benjamin Thomas s’en est chargé avec bravoure. S’il pouvait être inquiété par Alberto Bettiol, vainqueur en 2019 au même endroit, le coureur de la Cofidis a finalement surclassé le transalpin. 3e du jour à 10 petites secondes de l’imbattable Filippo Ganna (INEOS Grenadiers), il confortait définitivement son avantage au classement général, pour ravir la première course par étape de sa carrière.

Affalé sur le sol de la forteresse de l’Ermitage d’Alès, bouche grande ouverte, bave dégoulinante, le natif de Lavaur saisissait peu à peu l’ampleur de sa performance, laissant un sourire d’ange remplacer un masque de souffrance. Fort d’un quatrième top 10 en 5 étapes, Benjamin Thomas s’est retrouvé. Avec une telle forme, la Primavera et le Tour toquent déjà à sa porte.

Benjamin Thomas, vainqueur final de l'Etoile de Bessèges 2022 !Benjamin Thomas, vainqueur final de l’Etoile de Bessèges 2022 ! | © Team Cofidis

Par Jean-Guillaume Langrognet