Thomas Delpeuch, ASO | © Vélo 101
Thomas, quel regard portes-tu sur cette saison cyclosport qui vient de se terminer ?
C’était une belle saison globalement, pour les acteurs, les marques, les organisateurs notamment grâce à la météo qui n’a pas été trop dégradée. Nous n’avons pas connu un long hiver et le printemps a été plutôt clément dans l’ensemble. Aussi, lorsque les conditions extérieures sont de la partie et que les épreuves se déroulent bien, ça donne un bon tempo pour l’hiver avec les nouvelles collections et les nouvelles dates qui se posent. Je retiens du véritable positif dans l’ensemble.
En tant que responsable des épreuves chez ASO, comment juges-tu le cru 2018 ?
Pour nous c’est un bon cru car on a eu du monde sur toutes les épreuves. L’étape du Tour a évidement été un gros succès populaire, ça se vérifie année après année donc c’est pas mal, et puis la fin de saison est bonne aussi. « l’Explore Corsica » s’est bien déroulée également. Maintenant il faut voir si on reconduit cette épreuve car la difficulté vient du format qui est bien différent. Globalement sur les cyclos de masse cela se passe très bien car le public est au rendez-vous et les pratiquants aussi, il s’agit pour nous d’aller chercher les personnes qui ont un profil différent; on ne cherche pas à cibler les « très compétiteurs » ou les « très loisirs » (sic), il en faut pour tout le monde mais c’est globalement très positif .
Le débat concernant le matériel sur le Paris-Roubaix Challenge est-il dépassé aujourd’hui?
Oui, on a un public anglais important mais si on prend l’ensemble du public, quelle que soit la nationalité, on se rend compte que pour eux le Paris-Roubaix Challenge est une expérience unique. Quand on va chercher les participants, on a envie de leur dire qu’il faut tester l’expérience au moins une fois et cela quelle que soit la monture ou les conditions météo. Evidemment, il y a toujours cette peur de casser le matériel; au final on se rend compte que l’ on ne casse pas ou très peu, et qu’il n’y a pas eu de crevaison en masse ni de chute en masse. Après, est-ce qu’on prend son vélo carbone? Oui. Est-ce qu’on adapte les pneus? A minima. Est-ce qu’on prend un Gravel, car étant bien adapté au pavé? Toutes ces questions méritent d’être posées mais au-delà de ces aspects matériels, je reviens sur le fait qu’il faut avant tout tenter l’expérience de » l’enfer du Nord « . Contrairement aux autres formats qui permettent de découvrir de nouveaux paysages et de nouveaux terroirs ou qui se résument à de véritables expériences sportives avec du dénivelé ou pas, le Roubaix demeure une expérience unique à vivre si on n’a jamais roulé sur des pavés.
Où en est l’évolution de la participation sur le Paris-Roubaix Challenge? Quel est le taux de renouvellement des participants? Quelle est la proportion des coureurs nationaux et des coureurs étrangers ?
Sur ce point-là aussi le Roubaix est particulier; sur cette course, on a vraiment moins de Français que d’étrangers, dont la majeure partie est constituée de belges et d’anglais. On compte seulement 45% de Français. Le « Roubaix » attire très clairement un public étranger car sur cette épreuve la quasi-totalité des pays est représentée. Quant au taux de renouvellement, on se rend compte que le « Roubaix » ne « fidélise » pas les participants. En effet, le taux de renouvellement est assez fort contrairement au Roc d’Azur qui demeure un rendez vous incontournable. Ce fort taux de renouvellement peut s’expliquer par le caractère « expérience unique». Les étrangers les plus représentés sur le Roubaix sont les anglais mais cela n’a rien d’étonnant compte tenu qu’ils sont majoritaires dans la plupart des sports comme la course à pied. Les anglais aiment la France et viennent volontiers rouler dans l’hexagone pour varier leurs expériences vélo.
Il est vraisemblable que l’épreuve de l’Explore Corsica n’existera plus pour des raisons de coût. Peut-on envisager un substitut du coté de la Sardaigne où le concept d’un tour de l’ile resterait chez ASO ?
Dans tous les cas, le concept a bien fonctionné jusque là car il existe véritablement un public qui souhaite passer 3 ou 4 jours sur des sites particuliers, sites où il n’y a pas forcément une habitude cycliste forte. Par conséquent, l’intérêt pour la Corse, la Sardaigne, ou d’autres îles ou territoires comme le nord scandinave, demeure, du moment que l’accès est facilité. Il y a véritablement un public pour ce genre d’épreuve. Ce beau produit nécessite des efforts d’aménagement car il ne s’agit pas d’une simple cyclosportive. En effet, il faut accompagner les participants sur 3 ou 4 jours et veiller à leur confort car c’est aussi un petit weekend de vacances! La contrainte économique est forte car pour que cela soit un succès il faut parvenir à un taux de remplissage de 95% au niveau touristique (hôtel, bateaux, résidences…). A cela se rajoute la difficulté d’acheminement et de transit d’un port à l’autre, d’une étape à l’autre. Peut-être que l’on va évoluer vers une formule où l’on se retrouvera sur des résidences hôtelières, ce qui permettra de partir sur 3 ou 4 circuits différents dans la semaine, donc sur une formule plus posée. Le concept est beau et pour la mise en œuvre on est allé un peu partout (Baléares, Sardaigne, endroits plus ou moins roulants ou plus ou moins exploités en cyclosport) jusqu’en Norvège pour l’Arctic Race.
Concernant l’étape du Tour, aujourd’hui, vous surfez sur un chiffre d’environ 15 000 inscrits; on a le sentiment que « l’option » chaque année est les Alpes ou, comme Christian Prudhomme aime les appeler, dans « les massifs intermédiaires ». Est-ce que cette tendance-là elle est aussi vécue de l’intérieur chez vous ?
En effet, il y a deux facettes: d’un côté, il y a le choix sportif et de l’autre, le côté « itinérance » que j’affectionne particulièrement car comme Christian, je trouve que c’est important de faire découvrir la France et d’autres cols aux cyclosportifs. La facette « itinérance » vient parfois se heurter au parcours du Tour. On pourrait se cantonner au seul choix sportif en l’isolant des autres facteurs mais ce n’est pas toujours simple car Christian a des contraintes à prendre en compte. Il trace les parcours et on se retrouve avec 1, 2, voire 3 choix ou bien parfois. Aussi, cela nous a poussé dans les Alpes les 4 dernières années. De plus, le Tour va très peu sur les extrêmes des Pyrénées. Quant au Pays Basque et à la côte Catalane, ces régions vivent du tourisme en plein mois de juillet. Pour ces raisons on se retrouve sur le central Pyrénées (Pau, Tourmalet, Aubisque…). Les Pyrénées offrant au final un choix assez restreint, c’est tout naturellement que l’on se tourne vers les Alpes qui offrent un choix bien plus varié allant des Pré-Alpes (Savoie, Ventoux) aux Hautes Alpes. Ensuite, il y a la question de savoir si tout le monde se déplacerait pour refaire les Pyrénées, pour faire à nouveau le Tourmalet qui souffre d’une notoriété moins grande que les Alpes. Dans les Vosges, on a pu faire une deuxième étape et, tout en étant sur le même site, enchainer deux massifs différents et c’est ce qui est plaisant. Ainsi, « l’itinérance » je la défends, mais je suis conscient de ses limites. Cette année nous serons toujours dans la découverte de territoires car on va faire 3 montées de cols inédits qui n’ont jamais été tracés. Si on espère retourner dans les Pyrénées, j’aimerais également évoluer dans les Vosges et le Massif Central…
Est ce que le choix cette année se portera encore sur les Alpes?
Peut-être, mais la diversité des options fait que tout ne se résume pas aux Pyrénées ou aux Alpes, car il y a 18 options à prendre en considération! Le plus important est peut-être d’offrir une grande variété au niveau des cols et des montées inédits
On a le sentiment qu’il y a de moins en moins d’abandons sur l’étape du Tour; cela veut-il dire que le défi reste majeur en ce sens que les participants sont de mieux en mieux entraînés et que l’époque où les coureurs faisaient une seule cyclosportive par an et privilégiaient l’étape du Tour est révolue?
Non pas vraiment car on rencontre encore des difficultés à encadrer mille personnes qui n’ont vraiment pas le niveau contrairement aux autres (14 000 participants) auxquelles nous n’avons qu’à offrir uniquement un confort de course (ravitaillement, encadrement médical hors pair). Cette proportion se vérifie à peu près tous les ans et le challenge demeure dans notre capacité à pouvoir les prendre en charge et les encadrer, ou pas.
On voit qu’il y a de plus en plus de féminines sur l’étape du Tour et on évoque de plus en plus le fait qu’ASO organise une étape du Tour 100% féminine voire carrément un tour de France féminin ?
Pour l’instant, ce n’est pas dans les cartons pour l’année prochaine. La présence féminine est évaluée sur les villages du Tour ou sur le Roc d’Azur, qui demeurent des indicateurs forts car on constate une corrélation entre les marques et les organisateurs qui commencent à se lancer dans le cyclisme féminin. On sent un certain frémissement. Globalement lorsque tous les facteurs seront au vert, on pourra créer une épreuve 100% féminine. La difficulté est de bien cibler ce que l’on veut faire: si on choisit une épreuve à caractère sportif, cela peut impacter un faible nombre de personnes. Si on fait un choix grand public, le risque est de se couper du public cyclosport. C’est aussi un outil de communication, et je ne suis pas sûr que toutes les femmes souhaitent une course uniquement qu’avec des femmes. La fédération fait un gros effort et c’est l’un des objectifs principauxl du mandat du nouveau président. A ce stade, il est important de mesurer tous les éléments, les acteurs… Mais pourquoi pas, le débat reste ouvert et d’actualité.
On était presque surpris qu’en Afrique du Sud il n’y ait jamais eu d’étape du Tour comme il y en a au Costa Rica. Qu’en penses-tu intuitivement? Est-ce cette Etape du Tour Marocco by le Tour de France peut être un succès?
Tout d’abord, on n’ est pas en Afrique du Sud pour organiser une cyclo étape by le Tour de France car il y a déjà des acteurs là-bas qui connaissent ce sport et ont de très belles épreuves. On est implanté sur des territoires où les gens rêvent du Tour de France mais n’ont pas encore d’expertise en terme d’organisation. Les demandes viennent de là. Aussi, on est parti sur une large zone en Asie avec des acteurs qui nous demandent des conseils. Le Tour est une marque qui va leur permettre de noter des beaux événements ressemblant au Tour et qui sont vraiment des produits dérivés du Tour. En Amérique du Sud et en Amérique Centrale, on se retrouve aussi avec la même demande qu’en Afrique du Nord qui, on l’espère, connaitra un beau succès. On espère également que nos collègues seront motivés et prêts à monter la chose; bien évidemment nous allons les encourager et les aider car autant en Asie qu’en Amérique Centrale, il n’est pas simple de faire venir des clients européens. On va participer aux efforts de communication afin de ramener du monde au Maroc car avec seulement deux heures d’avion, cela reste vraiment jouable. On espère que tout ceci demeurera une belle expérience avec la rencontre de nouveaux publics.
Etape du Tour 2018 – ASO
Pour revenir sur l’Etape du Tour, comment se passera la descente des coureurs depuis l’arrivée à Val Thorens?
Val Thorens est un cas particulier donc il y aura des questions. On a d’ailleurs préparer un document pour faciliter les choix logistiques des participants.
Quelles seront les différences avec la route que les pros emprunteront?
Il s’agit d’une route unique sur les 20 derniers kilomètres. Donc une impasse. Heureusement, Val Thorens est une grande station et (comme pour l’Alpe-d’huez) on peut garder un maximum de monde en haut en attendant l’arrivée des derniers…avec commerces, restaurants, salle pour se mettre au chaud si besoin. Les multiples services pour attendre se trouvent à Val Thorens et aux Menuires, et non pas dans la vallée à Moutiers. Notre choix sera de ne pas laisser de véhicules descendre à contre-sens pour privilégier un grand confort dans l’ascension. La route sera de nouveau libre pour la descente à 18h30 ( pour Val Thorens, et un peu plus tôt pour les Menuires). A priori, cette année, pas de variation par rapport a la route des pros.
Quelles premières précautions souhaiterais-tu transmettre aux nombreux candidats? (côté sécurité, préparation…)
Côté sécurité, rien de neuf : attention et prudence en descente. Il y en aura une longue et une courte mais piégeuse. Rien ne sert de prendre des risques importants pour quelques secondes !!! Sur la préparation, attention. Les pourcentages ne sont pas extrêmes mais il faudra tenir la distance dans les ascensions. Dernier point, la météo; tenue adaptée car à 2300 mètres ça ne rigole pas en cas de mauvais temps.