Nous avions abandonné Bernard Lecoanet courant octobre 2010 à ses doutes, ses plaies, ses frayeurs mais aussi à son immense, incommensurable bonheur, à sa non moins pétillante fierté d’avoir amadoué puis dompté les 600 bornes d’un abominable monstrueux Bordeaux-Paris au sein de l’élite professionnelle. Les faits s’étaient déroulés au printemps 1987 et notre irréductible « avaleur de macadam », 48 piges à l’époque, s’était classé 74ème à deux heures environ de garçons tels Bernard Vallet, Gilbert Duclos-Lassalle ou Guy Gallopin, alors en pleine activité (lire par ailleurs). Cet été, et en droite ligne d’une carrière amateur des plus redondantes, nous avons retrouvé Bernard Lecoanet animé d’une joie non feinte sur la ligne de départ du Championnat du Monde Masters de Saint-Johann, dans le Tyrol, en Autriche.
A 72 ans, Bernard Lecoanet s’est aligné dans la catégorie d’âge qui lui sied le mieux, à savoir les « plus de 70 ans ». Quarante bornes d’un circuit tourmenté et parsemé de deux raidards étaient au menu d’un peloton hétéroclite, haut en couleurs chatoyantes. Bernard n’aurait pas la partie aisée tant l’éventail de la concurrence apparaissait dense et d’un niveau particulièrement relevé. Autrichiens, bien évidemment, mais aussi Allemands venus en voisins, Lituaniens, Hollandais, Polonais, Italiens, Anglais, Suisses voire même Norvégiens, Danois et mieux encore Australiens ont effectué le déplacement pour faire de ce rendez-vous de passionnés de la petite reine un événement universel. Ce sont au total soixante-deux nations et pas moins de 2800 participants qui ont répondu présent à ce rendez-vous de passionnés qui est tout excepté un séminaire pour « vieilles gloires ».
Hélas pour notre favori de cœur, la course a eu un ineffable relent d’amertume. En effet, pris dans une chute peu après l’ouverture des débats et des premiers chuintements de velléités offensives, partiellement blessé au genou, Bernard Lecoanet a été rejeté dans un deuxième groupe. Endolori, le rictus de la douleur masquant son faciès avenant, Bernard n’a eu alors de cesse de terminer la course devant ses compagnons de galère. Au commandement lors du passage au sommet des deux côtes du parcours, il a mis un point d’honneur à régler tout son petit monde à l’arrivée. La manière, l’assurance et la désinvolture avec lesquelles notre ami a dominé ses adversaires lors de l’emballage final en ont dit long sur ses intentions et motivations initiales. Effectivement, il songeait mordicus réaliser un Top 5 !
Surpris mais ravi et flatté des encouragements du speaker attitré et des applaudissements nourris d’un public bon enfant mais connaisseur, qui en disent longs sur la notoriété jamais démentie de ce « bourlingueur » de l’asphalte, Bernard Lecoanet a ingurgité d’un trait la dernière rasade de son bidon et, tel un touriste lambda, rejoint humblement son hôtel où l’attendaient madame Lecoanet et… la trousse à pharmacie ! Car ne nous leurrons pas, « Nanard » était au départ, le dimanche suivant, à Villenave d’Ornon, du côté de Bordeaux ! – Michel Crepel